«Chaque artiste crée ses précurseurs. Son travail modifie notre conception du passé autant que celle du futur». Jorge Luis Borges

vendredi 10 février 2012

Rameau: Platée


Rameau: Platée

Paul Agnew (Platée)
Mireille Delunsch (La Folie, Thalie)
Yann Beuron (Thespis, Mercure)
Vincent Le Texier (Jupiter)
Doris Lamprecht (Junon)
Laurent Naouri (Cithéron)
Valérie Gabail (L’Amour, Clarine)
Frank Leguerinel (Momus)
Laura Scozzi, chorégraphe
Laurent Pelly, mise en scène et costumes
Orchestre et Chœur des Musiciens du Louvre - Grenoble
Marc Minkowski, direction
Arthaus Musik 107335 (2-DVDs)

Cette production de l’Opéra national de Paris présentée au Palais Garnier au tout début du millénaire fut, selon la plupart des commentaires de l’époque, un véritable triomphe. Cette version maintenant disponible en DVD présente la reprise de 2002 où Paul Agnew remplaçait Jean-Paul Fouchécourt, acclamé la première fois. Agnew n’est pas le dernier venu et son Platée n’est pas moins truculent de ridicule, mais surtout superbement mis en voix par cet artiste sérieux et inspirant.

Platée est un opéra baroque parmi les plus exceptionnels qui existent. L’obscurité dans laquelle il baigne encore est d’autant plus injuste.

Rameau, avec cette œuvre fantasque et éclatée, concocta un chef-d’œuvre absolu qui ne pourra que finir par conquérir la planète opéra une fois l’esthétique baroque mieux perçue et mieux acceptée au-delà des maisons spécialisées, ou celles plus audacieuses que les autres.

Platée est une nymphe de la mythologie antique, sorte de grenouille absurde régnant sur des marais « somptueux » (enfin, selon elle bien entendu). Les dieux, voulant calmer la colère de Junon, jalouse de son mari le grand Jupiter, tissent une histoire ridicule d’aventure amoureuse entre celui-ci et la risible Platée. Junon éclate de rire en voyant la nouvelle flamme de Jupiter, qui lui avoue la manigance. La blague a l’effet de rassurer Junon sur l’amour de son mari (hem…….) et de renvoyer la pauvre Platée dans ses marais, humiliée et blessée.

À travers Platée et ses dieux magouilleurs et cruels, c’est à une charge en règle contre l’aristocratie que se livrait Rameau, faisant ainsi de cet opéra un ouvrage laissant libre cours à toutes les exploitations modernes et symboliques.

La vision de Laurent Pelly est savoureuse, additionnant numéros d’esbrouffe et quiproquos plus truculents les uns que les autres. Les costumes sont à la fois suggestifs de l’époque et de notre monde contemporain, transportant ainsi toute la pièce dans un univers insolite, quelque part entre l’authenticité, le fantasque et le symbolique.

Décors, chorégraphies, éclairages, tout est teinté de ce même esprit irrévérencieux mis au service d’un spectacle qui veut à la fois redonner vie à un chef-d’œuvre du passé, relever les implications socio-politiques du texte et, surtout, ne pas bouder son plaisir!

Minkowski, qui avait déjà enregistré la partition une dizaine d’années auparavant, maîtrise parfaitement toutes les subtilités de la plume ramiste, en se permettant d’y aller encore plus avant avec des extravagances bien appropriées dans le contexte d’une œuvre aussi pétillante.

On adore.


Frédéric Cardin

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