«Chaque artiste crée ses précurseurs. Son travail modifie notre conception du passé autant que celle du futur». Jorge Luis Borges

dimanche 7 mars 2010

Felix Weingartner, compositeur et chef d'orchestre.


Felix Weingartner (1863-1942)
Concerto pour violon, op. 52
Schubert : Symphonie (no 7), D 729, arrangée
par Felix Weingartner d’après
les fragments et l’esquisse
Laurent Albrecht Breuninger, violon
SWR Rundfunkorchester Kaiserlautern
Alun Francis, chef
CPO 999 424-2



La carrière de Felix Weingartner, né en Autriche, comporte essentiellement deux volets : chef d’orchestre et compositeur, les deux ayant démarré la même année, 1884, avec la création de son premier opéra Sakuntala, et l’obtention du poste de direction de l’orchestre de l’opéra de Königsberg. En examinant le nombre d’œuvres d’envergure qu’il a écrites (9 opéras, 7 symphonies, 5 quatuors à cordes, poèmes et ouvertures symphoniques, un octuor, un sextuor, etc), on a raison de se demander laquelle de ces occupations a pris le plus de place dans sa vie.
Heureusement pour le mélomane curieux d’apprécier les perles rares du post-romantisme, la firme CPO a déjà produit près d’une dizaine de disques de musique symphonique et de chambre, de sorte qu’on peut maintenant se faire une bonne idée de son talent de compositeur. Le présent disque sort des sentiers en proposant pour la première fois à son catalogue un concerto et un arrangement.



Le concerto en trois mouvements pour violon et orchestre op. 52, créé en 1912 par un Fritz Kreisler à l’aube de sa célébrité, démontre une maîtrise de l’écriture pour l’instrument rivalisant de virtuosité et de cadences redoutables avec les autres concertos fermement établis au répertoire. On retrouve par moments l’opulence brahmsienne dans le premier mouvement, des passages tantôt suaves tantôt pétillants dans le deuxième, un thème enjoué dans le troisième tout en bravoure, intitulé « Caprice savoyard ».
L’interprétation de Laurent Albrecht Breuninger, gagnant de plusieurs prix dont un lors d’une compétition internationale de violon tenue à Montréal en 1995, est à la hauteur de la commande fort exigeante. Lors de bref épisodes de quelques secondes, la masse orchestrale écrase la partie soliste, mais cela compte peu en regard des pages héroïques brillamment défendues par le soliste.



Allons à Schubert. Les mélomanes désirant acquérir une « intégrale » des symphonies de Schubert doivent regarder attentivement le contenu des boîtiers car, dans la grande majorité des cas, il y a un trou béant entre la sixième et la huitième. Où est donc passée la septième ? Elle existe pourtant même si Schubert ne lui a pas attribué de numéro. Il avait, contrairement à d’autres esquises ou autres oeuvres du genre demeurées inachevées, apposé la mention Fine, dignement calligraphiée, au terme de quatre mouvements, des quelque 1350 mesures, toutes bel et bien « barrées ».



Le hic : seules les cent dix premières mesures comportent l’orchestration complète. Tout le reste est noté jusqu’à la fin par des lignes mélodiques accompagnées de basses, soit aux premiers violons, soit aux instruments à vent (seul ou en groupe) prenant le relai. Selon Sir George Grove qui reçut le manuscrit entier en 1861, « chaque mesure est inscrite, les tempi et les noms des instruments sont écrits au début de chaque mouvement, toutes les nuances sont indiquées .»


La tentation de compléter l’orchestration, de remplir les cases laissées ouvertes de cette symphonie tien au fait qu’elle représente un moment charnière dans l’évolution de Schubert. Pour la première fois, il utilise trois trombones et quatre cors, sacrifie la reprise de l’exposition, développe cette dernière au cours de trois tonalités, manifestant ainsi le besoin de se démarquer définitivement des influences de Mozart et de Haydn, de s’engager dans une voie nettement plus personnelle.



