«Chaque artiste crée ses précurseurs. Son travail modifie notre conception du passé autant que celle du futur». Jorge Luis Borges

dimanche 14 octobre 2012

Le Paris des Romantiques avec Le Cercle de L'Harmonie chez Naïve.



Le Paris des Romantiques

Napoléon-Henri Reber (1807-1880) :
Symphonie no. 4 en sol majeur, op. 33 (entre 1840 et 1850 – 1ère mondiale)
Hector Berlioz (1803-1869) :
Rêverie et Caprice pour violon et orchestre, op. 8 (1841)
Franz Liszt (1811-1886) :
Concerto pour piano no. 1 en mi bémol majeur (1839-50)

Julien Chauvin, violon (Gian-Battista Gabrieli, 1757)
Bertrand Chamayou, piano (Érard, 1837)
Le Cercle de l’Harmonie (instruments d’époque)
Jérémie Rhorer, chef

Label : Ambroisie AM 207
Enregistrement public (Octobre 2011)
Durée : 55 min. 00

Nous sommes loin d’avoir épuisé tout le répertoire romantique et ce disque confirme, grâce à une interprétation convaincante et chaleureuse, que le chemin sera long avant d’aboutir au recensement phonographique complet des œuvres.

Il y a d’une part, cette quatrième symphonie d’un compositeur pratiquement inconnu à ce jour, Napoléon-Henri Reber, professeur au Conservatoire de musique de Paris et membre, comme son contemporain Berlioz, de l’Académie des beaux-arts à l’Institut de France. Tant pour l’oeuvre que pour le compositeur, il me semble que ce soit la première fois qu’ils apparaissent sur disque. J’y reviendrai un peu plus loin.

D’autre part, les interprètes et producteurs discographiques portent de plus en plus leur attention depuis quelques décennies à l’instrumentation plus authentique du 19ème siècle. On a beau avoir enregistré l’intégrale de l’œuvre pour piano de Liszt (Hyperion), on est loin du compte pour ce qui est d’une intégrale équivalente sur un piano d’époque et qui apporterait un éclairage exhaustif sur le son tel que l’entendait Liszt.

Quoiqu’un tel projet serait extrêmement ambitieux, certains labels ont commencé à mettre leur pierre à l’édifice avec des programmes entièrement consacrés au maître hongrois. Ainsi, on retrouve chez Brilliant Classics des oeuvres jouées sur un piano Bechstein (1860) ayant appartenu à Liszt, chez Oehms Classics des pièces jouées sur le Steinway (1876) donné à Wagner et chez Zig Zag Territoires la célèbre paraphrase sur le Dies irae, intitulée Totentanz, sur un Érard de 1886.

Et voilà que le label Ambroisie nous présente pour la première fois sur instrument d’époque son premier concerto pour piano (S. 124). Tout porte à croire que la belle équipe Chamayou/Le Cercle de l’Harmonie/Rhorer nous reviendra avec le deuxième concerto. Et ce serait heureux puisque cette première réalisation est vraiment merveilleuse. L’œuvre est exécutée avec brio et raffinement tout à fait en accord avec les exigences expressives de la partition; que ce soit dans les passages lyriques ou, par contraste, d’une passion déchaînée, l’orchestre sait répondre à la vision perspicace du chef. Quant à Bertrand Chamayou, qui s’est déjà signalé favorablement dans un enregistrement précédent (le cycle complet des Années de pèlerinage – Naïve), son aisance technique n’a d’égale que sa souplesse d’adaptation aux divers caractères qui composent la nature du héros romantique. Sa virtuosité se subordonne volontiers à la poésie du discours musical, signe de maturité artistique.

Mais ce que nous apporte plus particulièrement cet enregistrement, c’est une palette subtile de timbres. J’en veux pour exemple les premières mesures, au piano solo, du deuxième mouvement : portez votre attention sur la différence de sonorités entre les registres des deux mains. Toujours dans le concerto, cette fois dans le premier mouvement, à partir de 1 minute 45 : les échanges entre le piano et les solos de divers pupitres nous offrent des couleurs absolument charmantes.

De telles subtilités timbrales sont perceptibles dans la Rêverie et caprice de Berlioz notamment au violon solo qui possède parfois le moelleux nostalgique de son cousin l’alto ou encore quand le soliste est accompagné par les bois. Cet intermède nous est présenté avec une sensibilité digne des plus belles pages berlioziennes.

Mais revenons à la symphonie de Reber, la dernière dans le genre, qui regorge aussi de sonorités toute dix-neuvième. Leurs contours sont arrondis, moins agressants qu’avec les instruments modernes, les cordes moins astringeantes, les flûtes veloutées, les cuivres moins tonitruants quoique bien présents dans les passages les plus vigoureux. On s’étonnera que Reber ait été si vite oublié alors qu’il fut professeur de composition au Conservatoire, inspecteur des succursales de cette institution, nommé Chevalier de la Légion d’honneur, auteur d’un Traité d’harmonie qui connut plusieurs ré-éditions, et admiré de Saint-Saëns, ce dernier ayant réalisé une transcription pour piano à quatre mains de la symphonie en question. C’est sans doute parce que Reber témoignait très peu d’intérêt pour la musique la plus moderne de son époque, préférant plutôt rechercher une manière d’actualiser l’héritage des maîtres beaucoup plus âgés qu’il vénérait tels que Mozart, Haydn, Mendelssohn et Beethoven.

Ceci étant dit, l’œuvre est très agréable à écouter du début jusqu’à la fin, très habilement structurée (aucun temps mort, ni redite inutile) et parfois empreinte de dramatisme (à cet égard, le climax du deuxième mouvement, à partir de 7 min.33, rappelle la culmination grandiose de l’Eroica de Beethoven, ce qui n’est pas peu dire). Le scherzo et le mouvement final offrent sans doute une piste de ce à quoi on pourrait s’attendre dans sa musique pour la scène; il y a de l’entrain et de l’humour dont Offenbach et autres maître de l’opéra comique ont volontiers pris le relais.

En conclusion, musiciens et solistes défendent ce programme avec un engagement vraiment sincère et surtout avec énormément de talent. Ils font désormais partie des meilleurs représentants, du moins pour la musique française, du répertoire romantique sur instruments d’époque. L’aventure vient à peine de débuter et j’ai déjà hâte au prochain chapitre, en espérant qu’ils nous feront découvrir une nouvelle symphonie de Reber, le deuxième concerto pour piano de Liszt, ou encore quelques perles qui attendent le secours du Palazetto Bru Zane qui abrite le Centre de musique romantique française et fut l’un des partenaires les plus actifs à la réalisation de ce disque.

Guy Sauvé
Octobre 2012


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