Le pianiste québécois Louis Lortie s'est attiré les louanges de la critique à travers l'Europe, l'Asie, les États Units et le Canada, en particulier pour avoir choisi d’explorer sa voix d'interprète à travers un large répertoire plutôt que dans la spécialisation d'un style donné. Décrivant son jeu de "toujours immaculé et imaginatif " The Times a identifié une combinaison de spontanéité totale et de maturité méditée que seuls possèdent les grands pianistes".
«Une très belle approche qui souligne une fois de plus l’importance de ce grand pianiste.» Christophe Rodriguez, Journal de Montréal avril 2012.
Il magnifie la poésie des phrases et illumine l'élégances des lignes. Il insuffle une vie délicate, mais volontaire, à tout l'édifice émotif qui abrite et transcende les oeuvres qu'il interprète. Frédéric Cardin, Espace.mu 20 avril 2012.
Écoutez Louis Lortie dans la Ballade en sol mineur de Chopin. Quelle éloquence! On oublie les doigts, on oublie la technique. Richard Boisvert, Le Soleil 14 avril 2012.
Chandos: CHAN 10714.
«Chaque artiste crée ses précurseurs. Son travail modifie notre conception du passé autant que celle du futur». Jorge Luis Borges
lundi 30 avril 2012
lundi 23 avril 2012
Chopin Recital deuxième volume de Janina Fialkowska chez Atma Classqiue.
À
propos du premier volume de Chopin Recital de Janina Fialkowska, Le
Devoir parlait d'"un disque magistral, viscéral, qui touche
profondément l’auditeur, avec un aplomb supérieur à tout ce dont
on se souvenait d’elle."
Il
existe bien peu de compositeurs dont la musique pour piano peut
meubler une soirée entière sans mettre à mal l’attention ou la
bonne volonté d’un auditoire qui ne soit pas composé de musiciens
professionnels. Des récitals tout Chopin, cependant, ont été
populaires tout au long du XXe siècle et cette popularité ne se
dément pas en ce siècle-ci. C’est pourquoi Janina Fialkowska n’a
aucune hésitation à proposer ici un second album tout Chopin.
Aimé
et admiré par presque tous ses contemporains, Chopin a envoûté
aussi bien les musiciens de sa génération que ceux des générations
futures. Sa musique demeure aussi fraîche et enchanteresse
aujourd’hui que le jour où elle fut couchée sur papier. Janina
Fialkowska a une fois de plus choisi un programme très personnel
composé, entre autres, de Valses, Préludes et Mazurkas.
Atma Classique: ACD2 2666.
Disque d'André Moisan et Jean Saulnier chez Atma Classique.
«J’ai
beaucoup de respect pour les clarinettistes tels Benny Goodman et
tant d’autres qui ont su stimuler les compositeurs à traverser
cette frontière entre le jazz et le monde plus « classique » et
provoquant l’émergence d’un nouveau genre.» -
André Moisan
Atma Classique: ACD2 2517.
dimanche 15 avril 2012
Schulhoff, oeuvres pour piano, vol. n°1 chez Grand Piano.
Erwin
Schulhoff (1894-1942)
Partita
pour piano (WV 63) :
1-Tempo
di Fox
2-Jazz-like
3-Tango-Rag
4-Tempo
di Fox à la Hawaii
5-Boston
6-Tempo
di Rag
7-Tango
8-Shimmy-Jazz
Susi
– Fox-Song (WV 124)
Suite
no. 3 pour la main gauche (WV 80)
1-Preludio
2-Air
3-Zingara
4-Improvisazione
5-Finale
Variations
et fugue sur un thème original dorien (WV 27)
Caroline
Weichert, piano
Label :
Grand Piano GP 604
Durée: 59 min.51
Durée: 59 min.51
Année
d’enregistrement: 2010
Distribué
au Canada par Naxos
Derrière
ce disque si agréable à écouter se cache la tragédie d’un
immense talent prématurément anéanti par le racisme le plus
abject. Né à Prague, Erwin Schulhoff croupissait durant la dernière
année de sa vie dans un camp de concentration nazi; sa mort est
survenue à seulement 48 ans. Peut-on imaginer quelques instants les
souffrances physiques et morales de ce compositeur qui a pourtant
goûté très tôt la reconnaissance artistique non seulement de ses
compatriotes tchèques mais aussi de ses pairs allemands et
autrichiens ?
Dès
l’âge de sept ans (1901), le célèbre compositeur tchèque
Antonin Dvorak recommande l’enfant pianiste prodige au
Conservatoire de musique de Prague. Son talent phénoménal le
conduit plus tard vers les prestigieux professeurs du temps avec qui
il étudiera à Vienne, Leipzig Cologne et Berlin et où il
remportera de non moins prestigieux prix d’interprétation et de
composition.
Ce
qui caractérise l’intérêt que l’on doit porter à Schulhoff
vient autant de son évolution l’amenant à s’adapter aux styles
les plus divers qu’à sa façon de parodier les conventions
superficielles encore tenaces. On se délectera d’aller à la
découverte de son oeuvre qui comporte soit la forme baroque du
concerto baroque telle que dans sonConcerto
pour flûte, piano et orchestre,
des oeuvres de jeunesse post-romantiques ou sous l’influence
impressionniste de Debussy avec qui il a étudié en 1913, des
oeuvres du courant dadaïste telle la Sonata
erotica pour
voix de femme évoquant l’orgasme ou la provocante Symphonia
Germanica,
de la musique pour le théâtre dont celle pour une adaptation
du Bourgeois
gentilhomme de
Molière, l’expressionnisme atonal de la Seconde école de Vienne,
ou encore les vastes symphonies à programme comme laSymphonie
de la Liberté dédiée
à l’Armée rouge. Sans compter qu’il fut le premier interprète
dans son pays à promouvoir la musique en quarts de ton.
