Bournemouth
Symphony Orchestra
Bjarte
Engeset, direction
Naxos
8.5723112
La
musique de Ludvig Irgens-Jensen (1894-1969) fut pour moi l’une des
belles découvertes de l’année 2011.
Irgens-Jensen
était norvégien. Le souffle épique des sagas nordiques s’y
trouve fort bien représenté, mais aussi quelques échos mahlériens,
dans un canevas général résolument romantique. Irgens-Jensen est
décrit par ses contemporains et amis comme un homme doux et
tranquille, dégageant une impression de sagesse paisible. Il était
un artiste polyvalent, s’adonnant aussi à la poésie, la peinture
et l’amour de la nature. Ces caractéristiques séduisantes
s’expriment avec bonheur dans sa musique, ample et chorale,
élégiaque et souvent mélancolique. Ses modèles musicaux étaient
Bach, Palestrina, Chopin et Brahms.
Sa
Symphonie en ré mineur
date de 1942 et fut composée dans le cadre d’une compétition
secrète organisée par l’Association des Compositeurs norvégiens,
alors en opposition avec le régime pro-nazi qui dominait le pays.
Irgens-Jensen était lui-même un humaniste affirmé et un opposant à
l’envahisseur.
L’œuvre
est imposante, faisant près de 45 minutes, et ce en trois mouvements
distincts. Le premier mouvement donne le ton : des textures
atmosphériques rappellent indéniablement la Scandinavie et ses
légendes épiques. On pourrait facilement coller cette partition à
certaines séquences du Seigneur
des Anneaux et être tout
aussi emporté que par la trame musicale de Howard Shore. Le discours
devient plus complexe vers 3 minutes, offrant tour à tour des échos
de Mahler et de Wagner. Contrairement au premier, cependant,
Irgens-Jensen ne peut rester longtemps en eaux troubles, ressentant
apparemment le besoin viscéral de ramener le propos à des
dimensions plus élégiaques et pastorales, bien qu’une dose de
mystère dramatique ne soit jamais loin. Irgens-Jensen est également
mois massif et chargé que Wagner, recourant plusieurs fois au solo
de violon pour exprimer son caractère contemplatif. Le mouvement
reprend de la complexité vers les deux-tiers, avec un épisode
tempêtueux très mahlérien et le retour furtif d’un thème
héroïque esquissé au début du mouvement. Un certain calme revient
avant une conclusion courte mais éclatante.
Le
deuxième mouvement prend l’aspect d’une somptueuse élégie,
magnifiquement vêtue d’une orchestration riche et charnue. Les
thèmes s’entremêlent, dessinés soit par les familles
d’instruments ou encore exemplifiés par le hautbois et le violon,
protagonistes solistes privilégiés du compositeur. Le mouvement,
dans sa deuxième portion, fait place à un épisode plus tourmenté,
toujours aussi remarquablement distribué à travers tout
l’orchestre, avant d’offrir une conclusion qui renoue avec la
personnalité élégiaque du début, mais de façon plus noble et
héroïque.
Le
troisième mouvement est résolument plus martial et ténébreux,
mais sans perdre complètement ses qualités suggestives. Mahler se
rappelle ici à notre bon souvenir, mais heureusement bien attelé
par le romantisme pictural d’Irgens-Jensen, ce qui donne à l’œuvre
une dimension et une personnalité qui refusent le stéréotype trop
calqué. Une section centrale du mouvement calme substantiellement le
jeu avant de relancer la machine dans le rythme botté et affirmé du
début, transportant l’auditeur vers un paroxysme tonitruant qui,
curieusement, n’agit que comme prélude à la réelle finale de
l’œuvre, douce et nostalgique, qui s’éteint discrètement sur
un accord mineur sombre et mystérieux.
Un Air
suit cette grande symphonie. Il s’agit de la transcription pour
orchestre d’un lied paru en 1920 dans un cycle pour voix et piano,
et basé sur des textes japonais. La concision de cette pièce, qui
ne dure pas trois minutes, n’enlève rien au talent de mélodiste
d’Irgens-Jensen et offre un interlude reposant entre la Symphonie
et l’impressionnante passacaille qui suit.
Passacaglia
fut composée en 1928 lors d’un concours de compositions
commémorant le centenaire du décès de Franz Schubert.
Irgens-Jensen remporta le 2e
prix avec cette partition qui, rapidement, fit le tour du monde
symphonique d’alors, étant reprise en quelques années de Berlin à
New-York en passant par San Francisco, Venise et bien d’autres
villes. Le thème principal, adéquatement empreint de noblesse et de
gravité, est subtilement ornementé de sous-thèmes pastoraux lui
offrant ainsi une ossature charnue qui accompagne son émergence, ou
qui dépose tendrement son exposition finale dans une sorte de soupir
délicat.
Ce
disque m’apparaît certainement comme l’une des belles
révélations musicales de 2011. Tant la musique, tout à fait
inédite, que la performance sans failles de l’Orchestre de
Bournemouth, et le prix franchement amical de Naxos bien entendu,
rendent cette parution indispensable à la collection de tout
mélomane un tant soit peu sérieux.
Ma-gni-fi-que.
Frédéric
Cardin
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