«Chaque artiste crée ses précurseurs. Son travail modifie notre conception du passé autant que celle du futur». Jorge Luis Borges

mercredi 30 mars 2011

Rossini: Le Siège de Corinthe

Luciana Serra (Pamyra)

Marcello Lippi (Mahomet II)

Dano Raffanti (Cléomène)

Maurizio Comencini (Néoclès)

Armando Caforio (Hiéros)

Vito Martino (Adraste)

Francesco Facini (Omar)

Francesca Provvisionato (Ismène)

Prague Philharmonic choir

Orchestra e Coro del teatro Carlo Felice di Genoa

Paolo Olmi, direction

Michael Alexander Willens, direction

Nuova Era 233010 (2CD: 157 min 10 s)

Le Siège de Corinthe fut créé en français le 9 octobre 1826 à l’Opéra de Paris. Qualifié de « tragédie lyrique » par Rossini, il s’agit en réalité du remaniement partiel d’un opéra précédent créé en 1820 à Naples et intitulé Maometto II, lequel n’avait pas connu de succès. Rossini savait très bien que le public français était habitué et fier du style de tragédies héritées de Rameau, lequel faisait une place prépondérante aux récitatifs en cherchant à les intégrer le plus fluidement possible aux airs et morceaux d’ensemble. Cette « confusion des genres » était probablement déroutante (et rébarbative) pour la plupart des compositeurs italiens, Rossini compris. Ce doit être la raison pour laquelle le compositeur, en retravaillant son Maometto II, y intégra des récitatifs. Mais bien que Rossini en insère régulièrement entre les numéros vocaux, ceux-ci demeurent plastiquement séparés des airs, ne servant en fait que de liens transitoires entre les morceaux de bravoure et de lyrisme emporté, ou, si vous préférez, ne servant que de « faire-valoir » aux véritable spectacle, les feux d’artifices vocaux! Le terme « tragédie lyrique » ne s’applique donc que de façon superficielle.

Quoiqu’il en soit, Le Siège de Corinthe possède plusieurs atouts qui en font un opéra agréable à entendre. L’écriture rossinienne pour les chœurs se situe à un haut niveau de qualité mélodique et dramatique. Votre humble serviteur a été délicieusement ravi par la plupart des numéros choraux, souvent très enlevants. La virtuosité des phrases vocales offre aux solistes des épisodes de brillance plutôt divertissants. À certains égards, cet opéra annonce aussi Guillaume Tell. Sans être un chef-d’œuvre à redécouvrir, Le Siège de Corinthe a de quoi satisfaire le mélomane curieux.

Il y est question du siège de la ville de Corinthe par les Turcs (dans la réalité, il s’agissait de Negroponte) au XVe siècle. Pendant le siège de la ville, Pamira, la fille du Roi de Corinthe Cléomène, s’est promise au guerrier Almanzor alors que son père la destine à Néoclès, l’un de ses fidèles conseillers. Quand les Turcs prennent la ville, Mahomet II fait venir Almanzor pour le questionner sur une jeune et belle grecque qu’il avait aperçue il y a plusieurs années. Pamira, capturée elle aussi, se jette sur Almanzor quand elle le voit. Mahomet II comprend qu’elle est la jeune fille qu’il recherche depuis si longtemps. Mahomet II veut épouser Pamira, en échange de la vie des Corinthiens. Pamira hésite, son père la supplie de pas accepter cet échange odieux. Pamira commence par se laisser convaincre par les Turcs, mais alors que les préparatifs de noces vont bon train, elle change d’idée à l’appel de son père, retourne auprès des siens dans la réconciliation générale. Les Turcs encerclent la citadelle de la ville, où sont réfugiés les derniers résistants, et fait sonner le massacre. Les Grecs se battent jusqu’à la mort, et, au moment où Mahomet II entre avec ses troupes dans les derniers retranchements de Pamira afin de la reprendre et la forcer à devenir sa femme, celle-ci accomplit son destin et se donne la mort, plutôt que de vivre dans le déshonneur.

Marcello Lippi est impérial dans le rôle de Mahomet II. Luciana Serra possède un soprano bien étendu qu’elle réussit à projeter avec assurance. On aurait aimé que l’instrument soit un peu plus malléable, par contre. Mais l’occasionnel manque de flexibilité est bellement compensé par un timbre aux teintes onctueuses. Dano Raffanti campe un Cléomène solide et digne devant la chute imminente de son royaume. Sa diction française, claire et limpide, est à noter dans les points positifs.

Le principal regret vient de la prise de son, réalisée en public en 1992. L’orchestre manque d’ampleur et de coffre. Les bois sonnent à l’occasion comme s’ils avaient été captés dans un centre communautaire dénué d’acoustique adéquate. Le contraste est frappant avec la prise des voix, directe et éclatante.

Que ce léger déséquilibre ne vous empêche pas, cependant, de jeter une oreille attentive à cette production sommes toutes fort satisfaisante. Vous aurez ainsi l’occasion de découvrir un opus rossinien rarement joué, mais habilement construit, comme c’est si souvent le cas chez ce compositeur.

Nuova Era 233010

Frédéric Cardin




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