«Chaque artiste crée ses précurseurs. Son travail modifie notre conception du passé autant que celle du futur». Jorge Luis Borges

vendredi 28 décembre 2012

Pièces pour piano de Stenhammar chez Capriccio.


Wilhelm Stenhammar (1871-1927) : Pièces pour piano
Trois Fantaisies, op. 11 (1895)
Nuits de fin d’été (Sensommarnätter), op.33 (vers 1900)
Sonate, op. 12 (1895)

Cassandra Wyss, piano
Label : Capriccio C 5117
Année d’enregistrement : 2011
Durée: 61 min. 53

Pianiste virtuose, compositeur, chef d’orchestre, chambriste et accompagnateur, Stenhammar a une telle feuille de route qu’il n’est pas étonnant qu’il fut de son vivant une figure dominante de la vie musicale dans son pays natal, la Suède. D’abord chef (à 26 ans !) de la Société Philharmonique de Stockholm, du Théâtre royal et de la Nouvelles Société Philharmonique, il dirigea ensuite pendant 15 ans l’Orchestre Symphonique de Göthenburg pour générer une très sérieuse rivalité avec celui de la capitale nationale et défendre les compositeurs scandinaves contemporains. Il fut nommé directeur du département de l’université d’Uppsala et finalement directeur musical de l’Opéra de Stockholm jusqu’à deux ans avant sa mort.

Sa carrière de pianiste n’est pas en reste cependant. À neuf ans, il compose la première de ses trois sonates pour piano (1880 - publiée très tardivement, soit en 2008 !). À 20 ans, il est soliste pour la création suédoise du premier concerto pour piano de Brahms. L’année suivante, il donne son premier concerto pour piano dont il est lui-même le soliste. Le succès de cet op.1 lui assure des reprises aussitôt après à Copenhague, Berlin, Munich, Manchester et les États-Unis. On s’étonnera alors que la partition de ce concerto ne fut découverte qu’en 1990 … aux États-Unis.

Depuis quelques temps, le label Capriccio a l’audace de nous présenter de jeunes et talentueuses recrues dont les carrières débutent dans un environnement très compétitif. Toutefois, ces choix sont tout autant assurés qu’assumés car il y a fort à parier qu’on les entendra régulièrement dans les prochaines années. Le cas de Cassandra Wyss en est un bel exemple.

Pour son tout premier enregistrement à l’âge de 18 ans seulement, Cassandra Wyss a choisi les trois meilleures oeuvres pour piano solo du compositeur. C’est un programme exigeant sur le plan technique où la tentation de verser strictement dans le spectaculaire pourrait ruiner une réputation. Dans l’ensemble, Wyss donne une interprétation convaincante qui concurrence d’autres versions déjà existantes. À sa faveur, la prise de son généralement agréable rend justice à la sonorité riche et chaude du piano, particulièrement dans le grave qui est plus accentué que les autres registres.

C’est surtout dans le cycle des Nuits de fin d’été que l’interprétation de Wyss m’a le plus ravi, les atmosphères variées de ces cinq jolis tableaux scandinaves étant rendues avec un sens exquis des nuances. Tant pour le sentiment de sérénité du premier morceau, l’impression d’une chevauchée plus enjouée qu’endiablée dans le deuxième, les teintes impressionnistes du Piano Non troppo lento, le sens épique du mouvement suivant, le caractère amusé d’une marche dans le final, elle me semble, à ce premier stade d’une carrière professionnelle, plus à l’aise, plus détendue, dans les miniatures où sa perspicacité imaginative prend des teintes beaucoup plus variées que dans un genre plus sérieux comme la sonate par exemple.

Il lui reste encore des aspects techniques à maîtriser car bien que son jeu dans la première des trois fantaisies de l’opus 11 soit spectaculaire, fougueux, le tempo est inégal par moments et les arpèges de la main gauche parfois noyés par la pédale. C’est comme si on lui avait recommandé d’ouvrir ce programme avec éclat. Pour bien des mélomanes, le pari semble réussi mais je ne suis pas convaincu qu’elle possède encore la maturité technique et une vision approfondie pour faire son entrée de la façon la plus imposante sur ses pairs. Écoutez attentivement, par exemple, l’extraordinaire intégrale pour piano solo de Debussy par Jean-Efflam Bavouzet (Chandos) et vous comprendrez ce que j’entends par maturité technique que Wyss doit encore développer.

Mais ne jugeons pas que sur cette seule pièce et voyons l’ensemble où se révèlent les promesses d’un très beau talent qu’on espère voir mûrir avec une sincère sympathie et, souhaitons-le ardemment pour elle, grâce à un travail guidé avec soin et prudence. À 18 ans, c’est déjà un exploit remarquable qu’elle ait été sélectionnée pour un enregistrement et que j’ai eu grand plaisir (vraiment) à ré-écouter plus d’une dizaine de fois avant d’écrire ces lignes.

Guy Sauvé
Décembre 2012

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