Mais
sûrement le jazz et autres musiques de danse qui ont fait les
délices des Années folles (fox-trot, tango, shimmy, stomp,
charleston, etc.) ont pris une importance significative. En tant que
pianiste de jazz, il donna de nombreux concerts pour la radio tchèque
pour subsister suite à l’anathème du régime hitlérien
(« musique dégénérée ») et dut emprunter un
pseudonyme pour échapper à la traque nazie. Malheureusement, il fut
arrêté en 1941 pour finalement périr de malnutrition et de maladie
dans un camp de concentration en Bavière.
Pour
revenir au disque dont il est question ici, il représente donc un
hommage de grande valeur. D’abord parce que la prise de son offre
un équilibre parfait dans tous les registres avec une acoustique qui
laisse le son respirer de la manière la plus confortable pour nos
oreilles. Ensuite, l’interprétation est impeccable sur le plan
technique: le son est clair, la rythmique précise, les nuances
souples et sans exagération intempestive. Tout semble si facile:
légèreté des fox-trots, doux éclairages de sonorités
debussystes, admirable contrôle de la pédale dans les pièces pour
la main gauche.
Quant
au programme, il est reflet d’une volonté d’offrir dans un
premier temps un aperçu de la grande accessibilité de sa musique.
C’est pourquoi il est largement dominé par l’inspiration des
harmonies jazz et modales, par des suites de pièces courtes (dans
les quinze variations WV 27, une dizaine durent moins d’une minute,
et la durée moyenne de toutes les plages est d’environ deux
minutes), par un ensemble de pièces de caractères variés. J’ai
donc hâte d’écouter le prochain volume de la série autant
d’ailleurs que les autres titres de ce label (Raff, Frommel,
Weinberg, Saint-Saëns) compte tenu du soin exemplaire qu’il
accorde à la qualité des enregistrements et du choix de
compositeurs pour la plupart encore fort méconnus du public.
Guy
Sauvé
Avril
2012
mercredi 11 avril 2012
Magifique avec choréographie de Thierry Malandain chez Arthaus.
Magifique : Tchaïkovsky Suites
Musique : Tchaïkovsky
Décors et costumes : Jorge Gallardo
Malandain Ballet Biarritz
Chorégraphie : Thierry Malandain
Arthaus 108 034
Thierry Malandain a fondé son Ballet Biarritz en 1998, et guide sa destinée avec vision et audace depuis ce temps. En 2009, il a décidé de s’attaquer à des monstres sacrés du ballet classique par excellence : les 3 ballets féériques de Tchaïkovsky, soit La Belle au bois dormant, Le Lac des cygnes et Casse-Noisette. Pour dira vrai, il ne s’agit pas des ballets eux-mêmes, mais plutôt des suites symphoniques tirées des partitions originales. En fin de compte, Malandain passe doublement au tamis des œuvres, et surtout des mélodies, qui sont ancrées dans la psyché occidentale comme peu d’autres. En effet, non seulement réinterprète-t-il tout le visuel associé si étroitement aux œuvres, mais il s’appuie sur des pièces musicales qui ont elles-mêmes été retirées de leur contexte par le compositeur pour être proposées comme entités autonomes (bien que musicalement très près de leur incarnation originale).
Malandain conçoit trois tableaux (autant de suites!) liées par de courts intermèdes au caractère mystérieux, voire énigmatique et même un brin ténébreux. Ces épisodes sont accompagnés d’une musique signée Nicolas Dupéroir, qui tisse une trame de caractère contemporain tachetée de réminiscences (sous forme de citations) des partitions de Tchaïkovsky.
Chacun de ces tableaux est une sorte de sublimation abstraite et extrêmement poétique des principaux éléments des contes originalement si bien racontés par la musique de Tchaïkovsky.
Malandain utilise avec une infinie distinction et un extrême bon goût quelques éléments simples de mise en scène : des miroirs réflecteurs qui servent aussi de paravent ou de murs, des barres d’entraînement ou encore des costumes-peau délicatement brodés de motifs qui rappellent un peu certaines créations pour le Cirque du Soleil. Mais en bien plus discret! La surface de la scène elle-même semble être enduite d’une pellicule réfléchissante qui fait écho aux miroirs.
L’univers créé par le chorégraphe baigne dans une agréable lumière dorée, tirant parfois sur le cuivré. L’ensemble confère à l’œuvre une dimension onirique qui vient magnifiquement (devrai-je dire maGIfiquement!) compléter une vision transcendante, mais absolument pas sur-intellectualisée.
Il faut vraiment voir cette envoûtante oscillation, cette ondoyante vibration de l’air qui semble enrober les danseurs, résultat de la jonction des divers reflets de la lumière. L’éclairage charnel et la beauté soyeuse des corps dans leurs costumes ambrés sont exaltés par un habile jeu de réfraction polyphonique des couleurs et des textures grâce aux miroirs et à la surface réverbérante du sol. La cohésion avec la musique de Tchaïkovsky est totale. Sa sensualité inhérente s’épanouit comme jamais grâce à l’instinct brillant de Malandain.
L’idée de se servir des suites symphoniques des ballets est vraiment géniale. On ne s’éternise donc jamais inutilement sur le sujet, et on y retrouve les mélodies les plus essentielles à entendre. Ces petits concentrés musicaux permettent au chorégraphe de ramener lui aussi à l’essentiel tout son propos. Les grands instants de ces histoires maintenant archi-connues s’y trouvent, mais en parallèle avec un commentaire très personnel du chorégraphe, formulé de façon très émouvante et poétique.
Voici l’une des créations de danse contemporaine les plus touchantes que j’aie vu depuis longtemps.
Frédéric Cardin.
Orlando Furioso, le Dvd avec Marie-Nicole Lemieux chez Naïve.