Trois musiciens ont donc cédé à cette tentation. Il y eût d’abord John Francis Barnett en 1883 mais il ne subsiste maintenant que la réduction pour piano. Ensuite, il y eût Weingartner. Finalement, le musicologue Brian Newbould qui bénéficie de la plus grande diffusion, notamment avec la version de Sir Neville Marriner dans un coffret de six cds parus chez Philips (Dix symphonies et les deux esquisses D 615 et D 708a), la belle version de Charles Mackerras sur Hyperion (un cd, avec la 10ème et les deux esquisses) et son orchestration de la septième, enregistrée isolément chez Koch Schwann-Musica Mundi avec Gabriel Chmura.


Entre les versions Newbould et Weingartner, il y a des différences d’instrumentation et de textures polyphoniques très significatives qu’il serait trop long d’exposer dans cette chronique. Chaque version ayant ses mérites propres, seule une question de goût déterminera la préférence de chacun pour l’une ou pour l’autre. Pour ma part, l’exercice de comparaison en vaut la peine.

J’apprécie davantage à la pudeur musicologique les audaces instrumentales plus imaginatives, les contrepoints plus denses, les textures plus riches de Weingartner. C’est bien tout son métier de compositeur qui vient donner ici une dimension dramatique attachante. Brahms, « tremblant qu’un arrangeur anglais ne fasse une obscénité » (Massin) à partir du manuscrit alors déposé à la bibliothèque du Royal College of Music de Londres, peut maintenant dormir en paix.

Guy Sauvé
Mars 2010

vendredi 15 janvier 2010

Luminosa Buenos Aires

Luminosa Buenos Aires
Astor Piazzolla
Maximo Diego Pujol
Giampaolo Bandini, guitare
Cesare Chiacchiaretta, bandonéon
Orchestre de chambre I Musici di Parma
Cd Concerto cd2052
Quelle est la force et l'attrait du tango pour que ce soit une musique tellement jouée, enregistrée, bref, captée par tant de musiciens? Et bien simplement parce qu'il est la dernière des grandes danses urbaines dites « classiques » cela veut dire écrites sur une partition. Une lignée qui nous vient du XIX siècle, après la valse, l'autre danse classique, elle aussi écrite, elle aussi urbaine, mais par contre, jouée dans des salons aristocratiques,et qui c'est répandue partout.
La génialité du tango, a été de mêler la musique savante dans un contexte populaire. Évidement cela a été possible non seulement grâce aux musiciens de talents, mais aussi aux grands écrivains qui ont fourni des paroles et des textes de premier ordre, étudiés dans bien des classes de littérature de certaines grandes universités. C'est le cas du disque qui m'occupe ici, joué admirablement par deux musiciens italiens d'exception, Giampaolo Bandini à la guitare et Cesare Chiacharetta au bandonéon, très bien accompagnés par l'orchestre I Musici de Parma.
En fait il y a un lien subtil entre les italiens et le tango, quelque chose d'inexplicable fit qu'une grande partie du renouvellement du tango en Argentine a été accompli par des musiciens dont leurs ancêtres venaient de la péninsule. C'est le cas du grand Astor Piazzolla, peut-être le dernier de cette lignée de compositeurs, qui a su transcrire dans ses partitions tout le mystère d'une ville comme Buenos Aires. Et il fit en musique ce qu'un grand écrivain russe conseilla de faire en lettres: "décris ton village et tu seras immortel". Et bien Piazzolla c'est Buenos Aires., et tout porteño versera inexorablement une larme en écoutant sa musique n'importe où dans le monde.
Pour commencer un classique, "Les quatre saisons « porteñas »" (de Buenos Aires), suite de concert qui fit connaître Piazzolla partout, et devenir ainsi le compositeur argentin le plus joué au monde. On a également la possibilité de découvrir dans ce disque une belle œuvre du compositeur Maximo Diego Pujol, "Luminosa Buenos Aires", ou l'on peut apprécier toute sa créativité dans la description sentimentale de cette ville.
Le tout fini avec le double concert de Piazzolla « Hommage à Liège »
Petit bijou qui fera les délices des connaisseurs, ou qui comblera l'intérêt de ceux qui voudront s'initier à cette musique, mais pour ces derniers, voilà mon conseil: faites attention le tango est comme une drogue, une fois qu'on y goûte...
Concerto cd2052
Philippe Adelfang

