lundi 30 avril 2012

Louis Lortie joue Chopin volume 2 chez Chandos.

Le pianiste québécois Louis Lortie s'est attiré les louanges de la critique à travers l'Europe, l'Asie, les États Units et le Canada, en particulier pour avoir choisi d’explorer sa voix d'interprète à travers un large répertoire plutôt que dans la spécialisation d'un style donné. Décrivant son jeu de "toujours immaculé et imaginatif " The Times a identifié une combinaison de spontanéité totale et de maturité méditée que seuls possèdent les grands pianistes".


«Une très belle approche qui souligne une fois de plus l’importance de ce grand pianiste.» Christophe Rodriguez, Journal de Montréal avril 2012.


Il magnifie la poésie des phrases et illumine l'élégances des lignes. Il insuffle une vie délicate, mais volontaire, à tout l'édifice émotif qui abrite et transcende les oeuvres qu'il interprète. Frédéric Cardin, Espace.mu 20 avril 2012.


Écoutez Louis Lortie dans la Ballade en sol mineur de Chopin. Quelle éloquence! On oublie les doigts, on oublie la technique. Richard Boisvert, Le Soleil 14 avril 2012.


Chandos: CHAN 10714.

lundi 23 avril 2012

Chopin Recital deuxième volume de Janina Fialkowska chez Atma Classqiue.


À propos du premier volume de Chopin Recital de Janina Fialkowska, Le Devoir parlait d'"un disque magistral, viscéral, qui touche profondément l’auditeur, avec un aplomb supérieur à tout ce dont on se souvenait d’elle." 
Il existe bien peu de compositeurs dont la musique pour piano peut meubler une soirée entière sans mettre à mal l’attention ou la bonne volonté d’un auditoire qui ne soit pas composé de musiciens professionnels. Des récitals tout Chopin, cependant, ont été populaires tout au long du XXe siècle et cette popularité ne se dément pas en ce siècle-ci. C’est pourquoi Janina Fialkowska n’a aucune hésitation à proposer ici un second album tout Chopin.
Aimé et admiré par presque tous ses contemporains, Chopin a envoûté aussi bien les musiciens de sa génération que ceux des générations futures. Sa musique demeure aussi fraîche et enchanteresse aujourd’hui que le jour où elle fut couchée sur papier. Janina Fialkowska a une fois de plus choisi un programme très personnel composé, entre autres, de Valses, Préludes et Mazurkas.

Atma Classique: ACD2 2666.

Disque d'André Moisan et Jean Saulnier chez Atma Classique.


«J’ai beaucoup de respect pour les clarinettistes tels Benny Goodman et tant d’autres qui ont su stimuler les compositeurs à traverser cette frontière entre le jazz et le monde plus « classique » et provoquant l’émergence d’un nouveau genre.» - André Moisan

Atma Classique: ACD2 2517.

dimanche 15 avril 2012

Schulhoff, oeuvres pour piano, vol. n°1 chez Grand Piano.


Erwin Schulhoff (1894-1942)

Partita pour piano (WV 63) :

1-Tempo di Fox
2-Jazz-like
3-Tango-Rag
4-Tempo di Fox à la Hawaii
5-Boston
6-Tempo di Rag
7-Tango
8-Shimmy-Jazz

Susi – Fox-Song (WV 124) 

Suite no. 3 pour la main gauche (WV 80)

1-Preludio
2-Air
3-Zingara
4-Improvisazione
5-Finale

Variations et fugue sur un thème original dorien (WV 27)

Caroline Weichert, piano
Label : Grand Piano GP 604
Durée: 59 min.51
Année d’enregistrement: 2010
Distribué au Canada par Naxos

Derrière ce disque si agréable à écouter se cache la tragédie d’un immense talent prématurément anéanti par le racisme le plus abject. Né à Prague, Erwin Schulhoff croupissait durant la dernière année de sa vie dans un camp de concentration nazi; sa mort est survenue à seulement 48 ans. Peut-on imaginer quelques instants les souffrances physiques et morales de ce compositeur qui a pourtant goûté très tôt la reconnaissance artistique non seulement de ses compatriotes tchèques mais aussi de ses pairs allemands et autrichiens ?
           
Dès l’âge de sept ans (1901), le célèbre compositeur tchèque Antonin Dvorak recommande l’enfant pianiste prodige au Conservatoire de musique de Prague. Son talent phénoménal le conduit plus tard vers les prestigieux professeurs du temps avec qui il étudiera à Vienne, Leipzig Cologne et Berlin et où il remportera de non moins prestigieux prix d’interprétation et de composition.

Ce qui caractérise l’intérêt que l’on doit porter à Schulhoff vient autant de son évolution l’amenant à s’adapter aux styles les plus divers qu’à sa façon de parodier les conventions superficielles encore tenaces. On se délectera d’aller à la découverte de son oeuvre qui comporte soit la forme baroque du concerto baroque telle que dans sonConcerto pour flûte, piano et orchestre, des oeuvres de jeunesse post-romantiques ou sous l’influence impressionniste de Debussy avec qui il a étudié en 1913, des oeuvres du courant dadaïste telle la Sonata erotica pour voix de femme évoquant l’orgasme ou la provocante Symphonia Germanica, de la musique pour le théâtre dont celle pour une adaptation du Bourgeois gentilhomme de Molière, l’expressionnisme atonal de la Seconde école de Vienne, ou encore les vastes symphonies à programme comme laSymphonie de la Liberté dédiée à l’Armée rouge. Sans compter qu’il fut le premier interprète dans son pays à promouvoir la musique en quarts de ton.