Vivaldi:
Orlando furioso
Marie-Nicole
Lemieux (Orlando), contralto
Jennifer
Larmore (Alcina), mezzo-soprano
Veronica
Gangemi (Angelica), soprano
Philippe
Jaroussky (Ruggiero), contreténor
Christian
Senn (Astolfo), baryton
Kristina
Hammarström (Bradamante), mezzo-soprano
Romina
Basso (Medoro), mezzo-soprano
Pierre
Audi, mise en scène
Patrick
Kinmonth, décors et costumes
Choeur
du Théâtre des Champs-Élysées
Ensemble
Matheus
Jean-Christiophe
Spinosi, direction
Naïve
DVD DR 2148
Marie-Nicole
Lemieux est un véritable plaisir à regarder, et à entendre bien
entendu. Cet Orlando
est une magnifique réussite. Grâce à une distribution tout étoile
(Marie-Nicole, on l’a dit, mais aussi Jennifer Larmore, Philippe
Jaroussky et Kristina Hammerström) et à la direction incisive de
Spinosi (quel instrument quand même cet Ensemble Matheus!), cette
production du Théâtre des Champs-Élysées devra tôt ou tard faire
son chemin jusque dans votre lecteur!
On
connaît l’histoire d’Orlando.
Celui-ci arrive sur l’île dominée par la magicienne Alcina, à la
recherche de celle qu’il aime, Angelica. Il est chargé de détruire
Alcina en s’emparant des cendres de Merlin, source du pouvoir
absolu sur cette île. Angelica est cependant amoureuse de Medoro et
celui-ci sous le charme d’Alcina. S’ajoutent à cela les
personnages de Ruggiero (un autre chevalier) et Bradamante (sa
bien-aimée). Les quiproquos engendrés par la magie d’Alcina et
les tribulations amoureuses de tout un chacun finissent par créer
une trame bien emberlificotée, typique des intrigues baroques, mais
sans humour. Tout ici est traité dans un sens dramatique.
C’est
la musique de Vivaldi, glorieuse, qui attache toutes ces
invraisemblances ensemble. C’est pour elle, vraiment, que nous
prenons le temps aujourd’hui de monter, d’enregistrer et
d’écouter cette œuvre qui s’avère magnifique. Malgré deux
siècle d’oubli, c’est bien la partition flamboyante du vénitien
qui nous a convaincu d’y reporter attention. On y entend défiler
une succession d’airs tour à tour spectaculaires et poignants.
Les
solistes sont tous très bons. Marie-Nicole tend à surjouer un peu,
mais on lui pardonne facilement. Après tout, nous sommes dans un
opéra baroque qui parle de magie et de preux chevaliers! La voix est
belle et somptueuse. Jennifer Larmore, dont la voix a un peu vieilli,
semble trouver sa grâce ici dans le personnage d’Alcina. Son large
vibrato, qui m’agaçait autrefois est inscrit dans le tempérament
du personnage, imposant et tempétueux. Philippe Jaroussky possède
l’un des plus beaux instruments vocaux du monde lyrique. Son
Ruggiero est sensible, déterminé, mais parfois fragile aussi.
Kristina Hammerström est une touchante Bradamante.
Jean-Philippe
Spinosi, je l’ai dit, dirige avec diligence et intensité
l’Ensemble Matheus, qui répond à ses moindres inflections avec
une célérité impressionnante.
La mise
en scène constitue l’élément qui risque de faire le moins
l’unanimité. On a campé l’action et les personnages dans une
atmosphère très sombre, décors et costumes comme autant de teintes
de gris, bleu foncé ou beige. Cette « épuration » a ses
avantages : on y perçoit avec plus d’acuité l’émotion des
personnages, peu distraits que nous sommes par une orgie de
baroquismes visuels. Ceci dit, ce genre de production peut très bien
bénéficier d’une mise en scène à « l’authentique ».
La magie de ce genre d’histoire est aussi contenue, en partie du
moins, dans la flamboyance typique de ce que l’on pouvait
probablement voir à cette époque. Je demeure franchement ouvert en
ce qui a trait aux visions des metteurs en scène à l’opéra. Mais
je sais que ce n’est pas au goût de tous et toutes. Alors soyez
avertis qu’Orlando baigne dans un dépouillement suggestif d’une
forme épurée d’intériorité, plutôt que dans une réminiscence
spectaculaire et historiciste.
Quoiqu’il
en soit, cette production vaut absolument le détour!
Frédéric
Cardin
dimanche 8 avril 2012
Kenneth Leighton (1929-1988) : Œuvres pour orchestre, vol. 3
Symphonie
no. 1, op. 42 (1963-64)
en première
mondiale
Concerto
pour piano et orchestre no. 3, op. 57,
“Concerto
estivo”
(concerto d’été)
en première
mondiale
Howard
Shelley, piano
BBC
National Orchestra of Wales
Martyn
Brabbins, chef
Enregistrement:
Décembre 2009
Durée:
73 min. 03
Chandos
Chan 10608
Curieux
destin que celui de la symphonie après la deuxième Guerre mondiale.
Autant l’on peut croire que ce genre a perdu son aura de passage
obligé pour tout compositeur voulant laisser sa marque sur le
continent européen, autant sa vitalité s’est maintenue en Russie,
les pays de l’Europe de l’est, les pays scandinaves, les
États-Unis et l’Angleterre.
Compte
tenu de la réputation pleinement justifiée de plus grand
symphoniste du XXème siècle qu’avait acquise Chostakovich, il
serait intéressant de vérifier dans quelle mesure son influence
s’est exercée grâce au dégel des relations anglo-soviétiques
dans les années soixante, notamment sur cette belle et troublante
symphonie du compositeur britannique Kenneth Leighton.
En
effet, des parentés stylistiques n’échappent pas à notre
attention, que ce soit dans les ponctuations de percussion, les
paroxysmes orchestraux habilement amenés, les dissonances
expressives, la stridence de violons, la motorique soutenue des
cordes, les contrepoints dépouillés et tendus.