lundi 4 janvier 2010

Joseph Holbrooke (1878-1958)

Amontillado (ouverture), op. 123 (1936)
The Viking (poème symphonique), op. 32 (1899)
Three Blind Mice (variations symphoniques), op. 37, no. 1 (1900)
Ulalume (poème symphonique), op. 35 (1903)
Brandenburgisches Staatsorchester FrankfurtHoward
Griffiths CPO 777442-2
Le label CPO continue de surprendre les mélomanes cette fois avec un disque entièrement consacré au compositeur britannique Josef Holbrooke, un contemporain de compatriotes plus célèbres comme Sir Granville Bantock (1868-1946), Ralph Vaughan Williams (1872-1958), John Ireland (1879-1962) et Arnold Bax (1883-1953).
Un examen du catalogue de ses oeuvres nous indique qu'il fut prolifique: huit symphonies, sept concertos (dont deux pour le piano, et un quadruple concerto), cinq ballets, de la musique de chambre en abondance mais surtout plus d'une trentaine de poèmes symphoniques presque tous inspirés par Allen Edgar Poe, bien connu pour ses nouvelles fantastiques, fleurons du romantisme noir.
La discographie est encore bien mince en regard d'un corpus aussi profus et je m'étonne que des labels britanniques aussi prestigieux que Chandos et Hyperion aient si peu exploré ce filon, eux qui ont déjà tant fait pour nous faire connaître le patrimoine musical de leur nation.
Après avoir savouré l'excellente prestation offerte par Howard Griffiths et un orchestre qui ne manquera sûrement pas de nouveaux contrats, il est clair que les lacunes discographiques devraient être graduellement comblées dans les prochaines années. Ce premier enregistrement de CPO dédié à ce compositeur injustement méconnu nous révèle un talent remarquable pour rendre des atmosphères frissonnantes, des clairs-obscurs troublants, des moments d'intensité dramatiques efficaces sans pour autant verser dans la caricature ou les clichés surannés.
Holbrooke possède une palette orchestrale absolument étonnante dont toutes les oeuvres de ce disque font la démonstration éloquente et je comprends mal la pudeur qui a amené CPO à ne pas imprimer sur la page de couverture du livret le titre des variations symphoniques sur la célèbre comptine Three Blind Mice . Il n'y aurait eu aucune honte à cela, bien au contraire, puisqu'au cours de ces vingt variations, Holbrooke fait la preuve (par 20 !) de sa pleine maîtrise des combinaisons de timbres, de son sens raffiné des coloris, de la profusion d'idées expressives où l'humour (citation de For he's a jolly good fellow) côtoie parfois le mystère le plus inquiétant (vers 11 minutes 46).
Quant aux autres oeuvres, inspirées par Poe, c'est toute la dimension picturale, illustrative qui met en valeur de manière convaincante son génie dans le genre du poème symphonique et, ce, jusqu'à ce qu'on ait enfin la chance de le découvrir dans d'autres genres tels que la symphonie, le concerto et la musique de chambre. Avis aux producteurs !
J'ai cherché à comprendre pourquoi le chef Dimitri Mitropoulos l'a surnommé le "Berlioz anglais" considérant que la comparaison est mal ajustée selon une perspective chronologique. Jusqu'à quel point Holbrooke était-il aussi innovateur que Berlioz par rapport à son époque ? Est-ce que d'autres compositeurs britanniques seraient de meilleurs candidats à cette épithète ? Cela doit être discuté au-delà du seul intérêt qu'Holbrooke portait au poème symphonique et de son habileté indéniable pour la caractérisation instrumentale des personnages et des climats. Chez Holbrooke, il est facile de reconnaître des allusions au style de divers compositeurs tels que Tchaikovsky, Mussorgsky, Liszt, Wagner, Sibelius, Debussy (et j'en passe). On doit répondre à ces questions avant de soutenir une telle comparaison.
Ce qui compte le plus à mon avis, c'est d'apprécier un autre de ces grands talents dont les deux grandes guerres ont éclipsé la renommée. Dans ce superbe enregistrement, admirablement servi par des musiciens sincèrement dévoués, on peut se délecter à souhait des multiples nuances suggestives qui vont de l'humour grinçant au lyrisme d'un amour passionné, du funeste crépuscule à l'agitation des vagues ou d'une humeur psychotique, de l'anticipation dramatique à une culmination intense des émotions. De plus, le livret est, comme de coutume chez CPO, généreux, très riche d'information.
C'est avec grande hâte que j'attends de nouveaux enregistrements des oeuvres de ce compositeur. Le choix est si vaste que les prochains ne sauraient nous décevoir.
Guy Sauvé Janvier 2010

