Le Paris des Romantiques
Napoléon-Henri
Reber (1807-1880) :
Symphonie no. 4
en sol majeur, op. 33 (entre 1840 et 1850 – 1ère
mondiale)
Hector Berlioz
(1803-1869) :
Rêverie et
Caprice pour violon et orchestre, op. 8 (1841)
Franz
Liszt (1811-1886) :
Concerto
pour piano no. 1 en mi bémol majeur
(1839-50)
Julien Chauvin,
violon (Gian-Battista Gabrieli, 1757)
Bertrand Chamayou,
piano (Érard, 1837)
Le Cercle de
l’Harmonie (instruments d’époque)
Jérémie Rhorer,
chef
Label :
Ambroisie AM 207
Enregistrement
public (Octobre 2011)
Durée : 55
min. 00
Nous sommes loin
d’avoir épuisé tout le répertoire romantique et ce disque
confirme, grâce à une interprétation convaincante et chaleureuse,
que le chemin sera long avant d’aboutir au recensement
phonographique complet des œuvres.
Il y a d’une
part, cette quatrième symphonie d’un compositeur pratiquement
inconnu à ce jour, Napoléon-Henri Reber, professeur au
Conservatoire de musique de Paris et membre, comme son contemporain
Berlioz, de l’Académie des beaux-arts à l’Institut de France.
Tant pour l’oeuvre que pour le compositeur, il me semble que ce
soit la première fois qu’ils apparaissent sur disque. J’y
reviendrai un peu plus loin.
D’autre part,
les interprètes et producteurs discographiques portent de plus en
plus leur attention depuis quelques décennies à l’instrumentation
plus authentique du 19ème siècle. On a beau avoir
enregistré l’intégrale de l’œuvre pour piano de Liszt
(Hyperion), on est loin du compte pour ce qui est d’une intégrale
équivalente sur un piano d’époque et qui apporterait un éclairage
exhaustif sur le son tel que l’entendait Liszt.
Quoiqu’un tel
projet serait extrêmement ambitieux, certains labels ont commencé à
mettre leur pierre à l’édifice avec des programmes entièrement
consacrés au maître hongrois. Ainsi, on retrouve chez Brilliant
Classics des oeuvres jouées sur un piano Bechstein (1860) ayant
appartenu à Liszt, chez Oehms Classics des pièces jouées sur le
Steinway (1876) donné à Wagner et chez Zig Zag Territoires la
célèbre paraphrase sur le Dies irae, intitulée Totentanz,
sur un Érard de 1886.
Et voilà que le
label Ambroisie nous présente pour la première fois sur instrument
d’époque son premier concerto pour piano (S. 124). Tout porte à
croire que la belle équipe Chamayou/Le Cercle de l’Harmonie/Rhorer
nous reviendra avec le deuxième concerto. Et ce serait heureux
puisque cette première réalisation est vraiment merveilleuse.
L’œuvre est exécutée avec brio et raffinement tout à fait en
accord avec les exigences expressives de la partition; que ce soit
dans les passages lyriques ou, par contraste, d’une passion
déchaînée, l’orchestre sait répondre à la vision perspicace du
chef. Quant à Bertrand Chamayou, qui s’est déjà signalé
favorablement dans un enregistrement précédent (le cycle complet
des Années de pèlerinage – Naïve), son aisance technique
n’a d’égale que sa souplesse d’adaptation aux divers
caractères qui composent la nature du héros romantique. Sa
virtuosité se subordonne volontiers à la poésie du discours
musical, signe de maturité artistique.
Mais ce que nous
apporte plus particulièrement cet enregistrement, c’est une
palette subtile de timbres. J’en veux pour exemple les premières
mesures, au piano solo, du deuxième mouvement : portez votre
attention sur la différence de sonorités entre les registres des
deux mains. Toujours dans le concerto, cette fois dans le premier
mouvement, à partir de 1 minute 45 : les échanges entre le
piano et les solos de divers pupitres nous offrent des couleurs
absolument charmantes.
De telles
subtilités timbrales sont perceptibles dans la Rêverie et
caprice de Berlioz notamment au violon solo qui possède parfois
le moelleux nostalgique de son cousin l’alto ou encore quand le
soliste est accompagné par les bois. Cet intermède nous est
présenté avec une sensibilité digne des plus belles pages
berlioziennes.
Mais revenons à
la symphonie de Reber, la dernière dans le genre, qui regorge aussi
de sonorités toute dix-neuvième. Leurs contours sont arrondis,
moins agressants qu’avec les instruments modernes, les cordes moins
astringeantes, les flûtes veloutées, les cuivres moins tonitruants
quoique bien présents dans les passages les plus vigoureux. On
s’étonnera que Reber ait été si vite oublié alors qu’il fut
professeur de composition au Conservatoire, inspecteur des
succursales de cette institution, nommé Chevalier de la Légion
d’honneur, auteur d’un Traité d’harmonie qui connut
plusieurs ré-éditions, et admiré de Saint-Saëns, ce dernier ayant
réalisé une transcription pour piano à quatre mains de la
symphonie en question. C’est sans doute parce que Reber témoignait
très peu d’intérêt pour la musique la plus moderne de son
époque, préférant plutôt rechercher une manière d’actualiser
l’héritage des maîtres beaucoup plus âgés qu’il vénérait
tels que Mozart, Haydn, Mendelssohn et Beethoven.
Ceci étant dit,
l’œuvre est très agréable à écouter du début jusqu’à la
fin, très habilement structurée (aucun temps mort, ni redite
inutile) et parfois empreinte de dramatisme (à cet égard, le climax
du deuxième mouvement, à partir de 7 min.33, rappelle la
culmination grandiose de l’Eroica de Beethoven, ce qui n’est
pas peu dire). Le scherzo et le mouvement final offrent sans doute
une piste de ce à quoi on pourrait s’attendre dans sa musique pour
la scène; il y a de l’entrain et de l’humour dont Offenbach et
autres maître de l’opéra comique ont volontiers pris le relais.
En conclusion,
musiciens et solistes défendent ce programme avec un engagement
vraiment sincère et surtout avec énormément de talent. Ils font
désormais partie des meilleurs représentants, du moins pour la
musique française, du répertoire romantique sur instruments
d’époque. L’aventure vient à peine de débuter et j’ai déjà
hâte au prochain chapitre, en espérant qu’ils nous feront
découvrir une nouvelle symphonie de Reber, le deuxième concerto
pour piano de Liszt, ou encore quelques perles qui attendent le
secours du Palazetto Bru Zane qui abrite le Centre de musique
romantique française et fut l’un des partenaires les plus actifs à
la réalisation de ce disque.
Guy Sauvé
Octobre 2012
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