Mais sûrement le jazz et autres musiques de danse qui ont fait les délices des Années folles (fox-trot, tango, shimmy, stomp, charleston, etc.) ont pris une importance significative. En tant que pianiste de jazz, il donna de nombreux concerts pour la radio tchèque pour subsister suite à l’anathème du régime hitlérien (« musique dégénérée ») et dut emprunter un pseudonyme pour échapper à la traque nazie. Malheureusement, il fut arrêté en 1941 pour finalement périr de malnutrition et de maladie dans un camp de concentration en Bavière.
Pour revenir au disque dont il est question ici, il représente donc un hommage de grande valeur. D’abord parce que la prise de son offre un équilibre parfait dans tous les registres avec une acoustique qui laisse le son respirer de la manière la plus confortable pour nos oreilles. Ensuite, l’interprétation est impeccable sur le plan technique: le son est clair, la rythmique précise, les nuances souples et sans exagération intempestive. Tout semble si facile: légèreté des fox-trots, doux éclairages de sonorités debussystes, admirable contrôle de la pédale dans les pièces pour la main gauche.

Quant au programme, il est reflet d’une volonté d’offrir dans un premier temps un aperçu de la grande accessibilité de sa musique. C’est pourquoi il est largement dominé par l’inspiration des harmonies jazz et modales, par des suites de pièces courtes (dans les quinze variations WV 27, une dizaine durent moins d’une minute, et la durée moyenne de toutes les plages est d’environ deux minutes), par un ensemble de pièces de caractères variés. J’ai donc hâte d’écouter le prochain volume de la série autant d’ailleurs que les autres titres de ce label (Raff, Frommel, Weinberg, Saint-Saëns) compte tenu du soin exemplaire qu’il accorde à la qualité des enregistrements et du choix de compositeurs pour la plupart encore fort méconnus du public.

Guy Sauvé

Avril 2012

mercredi 11 avril 2012

Magifique avec choréographie de Thierry Malandain chez Arthaus.


               TCHAIKOVSKY, P.I.: Magifique [Ballet] (Malandain Ballet, 2010) (NTSC)

Magifique : Tchaïkovsky Suites
Musique : Tchaïkovsky
Décors et costumes : Jorge Gallardo
Malandain Ballet Biarritz
Chorégraphie : Thierry Malandain
Arthaus 108 034



Thierry Malandain a fondé son Ballet Biarritz en 1998, et guide sa destinée avec vision et audace depuis ce temps. En 2009, il a décidé de s’attaquer à des monstres sacrés du ballet classique par excellence : les 3 ballets féériques de Tchaïkovsky, soit La Belle au bois dormant, Le Lac des cygnes et Casse-Noisette. Pour dira vrai, il ne s’agit pas des ballets eux-mêmes, mais plutôt des suites symphoniques tirées des partitions originales. En fin de compte, Malandain passe doublement au tamis des œuvres, et surtout des mélodies, qui sont ancrées dans la psyché occidentale comme peu d’autres. En effet, non seulement réinterprète-t-il tout le visuel associé si étroitement aux œuvres, mais il s’appuie sur des pièces musicales qui ont elles-mêmes été retirées de leur contexte par le compositeur pour être proposées comme entités autonomes (bien que musicalement très près de leur incarnation originale).


Malandain conçoit trois tableaux (autant de suites!) liées par de courts intermèdes au caractère mystérieux, voire énigmatique et même un brin ténébreux. Ces épisodes sont accompagnés d’une musique signée Nicolas Dupéroir, qui tisse une trame de caractère contemporain tachetée de réminiscences (sous forme de citations) des partitions de Tchaïkovsky. 


Chacun de ces tableaux est une sorte de sublimation abstraite et extrêmement poétique des principaux éléments des contes originalement si bien racontés par la musique de Tchaïkovsky. 


Malandain utilise avec une infinie distinction et un extrême bon goût quelques éléments simples de mise en scène : des miroirs réflecteurs qui servent aussi de paravent ou de murs, des barres d’entraînement ou encore des costumes-peau délicatement brodés de motifs qui rappellent un peu certaines créations pour le Cirque du Soleil. Mais en bien plus discret! La surface de la scène elle-même semble être enduite d’une pellicule réfléchissante qui fait écho aux miroirs. 


L’univers créé par le chorégraphe baigne dans une agréable lumière dorée, tirant parfois sur le cuivré. L’ensemble confère à l’œuvre une dimension onirique qui vient magnifiquement (devrai-je dire maGIfiquement!) compléter une vision transcendante, mais absolument pas sur-intellectualisée.


Il faut vraiment voir cette envoûtante oscillation, cette ondoyante vibration de l’air qui semble enrober les danseurs, résultat de la jonction des divers reflets de la lumière. L’éclairage charnel et la beauté soyeuse des corps dans leurs costumes ambrés sont exaltés par un habile jeu de réfraction polyphonique des couleurs et des textures grâce aux miroirs et à la surface réverbérante du sol. La cohésion avec la musique de Tchaïkovsky est totale. Sa sensualité inhérente s’épanouit comme jamais grâce à l’instinct brillant de Malandain.


L’idée de se servir des suites symphoniques des ballets est vraiment géniale. On ne s’éternise donc jamais inutilement sur le sujet, et on y retrouve les mélodies les plus essentielles à entendre. Ces petits concentrés musicaux permettent au chorégraphe de ramener lui aussi à l’essentiel tout son propos. Les grands instants de ces histoires maintenant archi-connues s’y trouvent, mais en parallèle avec un commentaire très personnel du chorégraphe, formulé de façon très émouvante et poétique.


Voici l’une des créations de danse contemporaine les plus touchantes que j’aie vu depuis longtemps. 


Frédéric Cardin.