mardi 22 décembre 2009

La vitesse c'est la durée, la durée c'est du temps et le temps c'est Dieu.


Mahler symphonie n°2.


Orchestre symphonique de Chicago; Miah Phersson, soprano; Christianne Stotijn, mezzo et Bernard Haitink chef d'orchestre.


CSO-RESOUND CSOR 901916.



Quand le public applaudit après l'exécution d'une oeuvre, est-ce qu'il applaudit l'oeuvre, la version de cette oeuvre qu'il vient d'écouter ou les musiciens qui ont fait de cette exécution une soirée qui restera à jamais gravée dans la mémoire collective.
Pour clarifier la réception de ces applaudissement, lors d'une soirée après le dernier mouvement de la 5è symphonie de Mahler, le chef d'orchestre Bernard Haitink, souleva la partition qu'il venait de traduire, pour écouter un autre type de musique. En fait il voulait éprouver l'émotion de voir comme tout le théâtre Colon de Buenos Aires applaudissait, sifflait et criait pour remercier Mahler de son chef d'oeuvre.
Pour l'enregistrement qui nous occupe dans cette chronique, on retrouve le même chef, mais presque 20 ans plus tard et avec une toute autre orchestre.
Est-ce que la 2è symphonie de Mahler est un chef d'oeuvre? Si on la compare à tout ce qui a été écrit après, je croirais que oui.


Totenfeier.


La mort dans l'oeuvre mahleriènne, est omniprésente. Elle occupe une grande partie de la structure de la symphonie, mais surtout, elle donne une raison d'être à son discours. Chez Mahler, la mort est toujours un point de départ, parfois pour nous mener à un aboutissement en forme de résurrection.


Laendler.


Il y a chez Mahler un côté folklorique viennois. Pour lui ce n'est pas les grandes valses des cours européennes, mais ces petites danses campagnardes à saveurs populaires.

Lied Saint Antoine de Padoue prêche aux poissons.


Là se trouve l'essence du discours mahlerien. Voix et accompagnement, parfois chanté parfois non, c'est ce qui structure sa pensée, mais également sa réserve d'inspiration. C'est une espèce de base qui l'attache à l'amour, un refuge où revenir après des voyages tourmentés.


Ulricht.


La rose entre deux abîmes. La plaque tournante de la symphonie, toute la tension qui se concentre pour l'explosion finale. C'est son Dieu qui parle.


Résurrection.


L'orchestre nous prépare à un finale comme on a rarement écouté jusqu'alors. Il va mourir pour vivre. En effet il s'immole.

