«Chaque artiste crée ses précurseurs. Son travail modifie notre conception du passé autant que celle du futur». Jorge Luis Borges

vendredi 13 janvier 2012

Louis Spohr: Symphonies 1 & 6; Overture op.12


NDR Radiophilharmonie Hannover
Howard Griffiths, direction
CPO 777 179-2

Louis Spohr est souvent présenté comme un contemporain de Beethoven, ce qui est en soi relativement inexact au plan chronologique, puisque qu’il vécut de 1784 à 1859. Il était donc à peu près une génération plus jeune que Ludwig. Mais peu importe, puisque que le qualificatif est généralement employé pour signifier une parenté musicale qu’il est tout aussi inexacte de relier de trop près à celle de Beethoven.

La musique de Spohr prend habituellement pour modèle Haydn et Mozart, mais en la recouvrant des habits orchestraux plus généreux hérités, eux, de Beethoven et du romantisme à peine naissant.

Le résultat est une musique qui est certainement agréable à entendre, vivante et allègre, mélodiquement aboutie et accrocheuse. Les œuvres de Spohr, à l’époque de leur création, ravissaient fréquemment les mélomanes frileux devant les « excès » du modernisme beethovénien. Voyez plutôt cette citation d’ETA Hoffmann à propos de la Première Symphonie de Spohr, parue dans l’Allgemeine musikalische Zeitung :

« Nonobstant son aspiration très visible à une expression puissante, elle se maintient le plus souvent dans les limites d’une dignité calme, dignité que portent déjà en eux les thèmes choisis, et qui semble mieux convenir au génie du compositeur que le feu sauvage qui gronde tel un fleuve dans les symphonies de Mozart et de Beethoven ».

Voilà exactement, pour le néophyte en mélomanie spohrienne, la meilleure façon de comprendre ce qui l’attend lors de l’écoute d’une symphonie de Spohr. Les mélodies sont simples et directes, au demeurant très agréables, les structures on ne peut plus classiques, et la volonté de puissance sonore qui se manifeste régulièrement est constamment contenue dans un corset élégant et étroitement dessiné, semblablement aux dernières symphonies de Mozart (n’en déplaise à Hoffmann), bien que les proportions des dames en question soient plus abondantes chez Spohr. Cela s’entend dans la robustesse affirmée de la basse rythmique. Mais ce que Spohr ajoute en dimension sonore, il l’évite en brusquerie et audace. Les phrases et le discours de Spohr est constamment équilibré, contrairement à Mozart, plus échevelé (mais ô combien surprenant et stimulant, bien entendu!).

La Symphonie no.1 op.20 en mi bémol majeur date de 1811 et est inévitablement la plus « classique » des deux au programme. Une introduction de caractère solennel amorce le premier mouvement, pour faire place à un allegro alerte et solaire, marquant ainsi fièrement et adéquatement la tonalité majeure de l’œuvre. Le 2e mouvement, un allegretto attrayant, précède un scherzo au caractère agreste mais léger. Le Finale, curieusement, fait preuve d’une étrange retenue avec son thème bondissant mais peu empressé, laissant une impression moins forte que le premier mouvement, malgré son allure plutôt aimable.

La Symphonie no.6 op.116 en sol majeur fut très mal reçue dès sa création en 1839. La raison n’en était pas sa « difficulté » harmonique ou ses audaces stylistiques, bien au contraire. Le mécontentement émergea plutôt d’un malentendu qui nous paraît bien bête aujourd’hui. Intitulée Symphonie historique dans le style et le goût de quatre époques différentes, elle manifestait l’intention du compositeur de rendre hommage aux styles musicaux du passé et du présent. Les abonnés de Londres (où fut présentée la symphonie) et les critiques voulurent plutôt y voir la volonté de Spohr d’affirmer sa supériorité sur celle de ses prédécesseurs, en les imitant. L’œuvre fut sifflée et l’on décréta même une interdiction de manifester à l’extérieur de la salle de concert! Ce genre de tempête dans un verre d’eau semble bien ridicule aujourd’hui.

Quoiqu’il en soit, la formule ressemble un peu à ce que firent plus tard plusieurs compositeurs, dont Respighi, qui s’adonnèrent à ces hommages « dans le style ancien ». Là où Spohr mérite tout de même un peu d’attention, c’est dans sa volonté de ne pas faire du pastiche. Les thèmes choisis par Spohr sont les siens, et sa façon d’intégrer le langage de Bach, Handel, Mozart, Haydn et même Beethoven(!) respecte son besoin d’intégrer les diverses techniques et caractéristiques inhérentes à la facture stylistique de chaque époque dans son propre esthétisme orchestral.

Le premier mouvement est fugué, inévitablement puisqu’il fait référence à Bach et Handel. Le 2e est un larghetto gracile rappelant Haydn et Mozart alors que le 3e, un scherzo accentué de percussions afin d’en relever la teneur « beethovénienne ». Le dernier mouvement se veut « moderne », dessinant le portrait de la musique du jour, soit celle de 1840. Cela sonne comme du Mendelssohn, en plus contenu.

Le programme se termine avec une Ouverture de Concert op.12 en do mineur assez énergique et flamboyante.

Le mélomane curieux et indulgent ressortira de l’écoute de ce disque avec plusieurs raisons de se réjouir, dont la principale demeure la grande amabilité mélodique et rythmique de la musique de Spohr. Le compositeur n’était pas un innovateur, ni un excentrique qui sait apporter une touche de surprise dans ses partitions (comme Mozart, ou même Beethoven), même les plus prévisibles. Il sait par contre manier l’orchestre, lui écrire des partitions qui mettent en valeur ses capacités dynamiques et la beauté des textures générales grâce à des mélodies et des thèmes plaisants. Spohr n’était ni Mozart ni Beethoven, non, mais il avait un peu des deux en lui. Suffisamment, en tout cas, pour le rendre intéressant à redécouvrir.

Howard Griffiths insuffle une bonne dose de conviction à ces partitions, et le NDR Radiophilharmonie Hannover exécute de très belles envolées qui offrent une crédibilité certaine à cette musique.

J’y reviendrai, c’est certain.

Frédéric Cardin

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