Orlando Furioso, le Dvd avec Marie-Nicole Lemieux chez Naïve.


Vivaldi: Orlando furioso

Marie-Nicole Lemieux (Orlando), contralto
Jennifer Larmore (Alcina), mezzo-soprano
Veronica Gangemi (Angelica), soprano
Philippe Jaroussky (Ruggiero), contreténor
Christian Senn (Astolfo), baryton
Kristina Hammarström (Bradamante), mezzo-soprano
Romina Basso (Medoro), mezzo-soprano
Pierre Audi, mise en scène
Patrick Kinmonth, décors et costumes
Choeur du Théâtre des Champs-Élysées
Ensemble Matheus
Jean-Christiophe Spinosi, direction
Naïve DVD DR 2148


Marie-Nicole Lemieux est un véritable plaisir à regarder, et à entendre bien entendu. Cet Orlando est une magnifique réussite. Grâce à une distribution tout étoile (Marie-Nicole, on l’a dit, mais aussi Jennifer Larmore, Philippe Jaroussky et Kristina Hammerström) et à la direction incisive de Spinosi (quel instrument quand même cet Ensemble Matheus!), cette production du Théâtre des Champs-Élysées devra tôt ou tard faire son chemin jusque dans votre lecteur!

On connaît l’histoire d’Orlando. Celui-ci arrive sur l’île dominée par la magicienne Alcina, à la recherche de celle qu’il aime, Angelica. Il est chargé de détruire Alcina en s’emparant des cendres de Merlin, source du pouvoir absolu sur cette île. Angelica est cependant amoureuse de Medoro et celui-ci sous le charme d’Alcina. S’ajoutent à cela les personnages de Ruggiero (un autre chevalier) et Bradamante (sa bien-aimée). Les quiproquos engendrés par la magie d’Alcina et les tribulations amoureuses de tout un chacun finissent par créer une trame bien emberlificotée, typique des intrigues baroques, mais sans humour. Tout ici est traité dans un sens dramatique.

C’est la musique de Vivaldi, glorieuse, qui attache toutes ces invraisemblances ensemble. C’est pour elle, vraiment, que nous prenons le temps aujourd’hui de monter, d’enregistrer et d’écouter cette œuvre qui s’avère magnifique. Malgré deux siècle d’oubli, c’est bien la partition flamboyante du vénitien qui nous a convaincu d’y reporter attention. On y entend défiler une succession d’airs tour à tour spectaculaires et poignants.

Les solistes sont tous très bons. Marie-Nicole tend à surjouer un peu, mais on lui pardonne facilement. Après tout, nous sommes dans un opéra baroque qui parle de magie et de preux chevaliers! La voix est belle et somptueuse. Jennifer Larmore, dont la voix a un peu vieilli, semble trouver sa grâce ici dans le personnage d’Alcina. Son large vibrato, qui m’agaçait autrefois est inscrit dans le tempérament du personnage, imposant et tempétueux. Philippe Jaroussky possède l’un des plus beaux instruments vocaux du monde lyrique. Son Ruggiero est sensible, déterminé, mais parfois fragile aussi. Kristina Hammerström est une touchante Bradamante.

Jean-Philippe Spinosi, je l’ai dit, dirige avec diligence et intensité l’Ensemble Matheus, qui répond à ses moindres inflections avec une célérité impressionnante.

La mise en scène constitue l’élément qui risque de faire le moins l’unanimité. On a campé l’action et les personnages dans une atmosphère très sombre, décors et costumes comme autant de teintes de gris, bleu foncé ou beige. Cette « épuration » a ses avantages : on y perçoit avec plus d’acuité l’émotion des personnages, peu distraits que nous sommes par une orgie de baroquismes visuels. Ceci dit, ce genre de production peut très bien bénéficier d’une mise en scène à « l’authentique ». La magie de ce genre d’histoire est aussi contenue, en partie du moins, dans la flamboyance typique de ce que l’on pouvait probablement voir à cette époque. Je demeure franchement ouvert en ce qui a trait aux visions des metteurs en scène à l’opéra. Mais je sais que ce n’est pas au goût de tous et toutes. Alors soyez avertis qu’Orlando baigne dans un dépouillement suggestif d’une forme épurée d’intériorité, plutôt que dans une réminiscence spectaculaire et historiciste.

Quoiqu’il en soit, cette production vaut absolument le détour!

