«Chaque artiste crée ses précurseurs. Son travail modifie notre conception du passé autant que celle du futur». Jorge Luis Borges

lundi 1 août 2011

Concerto Köln, coffret de 6 CD chez Teldec.

Concerto Köln

Teldec 2564 69889-9 (6CD)

Le Concerto Köln est l’un des ensembles les plus passionnants à suivre. D’abord pour la qualité irréprochable de leurs interprétations. Puis pour leur choix de répertoire, souvent audacieux et exploratoire (on les appelle parfois les « truffiers » de la musique). Peu importe l’obscurité du compositeur que les membres du collectif auront choisi d’illuminer de leur inclination du moment, le plaisir de l’auditeur sera complet. C’est d’ailleurs le fil d’Ariane qui unit les différents disques de ce coffret économique, qui réédite certains des enregistrements « découvreurs » les plus marquants de l’histoire de l’ensemble, c’est-à-dire ceux qui ont exhumé de l’oubli temporel des œuvres et des créateurs excitants, souvent adulés à leur époque, puis malheureusement passés à la moulinette impitoyable de l’histoire. Faisons un tour rapide, si vous le voulez bien :

CD1 Evaristo Felice Dall’Abaco (1675-1742) : cet italien qui fut associé à la cour de l’électeur de Bavière à Munich vécut les aléas de la politique de son employeur, vaincu lors de la Guerre de Succession d’Espagne et contraint de s’exiler à Bruxelles puis en France. Ce genre de revers de fortune explique habituellement, en partie du moins, l’oubli dans lequel tombent des artistes adjoints à ces instances politiques malheureuses. Leurs œuvres ne profitent alors malheureusement pas du rayonnement international que peut offrir une Cour glorieuse et puissante. Quoiqu’il en soit, la musique de Dall’abaco, vibrante, lumineuse, attrayante et énergisante, annonçant Vivaldi à bien des égards, est certainement l’une des plus plaisantes découvertes que je fit à date dans ma vie de « truffier » mélomane.

CD2 Pietro Antonio Locatelli (1695-1764) : Bien que Locatelli ne soit pas à proprement parler un illustre inconnu, il demeure que pendant de nombreuses années, rares étaient les enregistrements de sa musique. Les membres du Concerto Köln lui apportèrent un solide soutien lorsqu’ils gravèrent ce disque originellement paru il y a plus d’une quinzaine d’années. La prise de son n’a pas pris une ride, et l’attention portée au drame quasi théâtral de cette musique expressive (en particulier le concerto grosso op.7 no.6 « Il pianto d’Arianna ») sont on ne peut plus convaincants.

CD3 Mannheim : The Golden Age : je me rappelle l’effet produit par ce disque à sa sortie en 1999. Quelle révélation que cet ensemble d’œuvres pour orchestre de Christian Cannabich, Anton Fils, Johann Stamitz et Ignaz Fränzl (avec un concerto pour violoncelle de Carl Stamitz). L’éclat des cuivres!, le mordant des cordes et la vivacité des bois. Tout ça ressemblait bel et bien à de la musique de premier niveau, chose inattendue en raison des énormes préjugés qui existaient depuis longtemps sur cette période intermédiaire, sorte de no man’s land musical (selon nos perceptions biaisées de l’époque, du moins) entre le génie baroque de Bach et l’épanouissement classique de Mozart et Haydn. Pourtant, que de trésors dans ce seul enregistrement qui traitait enfin ces compositeurs oubliés avec le respect mérité. À lui seul, ce disque vaut le prix du coffret en entier!

CD4 Johann Baptist Vanhal (1739-1813) : Même traitement incisif pour les symphonies de ce contemporain de Haydn, grandement prolifique et assez près de son plus illustre collègue, esthétiquement parlant. Pensez au Haydn des symphonies no.35 à 50 environ, et vous aurez une assez bonne idée de la facture sonore de ces œuvres habilement écrites et très agréables à écouter.

CD5 Leopold Kozeluch (1747-1818) : Les symphonies de Kozeluch gravées sur ce disque paru en 2001 ressemblent à celles de Vanhal, mais en plus dramatiques, de un, mais aussi plus mondain. L’utilisation du menuet dans ses symphonies, ou d’une écriture dansante un brin galante, contribue assez bien à créer cette impression.

CD6 Anton Eberl (1765-1807) : Avec Eberl, c’est presque en territoire beethovénien que nous pénétrons. La Symphonie en mi bémol majeur, op.33, fut donnée lors de sa deuxième exécution en même temps que l’Eroica de Beethoven. Les auditeurs de l’époque furent fortement impressionnés par l’œuvre d’Eberl, alors que les plus conservateurs d’entre eux firent la moue à l’écoute de la Troisième du grand Ludwig. La postérité s’est chargé d’inverser les rôles, mais, bien qu’une réhabilitation de l’op.33 d’Eberl ne présentera jamais le moindre danger pour Beethoven, il s’agit tout de même d’une remise en contexte parfaitement stimulante qui saura réjouir tout mélomane curieux. Là où Beethoven avance résolument vers l’avenir, Eberl se contente de maîtriser (mais très habilement!) le langage expressif de son époque. Mort à 41 ans, on se demande tout de même ce qu’il aurait pu faire si le destin lui avait accordé une trentaine d’années de plus. Quoiqu’il en soit, le Concerto Köln n’a jamais montré le moindre doute sur la valeur musicale de ces partitions. Et nous l’en remercions chaleureusement!

Frédéric Cardin


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