Cette
première symphonie de Leighton renferme donc de nombreux ingrédients
d’un langage moderne, appliqué aussi sur le plan formel. Ainsi, le
mouvement central (Allegro
molto ed impetusoso)
est le plus rapide des trois, chose inhabituelle pour l’auditeur
plus familier aux formes classiques/romantiques. Par contre, elle ne
recèle que quelques traits de l’avant-gardisme d’œuvres
majeures écrites vers la même date (par ex. : Penderecki).
Il
n’en demeure pas moins que Leighton nous livre une œuvre très
personnelle, patiemment mûrie d’essais qu’il a rejetés, mais
aussi d’œuvres substantielles précédentes (Concerto pour
violoncelle de 1956, son premier quatuor à cordes de 1956, The
Light Invisible
de 1958 pour choeur à 8 voix et orchestre, Quintette avec piano de
1959, Passacaglia,
Chorale and Fugue
de 1959). Toutes ces œuvres lui ont conféré une solide réputation
de « maillon
vital de l’avenir de la musique d’après-guerre en
Grande-Bretagne ».
Cette longue préparation lui valut le premier prix au Concours
international de composition de Trieste en 1965. Il était grand
temps que cette œuvre soit enregistrée.
Chacun
des mouvements est construit sur des variations de petites cellules
mélodico-rythmiques, basées sur des extrêmes d’intervalles
(tantôt demi-tons/tierces, tantôt sixtes ou septièmes). Il est
fascinant de voir comment le compositeur parvient à transformer une
cellule en longues broderies sinueuses côtoyant des phrases
anguleuses dans le premier mouvement, en longues phrases d’un
lyrisme tragique dans le troisième mouvement. La grande force de
Leighton réside d’une part dans l’ingéniosité du développement
polyphonique à partir d’un matériau minimal et, d’autre part,
et surtout, dans le dosage parfaitement maîtrisé d’effets sonores
qui amènent l’auditeur à ressentir de puissantes impressions dont
les empreintes marquent longtemps après une première écoute.
L’œuvre
entière est d’une intensité obsessionnelle. Tandis que les
premier et troisième mouvements représentent désespoir et
désolation, par moments combatttus par « une
protestation violente »
(Leighton), le deuxième mouvement « relâche
les rênes et cherche dans une esprit de rébellion à aboutir à une
réponse affirmative par la seule force de la volonté »
(Leighton). Musicalement parlant, ce deuxième mouvement se
traduit par une motorique haletante aux cordes et par un climax digne
de la danse sacrale de Stravinsky (surtout à la section 59 de la
partition). Quelle hallucinante chorégraphie on pourrait tirer de
ces huit minutes enivrantes !
Le
troisième mouvement (Molto
adagio e sostenuto)
vaut plus d’un détour. Il me rappelle la splendide passacaille op.
33b de Britten (Chandos CHAN 8473). Tourmenté, parfois douloureux,
mais sublime, il est baigné d’une grandeur hiératique, avec son
mélange de fanfare grandiose et de cordes/flûtes aiguës (section
71). Je ne peux faire autrement que d’établir le rapprochement
avec l’assassinat du président J.F. Kennedy (1963) qui a laissé
le monde entier dans une stupeur incrédule et la désolation,
événement absurde qui n’a pas pu échapper au compositeur et qui
lui a peut-être inspiré l’énigmatique coda (section 80), une
sorte de post-scriptum de sept mesures qui « ne
laisse à la fin qu’un point d’interrogation »
(Leighton).
Quant
au concerto pour piano, il forme un couplage cohérent puisque
semblable au style d’écriture basé sur des variations de brefs
motifs mélodico-rythmiques. Ce n’est donc pas un concerto
post-romantique aux longues phrases et antinomie thématique.
On
pourrait se lasser justement de la répétition de telles variations
si ce n’était des nombreux jeux de textures et des deux épisodes
solistes au piano (Leighton était un excellent pianiste) auxquels
s’est adonné le compositeur. Par exemple, la combinaison
harpe/piano /clarinette dans le deuxième mouvement évoque
effectivement « la
chaleur et la tranquillité d’un long après–midi d’été »
(Leighton). Il est intéressant de voir comment il utilise cette fois
la forme du concerto pour générer le développement d’un discours
issu lui aussi au départ de courts motifs et aussi d’observer
comment il s’écarte du modèle symphonique.
Ici,
le piano a le rôle de présenter le matériel motivique à la suite
de quoi procède le dialogue avec les diverses forces en présence.
Leighton devient plus imaginatif dans la réalisation de climats plus
divers (par ex. : les sonorités évanescentes du piano dans
l’introduction du deuxième mouvement, le passage avec cloches et
piano menant à un effet de carillon un peu sinistre, ambiguïté
entre calme et arrière-pensée plus ou moins amère de résignation
dans le troisième mouvement, la finale exubérante, virtuose, très
ravélienne et nerveuse).
Comme
souvent chez Chandos, l’interprétation est convaincante et
magnifiquement servie par une prise de son détaillée, équilibrée
et très présente. Une réussite sur ces deux plans. Ma
recommandation est des plus vives pour la symphonie qui malgré sa
couleur sombre, parfois inquiétante, mérite nettement d’être
davantage connue du public. Elle compte désormais parmi mes
symphonies préférées du XXème siècle.