Frédéric Cardin

dimanche 8 avril 2012

Kenneth Leighton (1929-1988) : Œuvres pour orchestre, vol. 3


Symphonie no. 1, op. 42 (1963-64) en première mondiale
 Concerto pour piano et orchestre no. 3, op. 57,
Concerto estivo” (concerto d’été) en première mondiale
 Howard Shelley, piano
BBC National Orchestra of Wales
Martyn Brabbins, chef
Enregistrement: Décembre 2009
Durée: 73 min. 03
Chandos Chan 10608
Curieux destin que celui de la symphonie après la deuxième Guerre mondiale. Autant l’on peut croire que ce genre a perdu son aura de passage obligé pour tout compositeur voulant laisser sa marque sur le continent européen, autant sa vitalité s’est maintenue en Russie, les pays de l’Europe de l’est, les pays scandinaves, les États-Unis et l’Angleterre.
 Compte tenu de la réputation pleinement justifiée de plus grand symphoniste du XXème siècle qu’avait acquise Chostakovich, il serait intéressant de vérifier dans quelle mesure son influence s’est exercée grâce au dégel des relations anglo-soviétiques dans les années soixante, notamment sur cette belle et troublante symphonie du compositeur britannique Kenneth Leighton.
 En effet, des parentés stylistiques n’échappent pas à notre attention, que ce soit dans les ponctuations de percussion, les paroxysmes orchestraux habilement amenés, les dissonances expressives, la stridence de violons, la motorique soutenue des cordes, les contrepoints dépouillés et tendus.
 Cette première symphonie de Leighton renferme donc de nombreux ingrédients d’un langage moderne, appliqué aussi sur le plan formel. Ainsi, le mouvement central (Allegro molto ed  impetusoso) est le plus rapide des trois, chose inhabituelle pour l’auditeur plus familier aux formes classiques/romantiques. Par contre, elle ne recèle que quelques traits de l’avant-gardisme d’œuvres majeures écrites vers la même date (par ex. : Penderecki).
Il n’en demeure pas moins que Leighton nous livre une œuvre très personnelle, patiemment mûrie d’essais qu’il a rejetés, mais aussi d’œuvres substantielles précédentes (Concerto pour violoncelle de 1956, son premier quatuor à cordes de 1956, The Light Invisible de 1958 pour choeur à 8 voix et orchestre, Quintette avec piano de 1959, Passacaglia, Chorale and Fugue de 1959). Toutes ces œuvres lui ont conféré une solide réputation de « maillon vital de l’avenir de la musique d’après-guerre en Grande-Bretagne ». Cette longue préparation lui valut le premier prix au Concours international de composition de Trieste en 1965. Il était grand temps que cette œuvre soit enregistrée.
Chacun des mouvements est construit sur des variations de petites cellules mélodico-rythmiques, basées sur des extrêmes d’intervalles (tantôt demi-tons/tierces, tantôt sixtes ou septièmes). Il est fascinant de voir comment le compositeur parvient à transformer une cellule en longues broderies sinueuses côtoyant des phrases anguleuses dans le premier mouvement, en longues phrases d’un lyrisme tragique dans le troisième mouvement. La grande force de Leighton réside d’une part dans l’ingéniosité du développement polyphonique à partir d’un matériau minimal et, d’autre part, et surtout, dans le dosage parfaitement maîtrisé d’effets sonores qui amènent l’auditeur à ressentir de puissantes impressions dont les empreintes marquent longtemps après une première écoute.
L’œuvre entière est d’une intensité obsessionnelle. Tandis que les premier et troisième mouvements représentent désespoir et désolation, par moments combatttus par « une protestation violente » (Leighton), le deuxième mouvement « relâche les rênes et cherche dans une esprit de rébellion à aboutir à une réponse affirmative par la seule force de la volonté » (Leighton).  Musicalement parlant, ce deuxième mouvement se traduit par une motorique haletante aux cordes et par un climax digne de la danse sacrale de Stravinsky (surtout à la section 59 de la partition). Quelle hallucinante chorégraphie on pourrait tirer de ces huit minutes enivrantes !  
Le troisième mouvement (Molto adagio e sostenuto) vaut plus d’un détour. Il me rappelle la splendide passacaille op. 33b de Britten (Chandos CHAN 8473). Tourmenté, parfois douloureux, mais sublime, il est baigné d’une grandeur hiératique, avec son mélange de fanfare grandiose et de cordes/flûtes aiguës (section 71). Je ne peux faire autrement que d’établir le rapprochement avec l’assassinat du président J.F. Kennedy (1963) qui a laissé le monde entier dans une stupeur incrédule et la désolation, événement absurde qui n’a pas pu échapper au compositeur et qui lui a peut-être inspiré l’énigmatique coda (section 80), une sorte de post-scriptum de sept mesures qui « ne laisse à la fin qu’un point d’interrogation » (Leighton).
Quant au concerto pour piano, il forme un couplage cohérent puisque semblable au style d’écriture basé sur des variations de brefs motifs mélodico-rythmiques. Ce n’est donc pas un concerto post-romantique aux longues phrases et antinomie thématique.
On pourrait se lasser justement de la répétition de telles variations si ce n’était des nombreux jeux de textures et des deux épisodes solistes au piano (Leighton était un excellent pianiste) auxquels s’est adonné le compositeur. Par exemple, la combinaison harpe/piano /clarinette dans le deuxième mouvement évoque effectivement « la chaleur et la tranquillité d’un long après–midi d’été » (Leighton). Il est intéressant de voir comment il utilise cette fois la forme du concerto pour générer le développement d’un discours issu lui aussi au départ de courts motifs et aussi d’observer comment il s’écarte du modèle symphonique.
Ici, le piano a le rôle de présenter le matériel motivique à la suite de quoi procède le dialogue avec les diverses forces en présence. Leighton devient plus imaginatif dans la réalisation de climats plus divers (par ex. : les sonorités évanescentes du piano dans l’introduction du deuxième mouvement, le passage avec cloches et piano menant à un effet de carillon un peu sinistre, ambiguïté entre calme et arrière-pensée plus ou moins amère de résignation dans le troisième mouvement, la finale exubérante, virtuose, très ravélienne et nerveuse).
Comme souvent chez Chandos, l’interprétation est convaincante et magnifiquement servie par une prise de son détaillée, équilibrée et très présente. Une réussite sur ces deux plans. Ma recommandation est des plus vives pour la symphonie qui malgré sa couleur sombre, parfois inquiétante, mérite nettement d’être davantage connue du public. Elle compte désormais parmi mes symphonies préférées du XXème siècle.
Guy Sauvé

Johan Halvorsen (1864-1935) L’œuvre pour orchestre, vol. 1



Marche d’entrée des boyards (ca. 1893)
Andante religioso (1ère mondiale- 1890) (*)
Suite de Mascarade (1922)
La Mélancolie (1913) (**)
Symphonie no. 1 en do mineur (1920)