Le défit de toute tâche mahleriènne, c'est de pouvoir maintenir l'équilibre, ce qui est très difficile à obtenir, puisque le discours du compositeur nous propose des messages, très messianiques tout en restant un discours d'ordre névrotique.
C'est ce qui donne la force à cette version de Haitink. Comment arrive-t-il à faire cela?
En travaillent sur la vitesse des morceaux, en donnant la sensation, que l'angoisse, l'amour, la mort et la vie, ainsi que tous les états d'âmes, peuvent se contrôler à partir d'une gradation du temps. La vraie clef de l'oeuvre se trouve dans la vitesse du discours. La vitesse c'est la durée, la durée c'est le temps, et le temps c'est Dieu.

mercredi 2 décembre 2009

Liszt ou le pèlerinage d'un artiste.



Franz Liszt
Annés de Pèlerinage I
Sonate pour piano en si mineur.
Michael Korstick
CPO 777478-2


S'aventurer dans l'œuvre de Liszt n'est pas chose facile à faire. Ses œuvres posent toujours le même problème, jusqu'où la vision de l'artiste interprète devra arriver?
Car le compositeur lui même s'est posé la question il y a en peut plus de 150 ans. La formule « il faut laisser les œuvres parler par elles mêmes » peut être valable pour beaucoup de musiciens, come Haydn ou Mendelssohn. Mais est-ce le cas pour celles de Liszt? Je ne pense pas que Liszt lui même fut d'accord avec cette théorie.


Il faut comprendre que ce type de compositeur appartient a une classe à part dans le monde de la musique. Il pourrait facilement se ranger avec Monteverdi, Beethoven, Debussy et Ligeti.
Ce sont des musiciens de transformation, de passage, de quête et de conquête d'espaces nouveaux différents et évidement plus modernes.


Le cas de Liszt est paradoxal. Son devoir fut de nous transporter de la Hamerklavier de Beethoven jusqu'aux dernières de ses pièces pour piano tout à fait a-tonales. Mais nécessairement il fallait passer par les années de pèlerinages, et surtout par sa sonate pour piano.


En quoi la contribution de Liszt a été si importante pour la musique? Et bien, derrière le masque d'interprète génial, reconnu et adoré par tous ses contemporains, se cache un compositeur intelligent et de premier ordre. Et simplement pour souligner cela, je pourrais dire qu'avec les années de pèlerinages, Liszt a ouvert la voie au deux courants majeurs de la fin du XIX et début du XX siècle dans l'évolution de la musique classique.


D'un côté c'est lui qui a mis au point toute l'esthétique harmonique que Wagner va adopter, mais c'est aussi avec ce cycle de pièces pour piano, que l'impressionisme de Debussy et de Ravel vont trouver leur source. Cela veut dire que, comme Beethoven, le compositeur et l'artiste vont surpasser leur époque et vont aussi élargir la tonalité jusqu'aux dernières limites.

L'interprétation de Michael Korstick, est tout à fait en concordance avec l'idée que l'artiste a aussi un rôle plus qu'important a jouer. Il est le seul responsable de faire passer le message écrit par le compositeur. En réalité c'est même plus important! Car à différence des autres arts, la musique a toujours besoin de quelqu'un pour la jouer. Cette dépendance entre l'œuvre et l'artiste en fait sa force et sa faiblesse.

Les sommets de l'interprétations qu'on peut écouter dans ce disque ne sont pas négligeables, ce qui permet de le placer au côté des grandes versions d'un Arrau, Berman ou même Horowitz.
Même on pourrait penser que dans la sonate pour piano, Korstick tient le rôle de Charon dans un voyage métaphysique que tout âme doit faire pour arriver au stade dit « supérieur ».
Evidement que tout cela est très subjectif, et difficile à prouver, mais une telle approche artistique serait impossible à faire, si on a pas un artiste qui contrôle tous ses moyens techniques en les mettant au service d'une partition.

