«Chaque artiste crée ses précurseurs. Son travail modifie notre conception du passé autant que celle du futur». Jorge Luis Borges
lundi 2 décembre 2013
York Bowen Symphonies n°1 et n° 2 chez Chandos.
York Bowen (1884-1961)
Symphonie no. 1, op.4, en sol majeur (1902 – première mondiale)
Symphonie no. 2, op. 31, en mi mineur (1909)
BBC Philharmonic
Sir Andrew Davis, chef
Chandos CHAN 10670
Enregistrement : 2010
Durée : 73 min. 23
Il y a quelques mois, je faisais l’éloge de Georg Schumann (1866-1952) à propos d’une belle symphonie qu’il avait composée à 18 ans (CPO 777 464-2). Voilà que je viens de découvrir une autre superbe symphonie écrite au même âge par un compositeur britannique. Encore une fois, autant j’ai été séduit par la fraîcheur du discours et l’étonnante maturité formelle et technique, autant j’ai été surpris d’apprendre qu’il ait fallu attendre aussi longtemps pour l’enregistrer.
Le livret suppose que sa réticence « à embrasser les influences émergentes fut peut-être à l’origine de l’indifférence manifestée à l’égard de sa musique dans les dernières décennies de sa carrière. » C’est loin d’être un cas unique. À cela s’ajouterait à mon avis le fait que l’on a trop tendance à préjuger négativement les œuvres de jeunesse; le piège des comparaisons avec les œuvres des prédécesseurs resserre vite son étau au détriment d’une juste appréciation.
J’en veux pour preuve certaines critiques de ce disque que j’ai lues qui, sans dénigrer totalement cette symphonie de jeunesse, la déconsidère en en rappelant les influences, aussi diverses qu’il y a de commentateurs. Il me semble que juger implacablement une œuvre comme inférieure en raison des antécédents, aussi géniaux soit-il, procède d’un certain aveuglement, surtout que de nos jours nous avons accès à tellement de répertoire que les évocations deviennent aussi multiples que trompeuses. Aurait-on oublié de se demander si de prime abord l’œuvre avait quelque charme qui mérite qu’on la ré-écoute avec plaisir ? Est-il vraiment impossible d’apprécier une œuvre pour ce qu’elle est intrinsèquement ? N’y a-t-il pas lieu de chercher comment une personnalité singulière se dégage au-delà de toute référence externe ? Nous avons ici un beau cas et comme je suis bon public et sincère admirateur des artistes de talent, j’ai écouté l’œuvre sans encombre (pseudo-)historique et mon premier contact n’en a été que des plus profitables.
L’auditeur prendra plaisir à découvrir cette première symphonie, d’une demi-heure et en trois mouvements et écrite pendant que le compositeur était encore aux études. Le premier mouvement (Allegro assai) de forme sonate (exposition de deux thèmes contrastants, développement et récapitulation thématique) ouvre avec un thème altier, gai, plein d’assurance avec des cordes alertes et des cuivres à la sonorité pleine. Le deuxième thème (à 2min.14) contraste par sa tendresse mais sans devenir sombre ou triste. Les reprises de ces thèmes (8min.26 et 10 min.15) et la finale offrent peu de surprises mais le développement (à 4 min.18) révèle une maîtrise du discours admirable pour un si jeune auteur.
Le deuxième mouvement (Larghetto), le plus beau moment de la symphonie, est une longue méditation romantique où un thème doux et pensif se déploie à travers plusieurs pupitres avec des touches harmoniques qui touchent directement au cœur sans verser dans un sentimentalisme névrosé. Le dernier mouvement (Allegro con brio) expose un thème optimiste et viril qui culmine, après un élan grandiose volontairement interrompu par un contraste de texture comme pour nous faire patienter de façon espiègle (vers 6 min.50), dans une finale conventionnelle mais néanmoins satisfaisante.
Quant à la deuxième symphonie (43 min.12), écrite à 25 ans, elle comporte quatre mouvements où les textures orchestrales sont plus recherchées. En effet, toute la section des bois (flûte, hautbois, clarinette, basson), trompettes et trombones passent maintenant à trois (3 flûtes, 3 hautbois, etc.); les cors sont au nombre de six avec parfois autant de parties écrites pour chacun. Dès le début, on sent une évolution surprenante sur le plan harmonique, moins en phase avec les courants situés à l’extrême de l’avant-garde mais tout de même nettement plus audacieuse que dans la première symphonie.
Le troisième mouvement (Allegro scherzando) est le mouvement qui m’a le plus impressionné par son orchestration vivement colorée, son caractère aérien, des traits individuels très mobiles, tous des éléments qui créent une atmosphère grandement féérique. À lui seul, cet intermède vaut l’acquisition du disque. Les autres mouvements sont d’une grande force expressive post-romantique mais sans la lourdeur germanique. Le dernier mouvement, en particulier, essentiellement un allegro con fuoco, aborde les franges du fantastique tel qu’il aurait pu servir de poème symphonique à une nouvelle d’Edgar Allan Poe avant de conclure sur une finale extatique et triomphante. Bref, il s’agit de l’œuvre d’un jeune musicien qui pouvait désormais se mesurer sans complexe avec ses contemporains.
J’attends donc avec impatience que Chandos nous présente les deux autres symphonies de celui que l’on a surnommé, en raison de sa virtuosité pianistique, le « Rachmaninov anglais ». C’est donc dire que sa musique pour piano offre sûrement de l’intérêt ainsi que sa musique de chambre pour cor et pour alto, deux instruments qu’il avait maîtrisé jusqu’à un niveau professionnel. Si sa musique symphonique se portait garante de la qualité dans tous les autres genres qu’il a abordés (et j’ai de bonnes raisons d’en préjuger à la lumière de ce que j’ai écouté), alors nous avons affaire à un compositeur de très grande classe trop injustement ignoré.
Guy Sauvé
Décembre 2013
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