«Chaque artiste crée ses précurseurs. Son travail modifie notre conception du passé autant que celle du futur». Jorge Luis Borges

lundi 5 février 2018

Cipriano de Rore par Graindelavoix

Les enregistrements de l’ensemble belge Graindelavoix sont toujours des événements artistiques de premier ordre. Ce chroniqueur prend un grand plaisir à les souligner à chaque sortie. Après de superbes albums sur le Requiem de d’Orazio Vecchi (pour les funérailles de Rubens) et la Messe de Notre Dame de Machaut, c’est le tour des madrigaux de Cipriano de Rore. Les versions de Grandelavoix s’inscrivent dans la tradition des formes simples qui selon Luigi Zenobi : "l’interprète doit savoir chanter l’œuvre dans sa forme simple c’est-à-dire, sans aucun passaggio, mais seulement avec grâce, et trille, tremolo, ondeggiamento, et esclamatione." Bjorn Schmelzer.
Un album indispensable pour comprendre et apprécier un compositeur essentiel de la renaissance. Une opportunité aussi pour découvrir l’art subtile et magique de cet ensemble belge de premier ordre que chaque enregistrement se veut une découverte artistique de premier plan.
Glossa: GCD P32114, enregistrements juin 2016.

Le disque de l’hiver.

lundi 22 janvier 2018

Un voyage à travers l'âme de Chopin de la main d'Alessandro Deljavan.

Chopin, Mazurkas
Alessandro Deljavan, piano Steinway D-274
OnClassical (Aevea) AE17034 2CD 
enregistrements juin 2017

Alessandro Deljavan a décidé de structurer le cycle complet des mazurkas de Chopin par ordre chronologique, ce qui donne au mélomane la possibilité de suivre une certaine évolution. Ces mazurkas ont été composées dans une période qui comprend 23 années ayant pour résultat 59 pièces de différentes durées. Ces mazurkas sont aussi des expressions musicales, plus ou moins folkloriques, mais tout à fait nationalistes d’une pensée qui se rallie avec une nécessité d’une voix nationale. Souvent l’art se met au service d’une idée politique, et quelques fois il nous donne des chefs-d’œuvre. C’est tout-à fait le cas ici.
Les versions du pianiste italien Alessandro Deljavan sont absolument magnifiques. Elles nous montrent un côté plus intime et nostalgique de Chopin, comme si on serait en présence d’un carnet intime. Aucun maniérisme n’est nécessaire. On dirait que le pianiste s’efface devant la musique pour laisser la place au discours. Tel qu’un « Homo viator » Deljavan nous guide à travers un voyage sentimental. À travers sa vision on explore tous les points cardinaux de l’âme humaine. Une des plus belles versions que ce chroniqueur a entendu récemment. Un plaisir recommandé!

Philippe Adelfang, janvier 2017.

mercredi 13 décembre 2017

L’autre Schumann.

Symphonie en fa mineur op.42
Ouverture sur un drame op.45
Ouverture La joie de vivre op.54
Deutsches Symphonie-Orchester Berlin, James Feddeck
CPO :555110-2, enregistrements juin 2016.
Georg Schumann écrivit sa symphonie en fa mineur en 1905, dans une Allemagne où la musique était encore tonale. Le développement de l’atonalité était dans ses débuts. La Symphonie en fa dièse mineur op.42 est une œuvre d’une certaine envergure. Avec une durée de 48 minutes, elle reflète très bien le langage postromantique et chromatique de l’époque. Avec un orchestre touffu, elle est sans doute un des sommets du compositeur. Son langage s’inscrit parfaitement dans l’expression et l’univers d’un Mahler ou Richard Strauss, avec un équilibre disons plus brahmsien. L’art du développement continu de la mélodie avec une progression harmonique constante se reflète dans cette œuvre dont la facture est magistrale. Énorme poème musical, composé dans le style que Schoenberg a appelé celui de la variation développée, L’enregistrement se complète avec deux ouvertures, Sur un drame op. 45 (1906) et celle sur la Joie de vivre op.54 de 1911.
L’enregistrement de la DSO-Berlin, est absolument magnifique, démontrant qu’il s’agit d’un des plus grands orchestres du moment.