Marianne Thorsen, violon (*)
Melina Mandozzi, violon (**)
Orchestre phiharmonique de Bergen
Neeme Järvi, chef
Chandos Chan 10584
Durée : 76 min.48

Johan Halvorsen, violoniste virtuose, arrangeur et chef d’orchestre, fut, avec Sinding, l’un des compositeurs norvégiens les plus importants de sa génération après Grieg et Svendsen et faisait partie d’un groupe qui a maintenu la tradition romantique dans son pays. Manifestant très jeune un véritable talent, Halvorsen devint à l’âge de quinze ans, violoniste du Folktheater de Kristiana (aujourd’hui Oslo). En 1885, il fut promu premier violon de l’Orchestre Harmonien de Bergen, l’ancêtre de la formation qui figure sur ce disque. En 1899, il devient chef de cet orchestre et directeur musical du théâtre national de la ville. À ce titre, sa carrière se développa considérablement; il dirigeait de la musique scénique surtout composée par lui (plus d’une trentaine pour des pièces de théâtre), mais aussi toutes les productions lyriques, les matinées musicales, les concerts symphoniques et folkloriques jusqu’à sa retraite en 1929.

En tant que compositeur de musique pour le théâtre, il s’est établi une réputation fort enviable grâce à une grande maîtrise des ressources instrumentales (il savait jouer de presque tous les instuments de l’orchestre), habilement adaptées aux différents caractères des scènes et des mouvements de danses. Pour s’en convaincre, on n’a qu’à écouter comment il sait rendre l’atmosphère élégante et gaie du cotillon, menuet, gavotte, passepied, bacchanale mais aussi relever l’aspect comique, caricatural de la danse grotesque (Molinasque), toutes tirées de sa suite pour Mascarade. On peut en dire autant de la Marche d’entrée des boyards, pièce flamboyante qui ouvre magnifiquement cette série dédiée à l’œuvre orchestrale de Halvorsen et qui compte parmi ses oeuvres les plus justement célèbres.

Il était grand temps que l’anthologie amorcée par Chandos soit entreprise pour sortir Halvorsen de l’oubli en dehors des pays scandinaves. En complétant le programme par la première de ses trois symphonies, on sera plus en mesure d’apprécier l’émulation qu’il a donnée à ce genre à la génération de compositeurs qui a suivi. Avant lui, Grieg rejetta la seule symphonie qu’il avait rédigée. Quant à Svendsen (1840-1911), surtout connu pour ses rapsodies norvégiennes, a laissé deux symphonies qui procèdent d’un style personnel et caractérisé à la fois par l’influence du folklore et de la forme classique. Ensuite, Sinding (1856-1941), fort apprécié de son vivant mais boudé par la suite à cause des réactionnaires antiromantiques, a laissé quatre symphonies dont seule la première, composée en 1880 et révisée en 1890, semble la plus réussie.

Avec Halvorsen, le post-romantisme prend davantage le pas avec un premier mouvement (Allegro non troppo) ouvrant sans délai sur un thème décidé, grandiose mais dont la tonalité mineure et le rythme en hémioles viennent donner une teinte un peu tragique mais tempérée par un deuxième thème tendre, optimiste et vaillant. Le deuxième mouvement (Andante) est d’un lyrisme ample et aux textures plus denses. Le scherzo, débutant sur des accords d’une plénitude sereine, retrouve légèreté et humour (par ex. : mélodie aux hautbois accompagnée du tintement de triangle). Le final propose diverses évocations très prégnantes, telle la mélodie irrésistible de la clarinette, le thème dramatique de l’Allegro deciso, un passage d’une suavité toute brahmsienne (à 2 min.27 et à 6 min 52), une parenthèse surprenante et comique (à 4 min 28), une coda concluant dans une apothéose triomphante.

Avec cette superbe symphonie, écrite vers la fin de la cinquantaine, Halvosen démontre une orchestration brillante (admirablement servie par une prise de son de très grande qualité) avec des pupitres très habilement utilisés, une conduite cohérente des thèmes et des développements ainsi qu’une personnalité sûre, appuyée par la maturité d’un travail constant. Bref, une très belle découverte qui nous rendra impatients d’écouter les prochains volumes à plus forte raison que ce répertoire ne pourrait trouver meilleur ambassadeur que l’Orchestre philharmonique de Bergen dont l’histoire remonte, selon les notes du livret, aussi loin que 1765, « ce qui fait de cet ensemble l’un des plus anciens orchestres du monde » et que Halvorsen lui-même a dirigé pendant plus de trente ans.

Guy Sauvé

jeudi 5 avril 2012

Kurt Schwertsik, Nachtmusiken, L'Amérique et Baumgesänge chez Chandos.


Kurt Schwertsik (né en 1935)
Nachtmusiken, op. 104 (Musiques de nuit – 2010 – Première mondiale)
Herr K entdenckt  Amerika, op. 101 (Monsieur K découvre l’Amérique – 2008 – Première mondiale)
Baumgesänge, op. 65 (Chants de l’arbre - 1992)
BBC Philharmonic
HK Gruber, chef
Chandos Chan 10687
Durée: 59 min. 52
Date d’enregistrement: 2010


Quelle formidable révélation ! Ce disque démontre hors de tout doute que l’on peut être résolument (néo)romantique et crédible en tant qu’artiste de nos jours, c’est-à-dire sans renier cette part de romantisme qui habite tout artiste doté d’une sensibilité réceptive à la fantaisie, au rêve, à la poésie, au mystère. Car c’est bien ces dimensions que l’on retrouve dans les  œuvres choisies ici, typiques du mouvement désigné par « MOB art & tone ART ».