Cpo 777478-2

Philippe Adelfang

Twin Spirits: un portrait de l'amour entre Robert et Clara Schumann

Trudie Styler (dans le rôle de Clara Schumann)
Sting (dans le rôle de Robert Schumann)
Derek Jacobi (narrateur)
Rebecca Evans, soprano
Simon Keenlyside, baryton
Sergej Krylov, violon
Natalie Clein, violoncelle
Natasha Paremski, piano
Iain Burnside, piano
John Caird, conception et mis en scène
Opus Arte OA 0994 (2 DVD)
Narration en anglais avec sous-titres en français, allemand, espagnol et italien

Le Royal Opera House a été le lieu d'une mise en scène tout à fait originale et pertinente. Deux groupes, un masculin, l'autre féminin, et un narrateur rendent hommage à l'un des couples mythiques du romantisme musical: Robert et Clara Schumann. On y raconte, par un récit bien ficelé et des extraits de lettres et de leur journal de mariage, les hauts et les bas de leur tumultueuse relation: leur liaison secrète, leur combat pour pouvoir se marier, leur vie de couple, de famille et d'artistes, les épreuves causées par la maladie de Robert, et, non des moindres, la fidélité de Clara après la mort de son mari.
Dans le clan de Robert, il y a Sting, accompagné du baryton, du violoniste et d'un pianiste, qui lit des passages de lettres qu'il avait adressées à Clara. De l'autre côté de la scène, il y a l'actrice Trudie Styler, côtoyée de la soprano, de la violoncelliste et de la pianiste, qui cite les lettres que Clara avait adressées à Robert. Cet échange de correspondance est parsemé de lieder et de pièces pour piano, surtout de Robert, soit des oeuvres tirées du Carnaval op.9, des Kinderszenen op.15, des cycles de lieder Dichterliebe op. 48 et Zwölf Gedichte, op. 35, une des trois Romances de l'opus 94. Mais nous avons droit à quelques belles surpises telles que deux superbes lieder de Clara Es ist gekommen in Sturm und Regen op.12 no. 2 et Sie liebten sich beide op. 13 no. 2 et une romance tirée de son concerto pour piano op. 7.
On entend aussi l'adagio des variations de Chopin sur le duo célèbre de l'opéra Don Giovanni de Mozart, La ci darem la mano. Et un peu plus loin, le duo lui-même avec piano. On y apprend que les variations de Chopin faisaient partie d'une "proposition mystique" imaginée par Robert, un moyen aux deux âmes séparées de se retrouver par la pensée durant l'interdiction du père de Clara suite à la demande en mariage. Le drame se termine dans une fougueuse apothéose du mouvement final (Mit Feuer - avec feu) du Trio no. 1 en ré mineur.
Tous les musiciens donnent une prestation fort réussie quoique je déplore un peu chez la pianiste et la violoncelliste certains effets de pose pour la caméra que l'on pourrait excuser comme erreurs de jeunesse. Bien sûr, rien au disque n'y paraîtrait et leur talent n'en serait point diminué.
Le passage le plus émouvant fut la lecture d'une lettre de Clara aux derniers jours de Robert. Les larmes nous viennent aux yeux en même temps que l'actrice. Dans le deuxième DVD, on apprend pourquoi: elle-même épouse de Sting, elle a projeté le sentiment de Clara sur sa personne; on ne peut la blâmer de cette sincérité.
Le deuxième DVD comporte cinq parties. La première consiste en une galerie de photos des artistes lors des répétitions; j'aurais apprécié que l'on ajoute des images de Robert et Clara. La deuxième partie se subdivise en quatre entrevues: instrumentistes; chanteurs et narrateur; acteurs; et le musicologue Daniel Gallagher. J'ai beaucoup aimé le commentaire perspicace du violoniste sur la densité de l'écriture de Robert Schumann. La troisième partie, nettement la plus instructive, nous vient du conservateur du musée Schumann à Zwickau. Il nous informe de manière éclairante sur plusieurs aspects de la vie des Schumann. La quatrième partie est une chronologie avec des couleurs permettant d'identifier ce qui appartient à Robert ou à Clara ainsi que certains événements indépendants d'eux. La typographie aurait dû être améliorée pour faciliter la lecture. La cinquième partie fait la promotion des projets éducatifs et communautaires associés au Royal Opera House grâce à trois témoignages sympathiques et dont devraient s'inspirer nos gouvernements.
En somme, cette production rend justice à une dramatisation qui pourrait aisément servir de modèle dans la conaissance approfondie que nous apportent des sources directes telles les correspondances et les journaux intimes des grands artistes. Et ce ne sont pas les sujets qui manquent.
Guy Sauvé