Philippe Adelfang, décembre 2017

mardi 28 novembre 2017

Haydn et un homme de génie

Franz Joseph Haydn
Symphonies n : 80, 81 et 19
Joseph Martin Kraus
Symphonie en do mineur VB142
Alpha676: enregistrements juillet et octobre 2016.

Un projet de longue haleine. Pour souligner le 300 ème anniversaire de la naissance de Haydn la fondation Joseph Haydn Stiftung de Bâle c’est associé au label Alpha pour enregistrer l’intégrale de ses 107 symphonies. Cette tache monumentale a été placée sous la direction musicale de Giovanni Antonini  qui utilisera deux orchestres pour la réaliser : Il Giardino Armonico et l’Orchestre de Chambre de Bâle. C’est avec cette dernière formation que ce formidable enregistrement a été réalisé. Une intégrale qui sera une des plus belles à voir le jour dans les prochaines décennies. L’inclusion de la symphonie en ut de Kraus est un clin d’œil à une rencontre que Haydn et Kraus ont eut en 1783. Haydn fut un grand admirateur de l’art musical et littéraire de Kraus, et fut profondément choqué quand il apprit la nouvelle de sa disparition. Il avait une grande estime pour la symphonie en do mineur présente dans cet enregistrement. Kraus a aussi participé à la création du mouvement Sturm und Drang, et la symphonie en do mineur est un paradigme d’œuvre musicale avec des accents qui nous font déjà  penser  au XIX siècle.
Une suggestion à ne pas rater pour cet hiver,


Philippe Adelfang, novembre 2017.

dimanche 19 novembre 2017

Les derniers quatuors de Beethoven par le Quatuor Mosaïques, la liberté à l'état pur!

Les derniers quatuors de Beethoven
Quatuor Mosaïques
Naïve: V5445, enregistrements 2014,2015 et 2016 au Wiener Konzerthaus.

Ce qui fait de Beethoven un génie de la musique parmi ses contemporains, c'est la façon personnelle qu'il avait développé pour utiliser la matière. Une mélodie, une progression tonale ou un accord, ce ne sont pas seulement des éléments constitutifs du langage musical, mais plutôt des moyens pour structurer une oeuvre. Cette nouvelle façon de penser la musique, ne lui est pas arrivée par hasard, mais c'est plutôt la conséquence de toute une vie de méditation, recherche et experimentation.
Dans ce contexte d'idée, le quatuor à cordes n'échappe pas à cette règle. Forme instaurée par Haydn une génération avant, elle a reçu ses lettres de noblesse avec les quatuors de Mozart. Beethoven évidemment devait partir du point laissé par son prédécesseur, et cela lui a pris quelques années pour développer un langage personnel. Quand il arrive à la fin de sa carrière, il s'attaque à cette forme à nouveau, mais en la transformant d'un bout à l'autre. On dirait qu'il arrive à exprimer les idées sans absolument aucun pré concept stylistique que ce soit. La liberté à l'état pur.
Quel défit de les interpréter pour n'importe quelle formation de chambre. Les derniers quatuors de Beethoven, sont une cime comparée à l'Everest. Pour y arriver il faut donner tout. Point à la ligne.
C'est ce que l’on ressent à l'écoute de cette merveilleuse version des Mosaïques. Peut être une nouvelle référence dans la riche discographie présente et passée. Un vrai plaisir pour les sens. Un bonheur absolu.

Philippe Adelfang, novembre 2017.

vendredi 17 novembre 2017

Zemlinsky, l'art du poème symphonique.


Alexander von Zemlinsky (1871-1942)

Die Seejungfrau
Es war einmal
ORF Radio-Symphonieorchester Wien, Cornelieus Meister direction

CPO: 777962-2 enregistrements mai 2010 et août 2012.