Il vaut la peine ici de prendre quelques minutes pour expliquer de quoi il s’agit. C’est en 1966 pendant un séjour aux États-Unis que Schwertsik a combiné Mob (dans le sens de groupe urbain, distinct du folklorique ou de la masse anonyme) et tone Art (qui rappelle le concept de tonalité qui était tabou dans certains cercles musicaux depuis plusieurs décennies). Mais plus important encore, ce mouvement signifie une rupture avec les tendances beaucoup trop cérébrales de la musique contemporaine d’alors. Dès 1965, Schwertsik affirme : « Mon intention n’était pas seulement de définir où se situent mes œuvres mais aussi de critiquer les formes de musique contemporaine qui sont devenues à ce point compliquées que c’est seulement pendant le processus de composition que le compositeur lui-même les comprend. » Essentiellement, le MOB art & tone ART vise l’accessibilité de la communication à l’égard des auditeurs non-initiés, le divertissement intelligent, et n’hésite pas, au besoin, à emprunter les ressources de la musique populaire sans verser dans la médiocrité.

Les seize plages de ce disque nous amènent dans des univers poétiques variés qui révèlent une imagination orchestrale remarquable. Par exemple, le premier mouvement desNachtmusiken, traduit en français par Janacek m’est apparu en rêve, est une « pensée nocturne » mélancolique mais prend en quelques occasions des allures passionnées qui n’auraient pas déplu à Liszt. Le deuxième mouvement, Wienerlied (Mélodie viennoise), fait entendre un accordéon dans une valse sentimentale. Le troisième, For David Drew, est une touchante oraison funèbre et intimiste dédié à un ami. Le quatrième, Geschwindmarsch, est une marche rapide dont la frénésie, digne d’une « colère noire », rappelle, avec force xylophone et percussion, un passage mémorable de la dixième symphonie de Shostakovich. Le dernier,  Flucht (Fuite), s’amorce avec des lignes fuguées aux cordes (on pense encore à Shostakovich) pour aboutir à des interventions aux instruments à vents évoquant Mahler.

Herr K endenckt Amerika, satire musicale basée sur un roman inachevé de Kafka, ne cède en rien dans la profusion des évocations. En quatre courts tableaux très pittoresques (La traverséeÀ l’hôtel, En chemin, Le théâtre de la nature en Oklahoma), on savoure la délicate caricature du dépaysement et des déboires d’un européen dans le « nouveau monde » tantôt bourdonnant d’activités, tantôt d’un calme qui n’inspire pas nécessairement la sérénité. Avec ses allusions au jazz, à la fanfare de cirque ou d’un « fiddler », la preuve d’une assimilation habile de divers genres est faite. Il y a une sorte de sourire en coin dans toute cette suite qui ne nous laisse pas indifférent.

Quant aux Baumgesänge, en six mouvements, l’emploi d’accords majestueux et parfois dissonants du premier mouvement, l’ostinato menaçant des instruments graves sur des motifs de deux ou trois notes du troisième mouvement, les sonorités agressives du deuxième et de l’introduction du sixième, le climat étrange qui transpire lors des parties extrêmes ainsi que la partie médiane rythmée et tendue dans le cinquième, tout cela n’est point fait pour nous rassurer. Seul, le quatrième mouvement présente une éclaircie avec ses intermèdes de jazz ravélien. Pour ma part, et j’admets que c’est un point de vue très personnel, je rapproche ce poème symphonique au concept du sublime selon Burke, soit le regard d’un humain face à une nature grandiose, imposante mais aussi terrifiante. Et que dire de la finale absolument spectaculaire; j’étais saisi d’émerveillement.

Il va sans dire que l’interprétation est convaincante, à la hauteur d’une écriture experte et très efficace, HK Gruber étant lui-même un des fondateurs du MOB art. On ne pouvait trouver meilleur ambassadeur. La prise de son met en valeur bon nombre de détails d’un orchestre très aguerri et fait judicieusement ressortir les sonorités plus costaudes. Je recommande fortement cet enregistrement.


Guy Sauvé.



dimanche 1 avril 2012

Wilhelm-Friedemann Bach : Cantatas, chez Capriccio.


Barbara Schlick, soprano
Claudia Schubert, alto
Wilfred Jochens, ténor
Stephan Schreckenberger, basse
Rheinische Kantorei
Das Klein Konzert
Hermann Max, direction
Capriccio: C5083

C’est un généreux programme de quatre cantates réparties sur deux disques qui nous est proposé ici par Capriccio. Il faut noter qu’il s’agit d’une réédition. La production originale est parue au début des années 90. Heureusement, l’enregistrement n’a pas pris une seule ride!

Le fils ainé du grand JSB ne manquait pas de talent. Seulement d’amabilité dans ses rapports humains! On l’a souvent dépeint comme insubordonné (ce qui peut attirer la sympathie quand on connaît le caractère capricieux de certains princes de l’époque!), mais on sait aussi qu’il faisait preuve d’intransigeance dans son refus de prendre des élèves, ce qui l’amena à vivre des dernières années plutôt difficiles.

Mais peu importe les à-côtés finalement bien triviaux, la musique de WF Bach témoigne d’un talent et d’un savoir impeccable qui devait certainement faire la fierté du père. On sent chez ce Bach des racines polyphoniques rigoureuses (évidemment!), mais aussi une connaissance et un début d’assimilation du nouveau style galant naissant.

Les deux cantates du premier disque ont été composées pour l’Avent (Lasset uns ablegen die werke der Finsternis) et pour la Saint-Jean-Baptiste (Es ist eine Stimme eines Predigers in der Wüste).

La première, qui se traduit grossièrement par « Rejetons les œuvres des Ténèbres », comprend quelques passages particulièrement beaux, comme un chœur d’ouverture marquant avec ses trompettes scintillantes ainsi que deux arias sensibles et touchants. La structure générale de l’œuvre (comme celle de toutes les autres sur cet enregistrement) est résolument calquée sur le modèle du père.

