Nikolai
Rimsky-Korsakov (1844-1908)
Le
Coq d’or, opéra en 3 actes (1907)
Livret
de Vladimir Bielski, basé sur un conte de Pouchkine
Ennosuke
Ichikawa, mise en scène
Setsu
Asakura, décors
Tomio
Mohri, costumes
Jean
Kalman, éclairages
Albert
Schagidullin, basse (Le tsar Dodon)
Barry
Banks, ténor-altino (L’astrologue)
Olga
Trifonova, soprano colorature (La reine Chemakha)
Yuri
Maria Saenz, soprano (Le coq d’or)
Choeur
du Théatre Mariinsky
Orchestre
de Paris
Kent
Nagano, chef
Label :
ArtHaus Musik 108 053
Format :
Blu-Ray, tout territoire
Chanté
en russe
Sous-titré :
Anglais, allemand, italien, français, espagnol, chinois
Durée :
108 minutes
Enregistrement
public au Théâtre Musical de Paris – Châtelet 2002
Les
décors sont sobres et efficients, les costumes féeriques,
l’orchestration colorée, les arias de la reine Chemakha superbes
mais, surtout, le livret est irrévérencieux au possible. Les
démêlés avec la censure feront en sorte que ce dernier opéra de
Rimsky-Korsakov sera créé plus d’un an après sa mort dans un
théâtre privé car rarement l’image d’un souverain encore au
pouvoir est autant écorché sur une scène musicale (« bavard
décrépit », « esprit empli d’une honteuse paresse »,
etc). Et c’est le compositeur qui insistait auprès de Bielski pour
maintenir le ton âprement corrosif de la caricature dénonciatrice.
Il
fallait donc qu’il y ait quelque chose de pourri dans le royaume du
tsar Nicolas II pour que Rimsky-Korsakov s’en donne à coeur joie à
ce point. Deux événements ont provoqué ce règlement de compte. En
1905, Rimsky-Korsakov est renvoyé du Conservatoire de
Saint-Petersbourg, malgré 34 ans de loyaux services comme
professeur, pour avoir pris le parti des élèves exclus du
Conservatoire suite à leur participation aux manifestations contre
le régime tsariste. Il sera cependant rapidement rétabli à son
poste tant les appuis en sa faveur fusaient de partout à travers le
pays.
Le
deuxième événement fut la défaite militaire très humiliante de
la Russie contre le Japon, événement mieux connu sous le nom de
guerre russo-japonaise (1904-1906). Rimsky-Korsakov, qui avait été
officier de marine, prit alors un malin plaisir à adapter le conte
de Pouchkine en une satire mordante de l’incompétence militaire,
de la vanité ridicule du principal protagoniste, de la plus pure
sottise des classes privilégiées, nommément les boyards.
Parlons
opéra maintenant. Rimsky-Korsakov avait une grande prédilection
pour l’exotisme dont les recherches sur les plans mélodiques et
harmoniques se sont révélées dans Shéhérazade, Sadko, la
symphonie Antar, le Capriccio espagnol, l’opéra
Mlada. Peut-être ceci, en plus d’un rappel de la victoire
du Japon contre la Russie, expliquerait que, pour cette production du
Châtelet, on fit appel à une équipe entièrement japonaise (sauf
pour l’éclairage) dont le maître d’œuvre, Ennosuke Ichikawa,
est lui-même adaptateur génial du théâtre kabuki pour le public
contemporain. Cette approche kabuki surprendra de prime abord sur le
plan visuel, puisque contre toute attente pour un public occidental,
mais le résultat est somptueux, mémorable. Ichikawa avait
d’ailleurs employé la même mise en scène en 1984 et 1996. À ce
titre, le format Blu-Ray s’avère le support le plus approprié à
ce jour pour conserver et diffuser ce joyau scénique. Notre
attention est à ce point captivée par les séductions raffinées
des soieries orientales du deuxième acte, nappées d’ambiances
lumineuses plus suggestives que strictement fonctionnelles, et qui
contrastent vivement aux apparats d’une noblesse amollie et
décadente telle qu’on la voit dans le premier acte, qu’on en
vient presqu’à se demander si l’art musical ne devient ici
secondaire. Prenons garde de rester trop longtemps aveuglé par cette
éclipse.
Il
faut rendre aux musiciens la juste part de leurs mérites. Tout
d’abord, la direction d’orchestre est tout à fait experte. Mais
il faut souligner les qualités vocales des solistes malgré les
risques que comportent leur tessiture extrêmement large. Dans son
excellent commentaire, André Lischke mentionne un autre contraste
entre les deux cultures qui s’opposent dans leurs actes respectifs.
Alors que les personnages les plus grossiers « maintiennent le
chant dans les limites du réalisme … l’astrologue et surtout la
reine, créatures féeriques, ont des parties vocales beaucoup plus
élaborées. » Pour le mélomane peu habitué à l’opéra, le
premier acte paraîtra peut-être un peu rébarbatif d’autant plus
que le compositeur est allé aux « limites admissibles du
modernisme musical » (André Lischke) mais sa patience sera
récompensée : dès que la reine Chemakha amorce dans le
deuxième acte le magnifique Hymne au soleil, on ne peut faire
autrement que d’admirer cette prouesse musicale digne des plus
beaux moments d’opéra et qui sert de prélude à tout une portion
fort captivante.
En
somme, ArtHaus Musik a ajouté à son catalogue une resplendissante
production qui servira désormais de référence car la réussite est
totale quelque soit le point de vue selon lequel on voudra
l’observer.
Guy
Sauvé
Mai
2012