Symphonie
no. 1, op. 42 (1963-64)
en première
mondiale
Concerto
pour piano et orchestre no. 3, op. 57,
“Concerto
estivo”
(concerto d’été)
en première
mondiale
Howard
Shelley, piano
BBC
National Orchestra of Wales
Martyn
Brabbins, chef
Enregistrement:
Décembre 2009
Durée:
73 min. 03
Chandos
Chan 10608
Curieux
destin que celui de la symphonie après la deuxième Guerre mondiale.
Autant l’on peut croire que ce genre a perdu son aura de passage
obligé pour tout compositeur voulant laisser sa marque sur le
continent européen, autant sa vitalité s’est maintenue en Russie,
les pays de l’Europe de l’est, les pays scandinaves, les
États-Unis et l’Angleterre.
Compte
tenu de la réputation pleinement justifiée de plus grand
symphoniste du XXème siècle qu’avait acquise Chostakovich, il
serait intéressant de vérifier dans quelle mesure son influence
s’est exercée grâce au dégel des relations anglo-soviétiques
dans les années soixante, notamment sur cette belle et troublante
symphonie du compositeur britannique Kenneth Leighton.
En
effet, des parentés stylistiques n’échappent pas à notre
attention, que ce soit dans les ponctuations de percussion, les
paroxysmes orchestraux habilement amenés, les dissonances
expressives, la stridence de violons, la motorique soutenue des
cordes, les contrepoints dépouillés et tendus.
Cette
première symphonie de Leighton renferme donc de nombreux ingrédients
d’un langage moderne, appliqué aussi sur le plan formel. Ainsi, le
mouvement central (Allegro
molto ed impetusoso)
est le plus rapide des trois, chose inhabituelle pour l’auditeur
plus familier aux formes classiques/romantiques. Par contre, elle ne
recèle que quelques traits de l’avant-gardisme d’œuvres
majeures écrites vers la même date (par ex. : Penderecki).
Il
n’en demeure pas moins que Leighton nous livre une œuvre très
personnelle, patiemment mûrie d’essais qu’il a rejetés, mais
aussi d’œuvres substantielles précédentes (Concerto pour
violoncelle de 1956, son premier quatuor à cordes de 1956, The
Light Invisible
de 1958 pour choeur à 8 voix et orchestre, Quintette avec piano de
1959, Passacaglia,
Chorale and Fugue
de 1959). Toutes ces œuvres lui ont conféré une solide réputation
de « maillon
vital de l’avenir de la musique d’après-guerre en
Grande-Bretagne ».
Cette longue préparation lui valut le premier prix au Concours
international de composition de Trieste en 1965. Il était grand
temps que cette œuvre soit enregistrée.
Chacun
des mouvements est construit sur des variations de petites cellules
mélodico-rythmiques, basées sur des extrêmes d’intervalles
(tantôt demi-tons/tierces, tantôt sixtes ou septièmes). Il est
fascinant de voir comment le compositeur parvient à transformer une
cellule en longues broderies sinueuses côtoyant des phrases
anguleuses dans le premier mouvement, en longues phrases d’un
lyrisme tragique dans le troisième mouvement. La grande force de
Leighton réside d’une part dans l’ingéniosité du développement
polyphonique à partir d’un matériau minimal et, d’autre part,
et surtout, dans le dosage parfaitement maîtrisé d’effets sonores
qui amènent l’auditeur à ressentir de puissantes impressions dont
les empreintes marquent longtemps après une première écoute.
L’œuvre
entière est d’une intensité obsessionnelle. Tandis que les
premier et troisième mouvements représentent désespoir et
désolation, par moments combatttus par « une
protestation violente »
(Leighton), le deuxième mouvement « relâche
les rênes et cherche dans une esprit de rébellion à aboutir à une
réponse affirmative par la seule force de la volonté »
(Leighton). Musicalement parlant, ce deuxième mouvement se
traduit par une motorique haletante aux cordes et par un climax digne
de la danse sacrale de Stravinsky (surtout à la section 59 de la
partition). Quelle hallucinante chorégraphie on pourrait tirer de
ces huit minutes enivrantes !
Le
troisième mouvement (Molto
adagio e sostenuto)
vaut plus d’un détour. Il me rappelle la splendide passacaille op.
33b de Britten (Chandos CHAN 8473). Tourmenté, parfois douloureux,
mais sublime, il est baigné d’une grandeur hiératique, avec son
mélange de fanfare grandiose et de cordes/flûtes aiguës (section
71). Je ne peux faire autrement que d’établir le rapprochement
avec l’assassinat du président J.F. Kennedy (1963) qui a laissé
le monde entier dans une stupeur incrédule et la désolation,
événement absurde qui n’a pas pu échapper au compositeur et qui
lui a peut-être inspiré l’énigmatique coda (section 80), une
sorte de post-scriptum de sept mesures qui « ne
laisse à la fin qu’un point d’interrogation »
(Leighton).
Quant
au concerto pour piano, il forme un couplage cohérent puisque
semblable au style d’écriture basé sur des variations de brefs
motifs mélodico-rythmiques. Ce n’est donc pas un concerto
post-romantique aux longues phrases et antinomie thématique.
On
pourrait se lasser justement de la répétition de telles variations
si ce n’était des nombreux jeux de textures et des deux épisodes
solistes au piano (Leighton était un excellent pianiste) auxquels
s’est adonné le compositeur. Par exemple, la combinaison
harpe/piano /clarinette dans le deuxième mouvement évoque
effectivement « la
chaleur et la tranquillité d’un long après–midi d’été »
(Leighton). Il est intéressant de voir comment il utilise cette fois
la forme du concerto pour générer le développement d’un discours
issu lui aussi au départ de courts motifs et aussi d’observer
comment il s’écarte du modèle symphonique.
Ici,
le piano a le rôle de présenter le matériel motivique à la suite
de quoi procède le dialogue avec les diverses forces en présence.
Leighton devient plus imaginatif dans la réalisation de climats plus
divers (par ex. : les sonorités évanescentes du piano dans
l’introduction du deuxième mouvement, le passage avec cloches et
piano menant à un effet de carillon un peu sinistre, ambiguïté
entre calme et arrière-pensée plus ou moins amère de résignation
dans le troisième mouvement, la finale exubérante, virtuose, très
ravélienne et nerveuse).
Comme
souvent chez Chandos, l’interprétation est convaincante et
magnifiquement servie par une prise de son détaillée, équilibrée
et très présente. Une réussite sur ces deux plans. Ma
recommandation est des plus vives pour la symphonie qui malgré sa
couleur sombre, parfois inquiétante, mérite nettement d’être
davantage connue du public. Elle compte désormais parmi mes
symphonies préférées du XXème siècle.
Guy
Sauvé
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