Guy
Sauvé
Johan Halvorsen (1864-1935) L’œuvre pour orchestre, vol. 1
Marche d’entrée
des boyards (ca. 1893)
Andante religioso
(1ère mondiale- 1890) (*)
Suite de Mascarade
(1922)
La Mélancolie
(1913) (**)
Symphonie no. 1 en
do mineur (1920)
Marianne Thorsen,
violon (*)
Melina Mandozzi,
violon (**)
Orchestre
phiharmonique de Bergen
Neeme Järvi, chef
Chandos Chan 10584
Durée : 76
min.48
Johan Halvorsen, violoniste virtuose,
arrangeur et chef d’orchestre, fut, avec Sinding, l’un des
compositeurs norvégiens les plus importants de sa génération après
Grieg et Svendsen et faisait partie d’un groupe qui a maintenu la
tradition romantique dans son pays. Manifestant très jeune un
véritable talent, Halvorsen devint à l’âge de quinze ans,
violoniste du Folktheater de Kristiana (aujourd’hui Oslo). En 1885,
il fut promu premier violon de l’Orchestre Harmonien de Bergen,
l’ancêtre de la formation qui figure sur ce disque. En 1899, il
devient chef de cet orchestre et directeur musical du théâtre
national de la ville. À ce titre, sa carrière se développa
considérablement; il dirigeait de la musique scénique surtout
composée par lui (plus d’une trentaine pour des pièces de
théâtre), mais aussi toutes les productions lyriques, les matinées
musicales, les concerts symphoniques et folkloriques jusqu’à sa
retraite en 1929.
En tant que compositeur de musique pour
le théâtre, il s’est établi une réputation fort enviable grâce
à une grande maîtrise des ressources instrumentales (il savait
jouer de presque tous les instuments de l’orchestre), habilement
adaptées aux différents caractères des scènes et des mouvements
de danses. Pour s’en convaincre, on n’a qu’à écouter comment
il sait rendre l’atmosphère élégante et gaie du cotillon,
menuet, gavotte, passepied, bacchanale mais aussi relever l’aspect
comique, caricatural de la danse grotesque (Molinasque), toutes
tirées de sa suite pour Mascarade. On peut en dire autant de
la Marche d’entrée des boyards, pièce flamboyante qui ouvre
magnifiquement cette série dédiée à l’œuvre orchestrale de
Halvorsen et qui compte parmi ses oeuvres les plus justement
célèbres.
Il était grand temps que l’anthologie
amorcée par Chandos soit entreprise pour sortir Halvorsen de l’oubli
en dehors des pays scandinaves. En complétant le programme par la
première de ses trois symphonies, on sera plus en mesure d’apprécier
l’émulation qu’il a donnée à ce genre à la génération de
compositeurs qui a suivi. Avant lui, Grieg rejetta la seule symphonie
qu’il avait rédigée. Quant à Svendsen (1840-1911), surtout connu
pour ses rapsodies norvégiennes, a laissé deux symphonies qui
procèdent d’un style personnel et caractérisé à la fois par
l’influence du folklore et de la forme classique. Ensuite, Sinding
(1856-1941), fort apprécié de son vivant mais boudé par la suite à
cause des réactionnaires antiromantiques, a laissé quatre
symphonies dont seule la première, composée en 1880 et révisée en
1890, semble la plus réussie.
Avec Halvorsen, le post-romantisme
prend davantage le pas avec un premier mouvement (Allegro non troppo)
ouvrant sans délai sur un thème décidé, grandiose mais dont la
tonalité mineure et le rythme en hémioles viennent donner une
teinte un peu tragique mais tempérée par un deuxième thème
tendre, optimiste et vaillant. Le deuxième mouvement (Andante) est
d’un lyrisme ample et aux textures plus denses. Le scherzo,
débutant sur des accords d’une plénitude sereine, retrouve
légèreté et humour (par ex. : mélodie aux hautbois
accompagnée du tintement de triangle). Le final propose diverses
évocations très prégnantes, telle la mélodie irrésistible de la
clarinette, le thème dramatique de l’Allegro deciso, un passage
d’une suavité toute brahmsienne (à 2 min.27 et à 6 min 52), une
parenthèse surprenante et comique (à 4 min 28), une coda concluant
dans une apothéose triomphante.
Avec cette superbe symphonie, écrite
vers la fin de la cinquantaine, Halvosen démontre une orchestration
brillante (admirablement servie par une prise de son de très grande
qualité) avec des pupitres très habilement utilisés, une conduite
cohérente des thèmes et des développements ainsi qu’une
personnalité sûre, appuyée par la maturité d’un travail
constant. Bref, une très belle découverte qui nous rendra
impatients d’écouter les prochains volumes à plus forte raison
que ce répertoire ne pourrait trouver meilleur ambassadeur que
l’Orchestre philharmonique de Bergen dont l’histoire remonte,
selon les notes du livret, aussi loin que 1765, « ce qui fait
de cet ensemble l’un des plus anciens orchestres du monde » et que
Halvorsen lui-même a dirigé pendant plus de trente ans.
Guy Sauvé
jeudi 5 avril 2012
Kurt Schwertsik, Nachtmusiken, L'Amérique et Baumgesänge chez Chandos.
Nachtmusiken, op. 104 (Musiques de nuit – 2010 – Première mondiale)
Herr K entdenckt Amerika, op. 101 (Monsieur K découvre l’Amérique – 2008 – Première mondiale)
Baumgesänge, op. 65 (Chants de l’arbre - 1992)
BBC Philharmonic
HK Gruber, chef
Chandos Chan 10687
Durée: 59 min. 52
Date d’enregistrement: 2010
Quelle formidable révélation ! Ce disque démontre hors de tout doute que l’on peut être résolument (néo)romantique et crédible en tant qu’artiste de nos jours, c’est-à-dire sans renier cette part de romantisme qui habite tout artiste doté d’une sensibilité réceptive à la fantaisie, au rêve, à la poésie, au mystère. Car c’est bien ces dimensions que l’on retrouve dans les œuvres choisies ici, typiques du mouvement désigné par « MOB art & tone ART ».
