«Chaque artiste crée ses précurseurs. Son travail modifie notre conception du passé autant que celle du futur». Jorge Luis Borges

vendredi 27 février 2015

BACH ET SES CONTEMPORAINS : LE CAS DE CARL HEINRICH GRAUN

Le 26 mars de 1755, cinq ans seulement après la mort de Bach, la première exécution de l'Oratorio-Passion de Carl Heinrich Graun (1703/04-1759) La mort de Jésus eut lieu à Berlin : son succès fut immédiat et assuré. L'Oratorio fut joué 70 fois encore dans une période de 130 ans, musique à être jouée pendant la semaine sainte. Elle fut interrompue uniquement quand Mendelssohn imposa La Passion de St-Mathieu de Bach dans les années 1858-1866.    
L’œuvre avait été commissionnée par la noblesse prussienne, et elle fut jouée quelques jours avant sa première officielle par des musiciens et amis de Graun, dont Carl Philipp Emanuel Bach, qui tenait le clavecin. Évidemment, tous ont apprécié le style nouveau, plus dépouillé et centré dans l'expansion mélodique plutôt que dans la densité du contrepoint. Il y avait déjà quelques années que le style de Bach et sa façon de composer n'était plus à la mode. Il fallait regarder vers l'avant et se diriger vers une nouvelle vedette dans le monde musical : la mélodie accompagnée.
Graun a appris tout ça en composant ses opéras, dont le plus fameux fut Montezuma pour l'Opéra de Berlin, qui fut un grand succès à l'époque.
Si on compare cette œuvre avec les Passions de Bach, l'effectif est plus réduit : soprano, ténor et baryton soliste, chœur mixte et ensemble instrumental.  Évidement l'effet d'une grande masse sonore a été remplacé par un effectif plus réduit, plus approprié à cette expansion mélodique.
L'interprétation est très bonne, l'orchestre est de premier ordre et les solistes sont d'un grand niveau. Le défi pour l'éditeur, c'est de faire connaître cet enregistrement en dehors de l'Allemagne.
Voici un autre compositeur, pas très connu du grand public, que je vous invite à découvrir et qui a été un acteur important au moment où un passage entre l'époque baroque et classique s’opérait.

Carl Heinrich Graun
Der Tod Jesu
Monka Mauch, soprano
Georg Poplutz, ténor
Andreas Burkhart, baryton
Arcis-Vocalisten München
Barockorchester L'arpa festante
Thomas Gropper, direction
Enregistrement mai 2014
Oehms Classics : OC1809

Philippe Adelfang.

mardi 17 février 2015

LA PREMIÈRE SYMPHONIE DE RACHMANINOV, OU L'EFFET DÉVASTATEUR DE LA CRITIQUE MUSICALE

Si jamais on me demandait de citer un exemple de conséquence néfaste d'une mauvaise critique musicale sur la carrière et la vie d'un compositeur, je citerais volontiers le cas de la première symphonie de Sergei Rachmaninov.
Ce fut à St-Petesbourg, le 15 mars 1897, que le célèbre musicien et journaliste César Cui écrivit: « Si jamais il y avait un conservatoire en enfer où un étudiant talentueux composerait une symphonie à programme sur les sept plaies d'Égypte, elle sonnerait sans doute comme celle de M. Rachmaninov.»
Ce fut trop pour le jeune artiste. Évidement, après cette création tourmentée, accueillie par des critiques unanimes et décourageantes, Rachmaninov tomba dans une longue et profonde dépression créative. Il n'arrivera à s'en sortir qu'avec l'aide d'un célèbre psychiatre, qui sera d’ailleurs le tributaire de son célèbre deuxième concerto pour piano, peut-être une des œuvres majeures du répertoire.
Mais qu'est-ce qu'il en reste, de ces critiques? Rien du tout. Une anecdote seulement. Avec le recul du temps, on comprend que Cui avait tort et raison en même temps. Peut-être ses critiques étaient autant une démonstration de force entre deux centres musicaux rivaux, Moscou et St-Petesbourg, que des véritables comptes-rendus des concerts, honnêtes et dépourvus de toute allégeance politique.
Si on compare la Première Symphonie de Rachmaninov avec celles de Glazounov (le musicien qui dirigea l'orchestre pendant sa création), on se rend compte que celle de Rachmaninov avait des qualités musicales suffisantes, qui méritaient d'être soulignées.
Tout cela pour dire que toute critique devrait être écrite de la façon la plus objective possible. Il faut toujours tenir compte du contexte, ne jamais oublier que la musique est un langage et que, comme tel, il est souvent assujetti à des influences externes.
Je suis un inconditionnel admirateur du chef russe Kitajenko. Sa version de cette Première Symphonie ne fait qu'ajouter un autre jalon à son énorme carrière musicale.

Sergeï Rachmaninov
Symphonie n°1 op.13
The Rock op.7
Gürzenich-Orchester Köln
Dimitrij Kitajenko, direction
Enregistrement janvier et mai 2013.
Oehms Classics : OC 440

Philippe Adlefang