«Chaque artiste crée ses précurseurs. Son travail modifie notre conception du passé autant que celle du futur». Jorge Luis Borges

dimanche 15 avril 2012

Schulhoff, oeuvres pour piano, vol. n°1 chez Grand Piano.


Erwin Schulhoff (1894-1942)

Partita pour piano (WV 63) :

1-Tempo di Fox
2-Jazz-like
3-Tango-Rag
4-Tempo di Fox à la Hawaii
5-Boston
6-Tempo di Rag
7-Tango
8-Shimmy-Jazz

Susi – Fox-Song (WV 124) 

Suite no. 3 pour la main gauche (WV 80)

1-Preludio
2-Air
3-Zingara
4-Improvisazione
5-Finale

Variations et fugue sur un thème original dorien (WV 27)

Caroline Weichert, piano
Label : Grand Piano GP 604
Durée: 59 min.51
Année d’enregistrement: 2010
Distribué au Canada par Naxos

Derrière ce disque si agréable à écouter se cache la tragédie d’un immense talent prématurément anéanti par le racisme le plus abject. Né à Prague, Erwin Schulhoff croupissait durant la dernière année de sa vie dans un camp de concentration nazi; sa mort est survenue à seulement 48 ans. Peut-on imaginer quelques instants les souffrances physiques et morales de ce compositeur qui a pourtant goûté très tôt la reconnaissance artistique non seulement de ses compatriotes tchèques mais aussi de ses pairs allemands et autrichiens ?
           
Dès l’âge de sept ans (1901), le célèbre compositeur tchèque Antonin Dvorak recommande l’enfant pianiste prodige au Conservatoire de musique de Prague. Son talent phénoménal le conduit plus tard vers les prestigieux professeurs du temps avec qui il étudiera à Vienne, Leipzig Cologne et Berlin et où il remportera de non moins prestigieux prix d’interprétation et de composition.

Ce qui caractérise l’intérêt que l’on doit porter à Schulhoff vient autant de son évolution l’amenant à s’adapter aux styles les plus divers qu’à sa façon de parodier les conventions superficielles encore tenaces. On se délectera d’aller à la découverte de son oeuvre qui comporte soit la forme baroque du concerto baroque telle que dans sonConcerto pour flûte, piano et orchestre, des oeuvres de jeunesse post-romantiques ou sous l’influence impressionniste de Debussy avec qui il a étudié en 1913, des oeuvres du courant dadaïste telle la Sonata erotica pour voix de femme évoquant l’orgasme ou la provocante Symphonia Germanica, de la musique pour le théâtre dont celle pour une adaptation du Bourgeois gentilhomme de Molière, l’expressionnisme atonal de la Seconde école de Vienne, ou encore les vastes symphonies à programme comme laSymphonie de la Liberté dédiée à l’Armée rouge. Sans compter qu’il fut le premier interprète dans son pays à promouvoir la musique en quarts de ton.

Mais sûrement le jazz et autres musiques de danse qui ont fait les délices des Années folles (fox-trot, tango, shimmy, stomp, charleston, etc.) ont pris une importance significative. En tant que pianiste de jazz, il donna de nombreux concerts pour la radio tchèque pour subsister suite à l’anathème du régime hitlérien (« musique dégénérée ») et dut emprunter un pseudonyme pour échapper à la traque nazie. Malheureusement, il fut arrêté en 1941 pour finalement périr de malnutrition et de maladie dans un camp de concentration en Bavière.
Pour revenir au disque dont il est question ici, il représente donc un hommage de grande valeur. D’abord parce que la prise de son offre un équilibre parfait dans tous les registres avec une acoustique qui laisse le son respirer de la manière la plus confortable pour nos oreilles. Ensuite, l’interprétation est impeccable sur le plan technique: le son est clair, la rythmique précise, les nuances souples et sans exagération intempestive. Tout semble si facile: légèreté des fox-trots, doux éclairages de sonorités debussystes, admirable contrôle de la pédale dans les pièces pour la main gauche.

Quant au programme, il est reflet d’une volonté d’offrir dans un premier temps un aperçu de la grande accessibilité de sa musique. C’est pourquoi il est largement dominé par l’inspiration des harmonies jazz et modales, par des suites de pièces courtes (dans les quinze variations WV 27, une dizaine durent moins d’une minute, et la durée moyenne de toutes les plages est d’environ deux minutes), par un ensemble de pièces de caractères variés. J’ai donc hâte d’écouter le prochain volume de la série autant d’ailleurs que les autres titres de ce label (Raff, Frommel, Weinberg, Saint-Saëns) compte tenu du soin exemplaire qu’il accorde à la qualité des enregistrements et du choix de compositeurs pour la plupart encore fort méconnus du public.

Guy Sauvé

Avril 2012

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