mercredi 30 septembre 2009

Johann Wilhelm Wilms


Johann Wilhelm Wilms (1772-1847)

Symphonie no. 1, op. 9 en Do majeur
Ouverture en ré majeur
Symphonie no. 4, op. 23 en Do mineur

NDR Radiophilharmonie Hannover
Howard Griffiths
CPO 777209-2
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D’entrée de jeu, une belle surprise nous attend dans cet enregistrement. Wilms est un de ces nombreux compositeurs dont la figure titanesque de Beethoven a éclipsé la réputation. J’en veux pour preuve les deux paragraphes d’une tiédeur toute factuelle que nous présente l’article du Grove Music Online. C’est grâce à Wikipedia que j’apprenais qu’un site web lui était consacré par l’Internationale Johann Wilhelm Wilms Gesellschaft (http://www.ijwwg.de/Germany/portrait.htm). À ma grande surprise, on recense pas moins de dix-sept cds pour sa discographie dont six qui lui sont entièrement dédiés, l’un d’eux étant celui qui nous occupe dans la présente chronique.

Mais on doit se tourner vers le livret du disque pour apprendre beaucoup plus que ce que nous offrent les contenus électroniques au sujet d’un compositeur qui, au-delà des influences qu’on voudra bien lui trouver, démontre une habileté et une personnalité incontestable. C’est presque un choc que de s’apercevoir, qu’en dehors de Beethoven et Schubert, qu’en dehors de l’Allemagne, de Vienne et de la France, il existe d’autres talents à cheval entre classicisme et romantisme qui méritent notre attention. Bien que né en Allemagne, Wilms se rendit à Amsterdam avant la vingtaine pour y devenir l’un des principaux compositeurs des Pays-Bas de la première moitié du 19ème siècle.

Les deux symphonies auraient été écrites dans un intervalle très rapproché. Ainsi, la création de l’opus 9 a eu lieu en janvier 1806 et celle de l’opus 23 fin 1807. Mais quelle différence déjà dans l’évolution dramatique du discours. Alors que la première rappelle plusieurs fois, sans toutefois en amoindrir ses qualités distinctes, la comparaison à la période londonienne de Haydn, la suivante nous amène au seuil du pathos digne de l’Eroica de Beethoven. Dans les deux cas, on appréciera particulièrement la verve exquise des thèmes, la vigueur rythmique, la cohérence formelle, l’écriture finement ciselée de certains passages que les amateurs de bois savoureront avec plaisir. Quant à l’ouverture, elle vaut bien plus que les insipides compléments de programme qu’on a vite fait d’oublier après un premier contact. Le thème de l’Allegro est autant agréable que mémorable et l’œuvre conserve un entrain avec lequel il fait bon de renouer.

Il est heureux que CPO ait confié à des musiciens aussi remarquables ce superbe coup d’envoi à la réhabilitation d’un compositeur tout à fait original et charmant. Je me dois de souligner l’interprétation dynamique, et l’attention portée aux délectables nuances. Une belle démonstation de l’enthousiasme qui transcende la conviction. C’est donc avec grande hâte que je souhaite découvrir les cinq autres symphonies.
CPO 777209-2
Guy Sauvé