Pour les mélomanes qui ne connaissent pas l’œuvre de Zemlinsky, voici une belle occasion de rentrer dans son univers postromantique. Il fut un des plus grands compositeurs autrichiens de l’avant-garde post wagnérienne. Très respecté par ses collègues, de la jeune génération viennoise, comme Mahler, Berg et Schoenberg, Zemlinsky fut un des grands acteurs de la vie musicale dans la Vienne impériale de la fin du XIX et début du XX siècle. Tout ce monde basculera avec l’arrivé des nazis en Europe centrale. Comme bien d’autres artistes Zemlinsky a dû s’exiler aux États Unis, où il n’a jamais pu retrouver le prestige qu’il avait dans sa patrie. Son style symphonique est luxueux, brillant et hyper romantique. Il fut un des modèles de Schoenberg, avec Richard Strauss quand il s’agit de la construction des poèmes symphoniques et qui fit de cette école austro-germanique, une des principales et plus influentes dans l’Europe du début du XX siècle. « Je suis en train de travailler sur un poème symphonique d’après le conte  La Petite Sirène d’Andersen, ce qui me réjouit énormément ces temps-ci » écrivit le compositeur en 1902 dans une lettre à Schoenberg. Le résultat fut une partition merveilleusement bien écrite, dans la meilleure tradition des grands poèmes symphoniques de Strauss. Malheureusement Die Seejungfrau n’est pas souvent très joué en concert, ce qui fait que des projets comme celui de CPO, prennent quelques années à sortir sur le marché. Ce magnifique enregistrement "live" de l’Orchestre de la Radio Viennoise (ORF) a pu se faire en 2010, mais il a fallu attendre deux années encore pour compléter ce projet discographique avec Es war einmal qui fut seulement programmé qu'en 2012. Un autre tres bel exemple de comment certains enregistrements ont aussi une fonction  de sauvegarde du patrimoine sonore d’une nation.

Philippe Adelfang, novembre 2017

dimanche 12 novembre 2017

Prokofiev, symphonies n°2 et 3. Jurowski la clef des chants!

Prokofiev, symphonies n°2 et 3
Orchestre Symphonique Académique de l'État de Russie, Vladimir Jurowski direction.
Pentatone: PTC5186624
Enregistrements: septembre et octobre 2016

Certains compositeurs ont eu une approche, disons, plus problématique avec le langage symphonique. On a toujours une tendance à comparer les symphonies de Prokofiev avec celles de son collègue (cadet) Chostakovitch. Mais il faut se rappeler d’un élément clef. Prokofiev a toujours aimé  faire des œuvres dans un contexte dramatique ou la structure de l’œuvre suit une idée préétablie. Après son retour des États Unis, Prokofiev passa dix années de sa vie à Paris. Il produisit des œuvres d’une force et originalité magnifique. Profitant d’un environnement libre et sans aucune restriction esthétique, il pourra développer un langage moderne et unique dans sa production globale. La structure symphonique était disons plus abordable dans sa vision classique de la musique.  Sa deuxième symphonie écrite en 1924-25 est plus proche d’un univers futuriste que du classicisme de sa première symphonie. Tandis que pour sa troisième, écrite en 1928, le compositeur tira une partie des idées thématiques de son opéra The Fiery Angel, ce qui prouve le besoin d’avoir à main une source dramatique externe comme moteur d’inspiration. C’est une des différences, a mon avis, plus importante entre les productions symphoniques des deux compositeurs les plus importants de l’Union Soviétique dans le XX siècle.
Les versions de ce remarquable enregistrement de Pentatone très bien joués par l’Orchestre Symphonique de l’État de Russie, maintenant appelé Evgeny Svetlanov, sont une excellente référence si l’on veut avoir des enregistrements modernes superbement interprétés. Jurowski  rentre dans le sommet de son art. On a hâte de suivre cette intégrale.

Philippe Adelfang, novembre 2017