«Chaque artiste crée ses précurseurs. Son travail modifie notre conception du passé autant que celle du futur». Jorge Luis Borges
samedi 6 juillet 2013
Henri Rabaud: Symphonie no.2; La procession nocturne; Églogue
Henri Rabaud: Symphonie no.2; La procession nocturne; Églogue
Orchestre philharmonique de Sofia
Nicolas Couton, dir.
Timpani: 1C1197
Le Français Henri Rabaud est né en 1873 et mort en 1949. On a malheureusement largement oublié sa contribution musicale aujourd’hui, sauf peut-être pour son opéra Mârouf, savetier du Caire, occasionnellement (très occasionnellement) présenté, ou à tout le moins quelques extraits.
Il reste qu’il fut un créateur respecté, et c’est tout à l’honneur de la maison Timpani, spécialiste de la redécouverte du riche passé musical du tournant du 20e siècle, d’oser enregistrer l’opulente Deuxième symphonie de ce compositeur inspiré aussi bien par Beethoven et Saint-Saëns que par Wagner.
Il s’illustra dans la plupart des genres musicaux de son époque, en particulier ceux impliquant de larges effectifs orchestraux, comme l’opéra et, bien sûr, la symphonie. Il composa également quelques musiques de films, Le miracle des loups (1924) et Le joueur d’échecs (1926).
Il succéda à Gabriel Fauré comme directeur du Conservatoire. La fin de sa carrière académique se pare d’une tache sombre: sous le régime de Vichy, soumis à l’occupant nazi, il constitua un fichier dans lequel les antécédents raciaux des élèves du Conservatoire étaient détaillés.
La Deuxième symphonie en mi mineur op.5 fut créée en 1899, à une époque de grand renouveau dans le domaine de la symphonie française, grâce à la multiplication de chefs-d’œuvre comme ceux de Saint-Saëns, Franck, Dukas, Ropartz, Chausson, etc. Elle s’inscrit tout à fait dans cette lignée, façonnée à la fois par une certaine rigueur formelle héritée de Beethoven, et par un souffle expansif issu du modernisme wagnérien.
Il faut cependant dire que l’esprit général de la symphonie est moins wagnérien que l’on pourrait croire, en particulier dans la facture harmonique, beaucoup moins chromatique que celle du roi de Bayreuth. Cela confère à l’opus 5 de Rabaud un caractère attrayant, plus pictural que psychanalytique, malgré deux mouvements externes assez dramatiques.
En effet, le premier mouvement, qui s’amorce sur une déclaration tonitruante et imposante des cuivres, conserve une dimension tempétueuse entrecoupée d’accalmies introspectives qui permettent à Rabaud de s’illustrer dans le dessin subtil de lignes solistes. Il y a quelque chose de nordique, d’une sorte de panorama majestueux de terres à la fois belles et rudes d’une pureté sauvage, qui se dégage de cette introduction franchement impressionnante.
Le 2e mouvement, un Andante lyrique et poignant, est une réussite et un bel exemple de Romantisme charnu et somptueux. Magnifiques soli de hautbois et de clarinette.
Le 3e mouvement s’éloigne du caractère expansif du reste de l’œuvre. Marqué allegro vivace, c’est un scherzo plein de pétillance qui me rappelle la manière russe si séduisante et lumineuse de certaines pièces de Rimski-Korsakov, Kallinikov ou Glière. C’est un mouvement résolument souriant, plein de naïveté, qui pourrait accompagner une scène pastorale de joyeuses danses paysannes.
Le 4e mouvement reprend l’allure orageuse du premier, avec plus d’insistance, mais nous amène à une finale panoramique digne de la Symphonie alpestre de Richard Strauss. Absolument splendide et inspirant! Si vous ne connaissiez pas Rabaud, et encore moins cette magnifique symphonie, je ne peux que vous inviter avec la plus grande conviction à en faire la connaissance.
Deux autres œuvres sont au programme du disque. D’abord, La procession nocturne, superbe fresque basée sur le Faust de Nikolaus Lenau, où le protagoniste maudit par son pacte diabolique est témoin d’une procession religieuse imbibée d’une luminosité angélique, ce qui le subjugue autant que le perturbe grandement. La beauté de cette pièce mérite d’être entendue dans chaque salle de concert digne de ce nom.
Finalement, l’Églogue, courte pièce franchement debussyste et pastorale (Le Prélude à l’après-midi d’un faune n’est vraiment pas loin!), inspirée d’un extrait des Bucoliques de Virgile, impressionne par le charme et la délicatesse ravissants de son orchestration. En voici le texte :
« Toi Tityre assis sous les ombrages d’un hêtre feuillu, tu improvises un air champêtre sur ton chalumeau… et l’ombre des hauts monts se répand sur la plaine. »
La qualité supérieure de cette musique injustement oubliée est égalée par la finesse et la conviction de la direction du jeune chef Nicolas Couton aux commandes de l’orchestre de la capitale bulgare. On ne saurait espérer meilleure lecture pour un répertoire qui mérite toute notre attention, et ce dans les plus parfaites conditions. C’est ce que Timpani offre à Henri Rabaud. Bravo et merci!
Frédéric Cardin
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