Il vaut la peine ici de prendre quelques minutes pour expliquer de quoi il s’agit. C’est en 1966 pendant un séjour aux États-Unis que Schwertsik a combiné Mob (dans le sens de groupe urbain, distinct du folklorique ou de la masse anonyme) et tone Art (qui rappelle le concept de tonalité qui était tabou dans certains cercles musicaux depuis plusieurs décennies). Mais plus important encore, ce mouvement signifie une rupture avec les tendances beaucoup trop cérébrales de la musique contemporaine d’alors. Dès 1965, Schwertsik affirme : « Mon intention n’était pas seulement de définir où se situent mes œuvres mais aussi de critiquer les formes de musique contemporaine qui sont devenues à ce point compliquées que c’est seulement pendant le processus de composition que le compositeur lui-même les comprend. » Essentiellement, le MOB art & tone ART vise l’accessibilité de la communication à l’égard des auditeurs non-initiés, le divertissement intelligent, et n’hésite pas, au besoin, à emprunter les ressources de la musique populaire sans verser dans la médiocrité.
Les seize plages de ce disque nous amènent dans des univers poétiques variés qui révèlent une imagination orchestrale remarquable. Par exemple, le premier mouvement desNachtmusiken, traduit en français par Janacek m’est apparu en rêve, est une « pensée nocturne » mélancolique mais prend en quelques occasions des allures passionnées qui n’auraient pas déplu à Liszt. Le deuxième mouvement, Wienerlied (Mélodie viennoise), fait entendre un accordéon dans une valse sentimentale. Le troisième, For David Drew, est une touchante oraison funèbre et intimiste dédié à un ami. Le quatrième, Geschwindmarsch, est une marche rapide dont la frénésie, digne d’une « colère noire », rappelle, avec force xylophone et percussion, un passage mémorable de la dixième symphonie de Shostakovich. Le dernier, Flucht (Fuite), s’amorce avec des lignes fuguées aux cordes (on pense encore à Shostakovich) pour aboutir à des interventions aux instruments à vents évoquant Mahler.
Herr K endenckt Amerika, satire musicale basée sur un roman inachevé de Kafka, ne cède en rien dans la profusion des évocations. En quatre courts tableaux très pittoresques (La traversée, À l’hôtel, En chemin, Le théâtre de la nature en Oklahoma), on savoure la délicate caricature du dépaysement et des déboires d’un européen dans le « nouveau monde » tantôt bourdonnant d’activités, tantôt d’un calme qui n’inspire pas nécessairement la sérénité. Avec ses allusions au jazz, à la fanfare de cirque ou d’un « fiddler », la preuve d’une assimilation habile de divers genres est faite. Il y a une sorte de sourire en coin dans toute cette suite qui ne nous laisse pas indifférent.
Quant aux Baumgesänge, en six mouvements, l’emploi d’accords majestueux et parfois dissonants du premier mouvement, l’ostinato menaçant des instruments graves sur des motifs de deux ou trois notes du troisième mouvement, les sonorités agressives du deuxième et de l’introduction du sixième, le climat étrange qui transpire lors des parties extrêmes ainsi que la partie médiane rythmée et tendue dans le cinquième, tout cela n’est point fait pour nous rassurer. Seul, le quatrième mouvement présente une éclaircie avec ses intermèdes de jazz ravélien. Pour ma part, et j’admets que c’est un point de vue très personnel, je rapproche ce poème symphonique au concept du sublime selon Burke, soit le regard d’un humain face à une nature grandiose, imposante mais aussi terrifiante. Et que dire de la finale absolument spectaculaire; j’étais saisi d’émerveillement.
Il va sans dire que l’interprétation est convaincante, à la hauteur d’une écriture experte et très efficace, HK Gruber étant lui-même un des fondateurs du MOB art. On ne pouvait trouver meilleur ambassadeur. La prise de son met en valeur bon nombre de détails d’un orchestre très aguerri et fait judicieusement ressortir les sonorités plus costaudes. Je recommande fortement cet enregistrement.
Guy Sauvé.
Guy Sauvé.
dimanche 1 avril 2012
Wilhelm-Friedemann Bach : Cantatas, chez Capriccio.
Barbara
Schlick,
soprano
Claudia
Schubert, alto
Wilfred
Jochens, ténor
Stephan
Schreckenberger,
basse
Rheinische
Kantorei
Das
Klein Konzert
Hermann
Max, direction
Capriccio: C5083
C’est
un généreux programme de quatre cantates réparties sur deux
disques qui nous est proposé ici par Capriccio. Il faut noter qu’il
s’agit d’une réédition. La production originale est parue au
début des années 90. Heureusement, l’enregistrement n’a pas
pris une seule ride!
Le fils
ainé du grand JSB ne manquait pas de talent. Seulement d’amabilité
dans ses rapports humains! On l’a souvent dépeint comme
insubordonné (ce qui peut attirer la sympathie quand on connaît le
caractère capricieux de certains princes de l’époque!), mais on
sait aussi qu’il faisait preuve d’intransigeance dans son refus
de prendre des élèves, ce qui l’amena à vivre des dernières
années plutôt difficiles.
Mais peu
importe les à-côtés finalement bien triviaux, la musique de WF
Bach témoigne d’un talent et d’un savoir impeccable qui devait
certainement faire la fierté du père. On sent chez ce Bach des
racines polyphoniques rigoureuses (évidemment!), mais aussi une
connaissance et un début d’assimilation du nouveau style galant
naissant.
Les deux
cantates du premier disque ont été composées pour l’Avent
(Lasset uns ablegen die
werke der Finsternis) et
pour la Saint-Jean-Baptiste (Es
ist eine Stimme eines Predigers in der Wüste).
La
première, qui se traduit grossièrement par « Rejetons
les œuvres des Ténèbres »,
comprend quelques passages particulièrement beaux, comme un chœur
d’ouverture marquant avec ses trompettes scintillantes ainsi que
deux arias sensibles et touchants. La structure générale de l’œuvre
(comme celle de toutes les autres sur cet enregistrement) est
résolument calquée sur le modèle du père.