La deuxième, « La voix de celui qui criait dans le désert », s’amorce elle aussi avec un chœur étincelant, supporté par une trompette vigoureuse. L’aria de la soprano bénéficie d’un accompagnement d’orgue qui dut paraître surprenant pour les oreilles les plus conservatrices de l’époque : les lignes d’arabesques de l’instrument sont plus osées que chez papa. Le style galant est clairement en train de pointer son nez ici!

Le deuxième disque comprend deux autres cantates, soit Dies ist der Tag (C’est le jour!) et Erzittert und fallet (Tremblez et tombez), la première donnée le dimanche de la Pentecôte et l’autre lors du dimanche de Pâques.

Dies ist der Tag débute sur une sinfonia empreinte de légèreté. Les deux arias sont réservés cette fois aux voix masculines, un au ténor et l’autre à la basse. Malgré le caractère symbolique positif de la fête de la Pentecôte, cette cantate de WF est réservée et ne fait pas montre d’une virtuosité éclatante ni d’une orchestration spectaculaire. Sa facture économe fait agréablement contraste avec les autres.

Erzittert und fallet reprend là où le premier disque se terminait, soit avec une orchestration brillante, des chœurs agiles et imposants, des arias impressionnants, même dans leur douceur. Le premier, celui du ténor, est un dialogue pastoral entre le soliste et deux flûtes légères et un brin gaillardes. Le deuxième est un duo entre la soprano et le baryton où le hautbois sert d’entremetteur habile. Les lignes ondoyantes des trois voix (deux chantées et une instrumentale) sont tout à fait superbes. Le dernier aria est une pièce plus fougueuse pour la soprano, qui répète « Rugissez, flots et éclairs tonitruants! » avec beaucoup d’aplomb.

Les voix sont très belles, et de niveau supérieur. Barbara Schlick se révèle ici l’artiste accomplie qu’elle deviendra plus tard (n’oublions pas que cet enregistrement date de 1991!), et la basse Schreckenberger m’a particulièrement plu grâce à son agilité et sa puissance affective.

Magnifique.

Frédéric Cardin

Pasquini : Passion Cantatas, chez Brilliant.


Sharon Rostorf-Zamir, soprano
Furio Zanasi, baryton
Capella Tiberina
Giovanni Caruso, direction
Brilliant Classics: BRI94225

C’est la première fois que j’entre en contact avec la musique de Bernardo Pasquini (1637-1710). Ce compositeur installé à Rome fut associé toute sa vie à la cour de Giovanni Battista Borghese.

Les deux cantates présentées sur ce disque ont probablement dû être données lors des célébrations pascales à la chapelle Borghese.

La première, Hor ch’il Ciel fra densi horrori, est un commentaire critique sur l’indifférence de l’homme face aux souffrances du Christ, alors que la Terre, la Mer, l’Air, la Lune et le Soleil partagent ses douleurs. La deuxième, Padre, Signore e Dio, apporte une lumière plus positive sur le drame de Pâques en présentant un Christ triomphant sur la mort.

La musique de Pasquini est teintée de références modales, signe d’un certain conservatisme du compositeur, mais sans négliger les couleurs nouvelles en plein épanouissement ailleurs dans le monde musical de l’époque.

L’alternance air-récitatif est assez systématique. Certains airs ont par contre une durée très courte. Ils sont moins longs que le récitatif accompagnateur! La plume mélodique de Pasquini n’est pas sans intérêt. Quelques moments se détachent, tel ce Miei pallori dans la première des deux cantates, ou ce duo presque sensuel Se in dono la fede dans la deuxième cantate au programme.

Comme il se doit, Hor ch’il Ciel fra densi horrori, est une œuvre relativement retenue dans son déploiement de prouesses vocales, alors que Padre, Signore e Dio est plus festif et « italien » de caractère.

Malgré la joliesse de la musique, force est de constater que nous ne sommes pas en face d’une redécouverte majeure pour l’histoire de la musique.

Les voix sont tout à fait adéquates. J’ai bien aimé la rondeur agréable des graves du baryton, Furio (!) Zanasi.

On ne crie pas au génie ici, mais on est tout de même heureux de voir la maison Brilliant investir dans des productions autonomes qui vont à l’encontre des sentiers battus habituels. La prise de son est assez rapprochée, mais pas aride ni aigre.

Frédéric Cardin

Hasse : Messe in d; Miserere, chez Capriccio.


Maria Zadori, soprano
Lena Susanne Norin, alto
Kai Wessel, alto
Hans Jörg Mammel; Wilfried Jochens, tenors
Klaus Mertens; Stephan Schreckenberger, basses
Rheinische Kantorei
Das Kleine Konzert
Hermann Max, direction
Capriccio: C5125

Johann Adolf Hasse est né en 1699 et mort en 1783. Il a donc chevauché à la fois la fin du baroque et les débuts de la période classique.

On entend cette dualité dans sa musique. Un mouvement fait penser à Mozart (au Requiem, bien entendu), puis le suivant, heureuse surprise, nous ramène à Bach.

La Messe a été composée en 1751 pour l’Électeur de Saxe, récemment converti au catholicisme afin d’avoir accès au trône de Pologne. L’élégance des lignes mélodiques et la clarté du propos témoignent du grand savoir dont faisait preuve Hasse. Non seulement le savoir ajouterai-je, mais aussi le talent pour créer d’agréables lignes mélodiques, de caractère parfois élégiaque, parfois plus allègre, mais toujours mémorable. On devine l’esthétique italianisante de Hasse, l’une des influences durables du compositeur.

