Réalisateur: Ben McPherson
Production : Arthaus Musik
106065
Langues: allemand et anglais
Durée : 58 min. 43
Année : 2011
Dante Alighieri (1265-1321) et
Sandro Botticelli (c. 1445-1510), deux figures majeures de la culture
italienne réunies dans un documentaire captivant.
Dante Alighieri est l’auteur de la
Divine Comédie, achevée en 1321. Vers 35 ans,
alors en exil pour des raisons politiques, il cherche à surmonter
une crise existentielle; il choisit de raconter, en 100 canti,
son testament spirituel, sous la forme d’un voyage, commençant par
l’enfer, suivi du purgatoire, du Paradis, jusqu’à la lumière de
Dieu. Le poète Virgile l’accompagne pour les deux premières
étapes et Béatrice, sublimation extrême de la femme, vers le
Paradis.
Rappelons que le mot comédie doit
être compris selon le terme de l’époque, soit une œuvre
littéraire sérieuse conçue comme le contraire d’une tragédie.
La comédie commence de manière misérable et se termine de manière
heureuse. C’est pourquoi la première partie est l’enfer et la
dernière le paradis.
L’œuvre est d’importance. Tout
d’abord parce que c’est le premier chef-d’œuvre de la
littérature de langue italienne (non pas en latin) et que Dante est
reconnu comme le premier grand poète italien. Il a su, dans un même
ouvrage, traiter de philosophie, de politique, de science et de
spiritualité. Deuxièmement, parce que sa description des neuf
cercles des châtiments a servi dans les chaires universitaires de
droit au XVème siècle à l’étude de la hiérarchie des
condamnations. Troisièmement, parce qu’au XIXème siècle elle
sort de l’ombre pour inspirer des musiciens (Liszt, Tchaikovsky,
Mahler), peintres (Doré, Delacroix, Rossetti, Waterhouse) et
écrivains qui ont tenté de la traduire (Stendhal, Nerval, Dumas).
Parce qu’en 2008 on a publié une traduction française des plus
expertes avec les dessins de Botticelli (Éditions Diane de
Selliers).
Botticelli, né à Florence où il y
passa presque toute sa vie, maîtrisa tôt les techniques de la
peinture typique de la Renaissance (réalisme des paysages et des
personnages, contrastes et perspective, suprématie du dessin) de
sorte qu’il développa un style tout à fait personnel. Il fut en
grande demande auprès des familles nobles qui régnaient dans cette
ville et ultimement pour la plus puissante, les Medici. Il allait de
soi que tout aristocrate bien éduqué de la Renaissance avait lu la
Divine Comédie. Ainsi Lorenzo di Pier Francesco
de’ Medici, cousin du célèbre Laurent le Magnifique et patron de
Botticelli, commanda à ce dernier d’illustrer cette oeuvre-phare.
Quatorze ans (1481-1495) n’auront toutefois pas suffi pour la
terminer. On suppose que les cent canti devaient
être illustrés. Sauf pour deux planches, elles n’ont pas été
colorées. Huit pages (pour l’Enfer) n’ont pas été retrouvées
et deux autres (pour le Paradis) n’auraient été pas réalisées.
Cependant, ce qu’il en reste (une partie au cabinet des dessins et
estampes de Berlin et l’autre à la bibliothèque apostolique
vaticane) captive encore passionnément bon nombre d’artistes et
spécialistes de l’art. Et le document en témoigne de façon très
convaincante.
Grâce à la pertinente mise en
contexte des cinq premières minutes et une trame sonore efficace, le
réalisateur a bien préparé le spectateur à comprendre pourquoi le
projet d’illustrer la Divine Comédie a su
intéresser Botticelli si vivement. On est immédiatement tenu en
haleine et ce jusqu’à la fin. Je comprends mal que l’on ait
placé un extrait du In Paradisum de Duruflé au
chapitre du purgatoire mais pour le reste le choix musical est tout à
fait convenable.
Toujours dans l’introduction, on
nous présente une époque où violence et beauté se côtoyaient
quotidiennement. On retrouve ainsi dans l’œuvre de Botticelli les
deux volets : entre La Naissance de Vénus (1486),
Le Printemps (1482), Venus et Mars (1483),
toutes de sensualité, et Nastagio degli Onesti
(1483) avec des scènes atroces de femmes dévorées par des chiens,
on se rend compte que la frontière était fort mince entre barbarie
et raffinement, entre cruauté et languissement.
Depuis le parcours hallucinant de
l’enfer composé des neuf cercles de châtiments éternels
(certains papes n’y échappent pas et certains démons n’éprouvent
aucune gêne à s’abandonner à des vulgarités scatologiques)
descendant jusqu’à Satan prisonnier des glaces (métaphore de son
absence d’amour), suivi du passage toujours douloureux mais rempli
d’espoir au purgatoire, et finalement à l’ascension sublime vers
le Paradis et la lumière divine, le contraste, entre douleur et
extase, entre images crues et illumination spirituelle, Botticelli a
su donné sa pleine mesure face à l’envergure épique du poème.
Partout les dessins sont expressifs et leur succession animée d’un
dynamisme qui préfigure la bande dessinée.
Le documentaire comporte six
chapitres défilant sans interruption. Treize spécialistes (sept en
histoire de l’art, deux en théologie, un traducteur, deux
artistes, une chorégraphe) commentent divers aspects. J’aurais
aimé qu’on invita dans ce panel Peter Dreyer, curateur du cabinet
des dessins et estampes de Berlin; sûrement son expertise aurait été
encore plus éclairante. Par ailleurs, j’ai apprécié qu’on n’y
parle pas tant de technique mais plutôt du rapport humain, de ce que
le spectateur peut ressentir en contemplant cette fusion du poème et
du dessin, cette rencontre imaginaire de deux génies sensibles à
l’esprit de leur époque. J’ai apprécié notamment le parallèle
entre les effets d’attraction ascensionnelle vers Dieu dans les
derniers dessins et les exercices chorégraphiques anti-gravité dans
une station spatiale) dans le but de soutenir l’hypothèse de
l’anticipation de l’apesanteur
quelque 500 ans auparavant. On peut
en sourire mais ce genre de rapprochement nous suggère que le poème,
tel que présenté par un illustrateur visionnaire, recèle beaucoup
plus de nourriture pour l’esprit qu’il n’y paraît à première
vue. Ne serait-ce que pour cela, cette production mérite l’attention
des amateurs d’art et de littérature.
Guy Sauvé
Décembre 2011
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