La
deuxième, « La voix
de celui qui criait dans le désert »,
s’amorce elle aussi avec un chœur étincelant, supporté par une
trompette vigoureuse. L’aria de la soprano bénéficie d’un
accompagnement d’orgue qui dut paraître surprenant pour les
oreilles les plus conservatrices de l’époque : les lignes
d’arabesques de l’instrument sont plus osées que chez papa. Le
style galant est clairement en train de pointer son nez ici!
Le
deuxième disque comprend deux autres cantates, soit Dies
ist der Tag (C’est le jour!)
et Erzittert und fallet
(Tremblez et tombez), la
première donnée le dimanche de la Pentecôte et l’autre lors du
dimanche de Pâques.
Dies
ist der Tag débute sur une
sinfonia empreinte de légèreté. Les deux arias sont réservés
cette fois aux voix masculines, un au ténor et l’autre à la
basse. Malgré le caractère symbolique positif de la fête de la
Pentecôte, cette cantate de WF est réservée et ne fait pas montre
d’une virtuosité éclatante ni d’une orchestration
spectaculaire. Sa facture économe fait agréablement contraste avec
les autres.
Erzittert
und fallet reprend là où
le premier disque se terminait, soit avec une orchestration
brillante, des chœurs agiles et imposants, des arias
impressionnants, même dans leur douceur. Le premier, celui du ténor,
est un dialogue pastoral entre le soliste et deux flûtes légères
et un brin gaillardes. Le deuxième est un duo entre la soprano et le
baryton où le hautbois sert d’entremetteur habile. Les lignes
ondoyantes des trois voix (deux chantées et une instrumentale) sont
tout à fait superbes. Le dernier aria est une pièce plus fougueuse
pour la soprano, qui répète « Rugissez,
flots et éclairs tonitruants! »
avec beaucoup d’aplomb.
Les voix
sont très belles, et de niveau supérieur. Barbara Schlick se révèle
ici l’artiste accomplie qu’elle deviendra plus tard (n’oublions
pas que cet enregistrement date de 1991!), et la basse
Schreckenberger m’a particulièrement plu grâce à son agilité et
sa puissance affective.
Magnifique.
Frédéric
Cardin
Pasquini : Passion Cantatas, chez Brilliant.
Sharon
Rostorf-Zamir, soprano
Furio
Zanasi,
baryton
Capella
Tiberina
Giovanni
Caruso, direction
Brilliant Classics: BRI94225
C’est
la première fois que j’entre en contact avec la musique de
Bernardo Pasquini (1637-1710). Ce compositeur installé à Rome fut
associé toute sa vie à la cour de Giovanni Battista Borghese.
Les deux
cantates présentées sur ce disque ont probablement dû être
données lors des célébrations pascales à la chapelle Borghese.
La
première, Hor ch’il Ciel
fra densi horrori, est un
commentaire critique sur l’indifférence de l’homme face aux
souffrances du Christ, alors que la Terre, la Mer, l’Air, la Lune
et le Soleil partagent ses douleurs. La deuxième, Padre,
Signore e Dio, apporte une
lumière plus positive sur le drame de Pâques en présentant un
Christ triomphant sur la mort.
La
musique de Pasquini est teintée de références modales, signe d’un
certain conservatisme du compositeur, mais sans négliger les
couleurs nouvelles en plein épanouissement ailleurs dans le monde
musical de l’époque.
L’alternance
air-récitatif est assez systématique. Certains airs ont par contre
une durée très courte. Ils sont moins longs que le récitatif
accompagnateur! La plume mélodique de Pasquini n’est pas sans
intérêt. Quelques moments se détachent, tel ce Miei
pallori dans la première
des deux cantates, ou ce duo presque sensuel Se
in dono la fede dans la
deuxième cantate au programme.
Comme il
se doit, Hor ch’il Ciel
fra densi horrori, est une
œuvre relativement retenue dans son déploiement de prouesses
vocales, alors que Padre,
Signore e Dio est plus
festif et « italien » de caractère.
Malgré
la joliesse de la musique, force est de constater que nous ne sommes
pas en face d’une redécouverte majeure pour l’histoire de la
musique.
Les voix
sont tout à fait adéquates. J’ai bien aimé la rondeur agréable
des graves du baryton, Furio (!) Zanasi.
On ne
crie pas au génie ici, mais on est tout de même heureux de voir la
maison Brilliant investir dans des productions autonomes qui vont à
l’encontre des sentiers battus habituels. La prise de son est assez
rapprochée, mais pas aride ni aigre.
Frédéric
Cardin
Hasse : Messe in d; Miserere, chez Capriccio.
Maria
Zadori, soprano
Lena
Susanne Norin, alto
Kai
Wessel, alto
Hans
Jörg Mammel; Wilfried Jochens, tenors
Klaus
Mertens; Stephan Schreckenberger, basses
Rheinische
Kantorei
Das
Kleine Konzert
Hermann
Max, direction
Capriccio: C5125
Johann
Adolf Hasse est né en 1699 et mort en 1783. Il a donc chevauché à
la fois la fin du baroque et les débuts de la période classique.
On
entend cette dualité dans sa musique. Un mouvement fait penser à
Mozart (au Requiem,
bien entendu), puis le suivant, heureuse surprise, nous ramène à
Bach.
La Messe
a été composée en 1751 pour l’Électeur de Saxe, récemment
converti au catholicisme afin d’avoir accès au trône de Pologne.
L’élégance des lignes mélodiques et la clarté du propos
témoignent du grand savoir dont faisait preuve Hasse. Non seulement
le savoir ajouterai-je, mais aussi le talent pour créer d’agréables
lignes mélodiques, de caractère parfois élégiaque, parfois plus
allègre, mais toujours mémorable. On devine l’esthétique
italianisante de Hasse, l’une des influences durables du
compositeur.
Le
Miserere
est une œuvre plus hâtive, datant de la trentaine du compositeur.