Le Miserere est une œuvre plus hâtive, datant de la trentaine du compositeur. La luminosité des harmonies côtoie les moments invitant au recueillement introspectif. L’ensemble projette une image de bienveillance souriante (la misère est toujours moins pénible sous les couleurs italiennes, non?) et accueillante. Vous serez littéralement ravis par cette musique.

Les solistes font très belle figure, en particulier la soprano Maria Zadori dont j’ai particulièrement apprécié la souplesse vocale appuyée sur une puissance affirmée.

La direction d’Hermann Max est sensible et dosée, l’orchestre projette une sonorité pleine et ample, aidé du chœur, très solide. La prise de son est naturellement réverbérante. J’aime beaucoup, beaucoup.


Frédéric Cardin

Telemann: Der Tod Jesu, chez Rondeau Productions.


Siri Karoline Thornhill, soprano
Suzanne Krumbiegel alto
Albrecht Sachs, ténor
Gotthold Schwartz, basse
Bach Consort Leipzig
Gotthold Schwartz, direction
Rondeau: ROP6038

Der Tod Jesu n’est pas une mise en musique habituelle de la passion du Christ. Contrairement aux passions mieux connues de Bach (par exemple), le texte utilisé par Telemann n’est pas tiré des Évangiles, mais a plutôt été écrit par Karl Wilhelm Ramler. Le résultat est une sorte de commentaire affectif sur des épisodes précis de la Passion, en particulier ceux qui impliquent des moments émotifs forts qui sont vécus par les protagonistes. Une attention spéciale a été portée sur les personnages « ordinaires » qui sont impliqués dans le drame (des passants, des témoins insoupçonnés) ou encore aux moments d’émotion intime vécues par les personnages, plutôt que strictement sur les grandes figures imposantes. Le librettiste a manifestement voulu rapprocher son œuvre du public issu du peuple, et non des princes et autres gens de cour.

Telemann s’est emparé du livret et l’a mis en musique pour une première représentation en 1755. Le compositeur n’était pas étranger à l’exercice des cantates sur le sujet pascal (il composa une quarantaine de passions!). À la différence de Graun qui mit en musique lui aussi le même texte avec un langage mélodique plus moderne et galant, Telemann utilise la rigueur baroque pour donner vie aux différents personnages et aux évocations de Ramler. Ceci étant dit, Telemann apporte quelques innovations intéressantes, particulièrement remarquées dans le traitement des récitatifs. Ceux-ci sont en effet accompagnés par des partitions à trois voix, ce qui est plus élaboré que dans les standards du baroque sacré. Qui plus est, les récitatifs, plutôt que de se contenter de propulser l’action pour arriver plus rapidement au prochain air, expriment ici une palette plus large de sentiments et d’intimité affective.

La musique de Telemann est belle, mais réservée. Elle n’a pas cette flamboyance lumineuse ni cette facilité mélodique des grands standards du répertoire. On ne s’y ennuie pas, mais il faut accepter d’aller à la rencontre d’une œuvre mesurée et discrète.

Les performances musicales sont assez belles. Les voix ont une belle ampleur. Le Bach Consort Leipzig fait montre d’une agréable disposition. J’ai remarqué ici et là des fausses notes. En particulier, dans l’introduction, le cor naturel fait preuve d’une faiblesse carrément gênante. Mais tout semble se placer par la suite.

Pour le congé pascal, voici une œuvre qu’il serait tentant d’explorer. Malgré la relative obscurité de cette passion, plusieurs versions existent sur le marché, certaines franchement stimulantes. Celle-ci ne me donne pas l’impression d’être parmi les meilleures.

Frédéric Cardin

Graupner: Wo gehet Jesus hin - Passionskantaten chez Carus.



Anton Webern-Chor Freiburg
Ensemble Concerto Grosso
Hans Michael Beurle, direction
Carus: CV83457

Des cantates de Graupner. En connaissiez-vous plusieurs? Moi, pas du tout. Mais quelle belle rencontre!

Ces cantates ressemblent passablement aux exmples de Bach en la matière. Elles ont une structure en 7 ou 8 mouvements. Les airs alternent avec des récitatifs et des parties chorales.

Le baroque exemplifié par Graupner est limpide, cohérent, remarquablement bien équilibré. La facilité mélodique du compositeur est en évidence dans les nombreux airs. Ces cantates s’appuient sur des livrets signés Johann Conrad Lichtenberg. Les textes de Lichtenberg refusent une quelconque indulgence dans les habituels affects baroques, souvent surlignés à grands traits

Ici, Lichtenberg propose plutôt des voyages qui s’amorcent dans une certaine noirceur pénitente, et qui progressent vers la lumière, vers la joie de la rédemption. La musique de Graupner se marie fort habilement à cette séquence, maniant avec efficacité la transition des tonalités mineures vers la luminosité du majeur.

Trois cantates sont au programme. Wir wissen, dass Trübsal Geduld bringet (Nous savons que le malheur impose la patience), Wo gehet Jesus hin? (Où va Jesus?) et Freud, warum bist du kommen? (Ami, pourquoi es-tu venu?).

Les solistes sont particulièrement remarquables, et surtout la soprano Sonja Bühler, qui possède un timbre angélique et aérien. Je découvre ici le chœur Anton-Webern de Fribourg et l’Ensemble Concerto Grosso. Ils sont sous la direction sensible de Hans-Michael Beurle. Je ne peux que vous recommander le plus chaleureusement possible l’écoute attentive de ces superbes cantates de la Passion, idéales en ce temps pascal. Vous serez séduit par la beauté des œuvres en présence, et par la qualité des interprétations.

Frédéric Cardin