«Chaque artiste crée ses précurseurs. Son travail modifie notre conception du passé autant que celle du futur». Jorge Luis Borges

vendredi 5 octobre 2012

Goya de Menotti avec Plácido Domingo chez Arthaus.


Menotti : Goya
Placido Domingo (Goya); Michelle Breedt (Dona Cayetana); Iride Martinez (Maria Luisa, Reine d’Espagne); Andreas Conrad (Carlos IV, Roi d’Espagne); Maurizio Muraro (Don Manuel Godoy); Christian Gerhaher (Martin Zapater); Nadia Krasteva (Leocadia/une chanteuse); Petra Simkova (une bonne); Sergio Raonic Lukovic (Aubergiste/majordome)
Nikolaus Adler, chorégraphie
Jesper Kongshaug, éclairages
Steffen Aarfing, costumes et décors
Kasper Bech Holten, mise en scène
Radio-Symphonieorchester Wien
Festival-Chor KlangBogen Wien
Emmanuel Villaume, direction
Arthaus Musik 101 576

C’est en 1986 que fut donnée la première de cet opéra dont l’idée fut soufflée à Menotti par Domingo lui-même. « C’est la seule fois, il me semble, que j’accepte une idée venant de quelqu’un d’autre » a dit le compositeur.

L’histoire, qui ne prétend aucunement à la vérité historique, est une sorte de « description poétique de sa (Goya) personnalité ». On y voit Goya, vieux, dans une taverne, tomber amoureux d’une jeune femme aguichante, la duchesse d’Albe. Elle lui commande un portrait et pendant les séances de pose, Goya devient de plus en plus intensément attiré par la belle (Acte 1).

À l’Acte 2, on voit la reine être jalouse de la duchesse et de sa relation privilégiée avec le grand peintre. Celle-ci, rebelle et entichée d’idées modernes (nous sommes au tournant du 19e siècle), provoque la reine en présentant ses six caméristes, toutes vêtues exactement comme la souveraine. Le Premier ministre oblige Goya à faire serment d’allégeance à la reine, celui-ci accepte. La duchesse en est fort insultée et reproche à Goya son manque de caractère. Elle rompt avec lui.

L’Acte 3 retrouve Goya dans son atelier, retiré du monde et remplis de remords à l’idée de n’avoir pas été, dans sa vie personnelle, à la hauteur des idéaux et de la critique sociale véhiculés par ses tableaux. La duchesse a été empoisonnée par la reine et Goya fut incapable de se rendre à temps à son chevet pour la réconforter. Mais, avant de mourir, celle-ci apparaît à Goya et lui dit que son art transcendera le temps et réparera tous ses doutes.

Cette production fut crée en 2004 à Vienne, devant le compositeur déjà très vieux. Le traitement assez sobre, mais juste, rend justice à l’esprit des lieux, bien qu’on aurait peut-être aimé un brin plus de flamboyance visuelle, question de bien illuminer la somptuosité de la musique de Menotti. Le premier acte est visuellement dénudé, la taverne en question ressemblant étrangement à un atelier moderne. Le deuxième acte montre une cour dont l’opulence est marquée principalement par la couleur rouge ocre des murs, plutôt dénudés eux aussi. À cet endroit en particulier, j’aurais aimé un peu plus d’élaboration nobiliaire dans les décors. Le troisième acte est assez réussi. L’atelier de Goya nous montre sur les murs quelques gravures, certaines presque lubriques, d’autres résolument contestataires. On comprend ainsi les remords de Goya et son sentiment d’inadéquation entre la modernité affirmée et engagée de ses œuvres d’un côté, sa relative discrétion dans ses relations personnelles avec le pouvoir de l’autre.

Domingo est le Depardieu de l’opéra. On dirait qu’il ne refuse aucun rôle, aucun personnage, aucun défi. Et, habituellement, il s’en sort assez bien. C’est le cas ici. Je vous avouerai par contre que j’ai été impressionné par la performance d’Iride Martinez, la reine, frappante de conviction et de force dominante imposée à son entourage. Elle est dangereusement vindicative, mais sait parfois faire preuve d’un humour cruel déroutant. Une révélation. Michelle Breedt campe une duchesse solide, touchante (surtout dans la scène finale où elle apparaît à Goya, dans un moment éminemment touchant) et volontaire.

La mise en scène de Bech Holten est assez conventionnelle, s’effaçant presque devant l’œuvre du compositeur. Pourquoi pas, après tout? Menotti est l’un des plus habiles hommes de théâtre du 20e siècle!

Parlons-en donc de Menotti. Si vous n’êtes pas familier avec sa musique, sachez qu’elle est résolument tonale et bel cantiste. Aucun doute là-dessus : Menotti est un héritier avoué de Puccini, et on l’entend dans ce Goya. Les grandes mélodies qui embrassent l’espace sonore et harmonique et qui survolent constamment la partition rappellent le maître italien du début du 20e siècle. Et vous savez quoi? C’est tellement somptueux, c’est tellement bien construit, c’est tellement bien imbriqué avec l’action sur scène, que ça ne peut que faire le plus grand sens. On en ressort en se disant qu’on n’aurait pas pu imaginer une autre partition que celle-là!

Cet opéra, l’un des derniers de Menotti, rencontrerait beaucoup de succès populaire s’il était présenté plus souvent dans nos maisons d’opéra. La critique dira ce qu’elle voudra sur le romantisme dépassé, je peux vous assurer que si vous aimez le chant, la musique et les histoires passionnées, vous ne pourrez qu’être conquis par cette œuvre magnifique.

Je l’ai été.

Frédéric Cardin



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