La luminosité des harmonies côtoie les moments invitant au
recueillement introspectif. L’ensemble projette une image de
bienveillance souriante (la misère est toujours moins pénible sous
les couleurs italiennes, non?) et accueillante. Vous serez
littéralement ravis par cette musique.
Les
solistes font très belle figure, en particulier la soprano Maria
Zadori dont j’ai particulièrement apprécié la souplesse vocale
appuyée sur une puissance affirmée.
La
direction d’Hermann Max est sensible et dosée, l’orchestre
projette une sonorité pleine et ample, aidé du chœur, très
solide. La prise de son est naturellement réverbérante. J’aime
beaucoup, beaucoup.
Frédéric
Cardin
Telemann: Der Tod Jesu, chez Rondeau Productions.
Siri
Karoline Thornhill,
soprano
Suzanne
Krumbiegel
alto
Albrecht
Sachs,
ténor
Gotthold
Schwartz,
basse
Bach
Consort Leipzig
Gotthold
Schwartz,
direction
Rondeau: ROP6038
Der Tod
Jesu n’est pas une mise en musique habituelle de la passion du
Christ. Contrairement aux passions mieux connues de Bach (par
exemple), le texte utilisé par Telemann n’est pas tiré des
Évangiles, mais a plutôt été écrit par Karl Wilhelm Ramler. Le
résultat est une sorte de commentaire affectif sur des épisodes
précis de la Passion, en particulier ceux qui impliquent des moments
émotifs forts qui sont vécus par les protagonistes. Une attention
spéciale a été portée sur les personnages « ordinaires »
qui sont impliqués dans le drame (des passants, des témoins
insoupçonnés) ou encore aux moments d’émotion intime vécues par
les personnages, plutôt que strictement sur les grandes figures
imposantes. Le librettiste a manifestement voulu rapprocher son œuvre
du public issu du peuple, et non des princes et autres gens de cour.
Telemann
s’est emparé du livret et l’a mis en musique pour une première
représentation en 1755. Le compositeur n’était pas étranger à
l’exercice des cantates sur le sujet pascal (il composa une
quarantaine de passions!). À la différence de Graun qui mit en
musique lui aussi le même texte avec un langage mélodique plus
moderne et galant, Telemann utilise la rigueur baroque pour donner
vie aux différents personnages et aux évocations de Ramler. Ceci
étant dit, Telemann apporte quelques innovations intéressantes,
particulièrement remarquées dans le traitement des récitatifs.
Ceux-ci sont en effet accompagnés par des partitions à trois voix,
ce qui est plus élaboré que dans les standards du baroque sacré.
Qui plus est, les récitatifs, plutôt que de se contenter de
propulser l’action pour arriver plus rapidement au prochain air,
expriment ici une palette plus large de sentiments et d’intimité
affective.
La
musique de Telemann est belle, mais réservée. Elle n’a pas cette
flamboyance lumineuse ni cette facilité mélodique des grands
standards du répertoire. On ne s’y ennuie pas, mais il faut
accepter d’aller à la rencontre d’une œuvre mesurée et
discrète.
Les
performances musicales sont assez belles. Les voix ont une belle
ampleur. Le Bach Consort Leipzig fait montre d’une agréable
disposition. J’ai remarqué ici et là des fausses notes. En
particulier, dans l’introduction, le cor naturel fait preuve d’une
faiblesse carrément gênante. Mais tout semble se placer par la
suite.
Pour le
congé pascal, voici une œuvre qu’il serait tentant d’explorer.
Malgré la relative obscurité de cette passion, plusieurs versions
existent sur le marché, certaines franchement stimulantes. Celle-ci
ne me donne pas l’impression d’être parmi les meilleures.
Frédéric
Cardin
Graupner: Wo gehet Jesus hin - Passionskantaten chez Carus.
Anton
Webern-Chor Freiburg
Ensemble
Concerto Grosso
Hans
Michael Beurle, direction
Carus: CV83457
Des
cantates de Graupner. En connaissiez-vous plusieurs? Moi, pas du
tout. Mais quelle belle rencontre!
Ces
cantates ressemblent passablement aux exmples de Bach en la matière.
Elles ont une structure en 7 ou 8 mouvements. Les airs alternent avec
des récitatifs et des parties chorales.
Le
baroque exemplifié par Graupner est limpide, cohérent,
remarquablement bien équilibré. La facilité mélodique du
compositeur est en évidence dans les nombreux airs. Ces cantates
s’appuient sur des livrets signés Johann Conrad Lichtenberg. Les
textes de Lichtenberg refusent une quelconque indulgence dans les
habituels affects baroques, souvent surlignés à grands traits
Ici,
Lichtenberg propose plutôt des voyages qui s’amorcent dans une
certaine noirceur pénitente, et qui progressent vers la lumière,
vers la joie de la rédemption. La musique de Graupner se marie fort
habilement à cette séquence, maniant avec efficacité la transition
des tonalités mineures vers la luminosité du majeur.
Trois
cantates sont au programme. Wir
wissen, dass Trübsal Geduld bringet (Nous
savons que le malheur impose la patience), Wo
gehet Jesus hin? (Où va
Jesus?) et Freud, warum bist
du kommen? (Ami, pourquoi
es-tu venu?).
Les
solistes sont particulièrement remarquables, et surtout la soprano
Sonja Bühler, qui possède un timbre angélique et aérien. Je
découvre ici le chœur Anton-Webern de Fribourg et l’Ensemble
Concerto Grosso. Ils sont sous la direction sensible de Hans-Michael
Beurle. Je ne peux que vous recommander le plus chaleureusement
possible l’écoute attentive de ces superbes cantates de la
Passion, idéales en ce temps pascal. Vous serez séduit par la
beauté des œuvres en présence, et par la qualité des
interprétations.
Frédéric
Cardin
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