«Chaque artiste crée ses précurseurs. Son travail modifie notre conception du passé autant que celle du futur». Jorge Luis Borges

vendredi 29 juillet 2011

Stephen Barber: Astral Vinyl chez Navona Records

Barber / Tosca Strings - Stephen Barber: Astral Vinyl CD Cover Art

Stephen Barber: Astral Vinyl

Tosca Strings

American Repertory Ensemble

The Boiler Makers

The Meridian Arts Ensemble

Lucy Schaufer, soprano

Stephen Barber, piano

Darren Dyke, steel drums

Navona Records NV5850

Stephen Barber est un compositeur américain aux influences diverses, du blues à la musique sacrée en passant par le rock’n’roll, les musiques du monde, le minimalisme et l’avant-garde moderne. Son esthétique juxtapose intelligemment et, surtout, très agréablement toutes ces influences. Issu d’Austin, Texas, il semble bénéficier de l’atmosphère éclectique et ouverte qui imprègne cette ville réputée pour son festival de musiques émergentes SXSW (South by SouthWest), de plus en plus reconnu comme une plaque tournante de la nouvelle musique (rock et pop, surtout, mais aussi jazz et contemporaine à mesure que son épanouissement se réalise).

J’ai découvert en Stephen Barber un esprit contemporain à la fois ludique et rigoureux. Un peu comme ce qui se fait chez Bang on a Can, l’ensemble et le festival, à New York. Ce disque présente une douzaine de courtes pièces de musique de chambre pour la plupart rafraîchissantes, si on les situe dans le contexte d’une certaine musique contemporaine de tendance académique. En effet, la musique de Barber n’a rien de l’atonalisme dodécaphonique prescrit par les bien-pensants de la rectitude musicale d’avant-garde. Elle n’est pas racoleuse non plus, comme certaines fresques néo-rachmaninoviennes issues d’un autre académisme, très américain celui-là. La musique de Barber se situe quelque part entre la musique de chambre dite sérieuse et le rock de chambre, sorte de pop instrumentale visant l’accessibilité, certes, mais sans chercher à plaire à la pensée unique de la radio privée. Voici à quoi ressemble le déroulement du disque :

Chanson Rond Point (pl.1) : une pièce pour trio à cordes qui rappelle la musique d’Arvo Pärt, mais qui s’en démarque par le traitement des timbres, passés à travers un séquenceur informatique. Le résultat est une facture instrumentale archaïsante à la fois par son harmonie et par l’étrange réverbération qui résulte de la manipulation artificielle et qui crée un effet de distanciation émotive, telle une musique sortie d’un rêve.

Conversatio Morum Movement I (pl.2): rythmique propulsive et harmonisation modale qui teinte le tout d’une couleur orientalisante.

Marbles (pl.3) : l’une des pièces les plus intéressantes de tout l’album. Magnifique construction sonore autour d’une voix de soprano (très belle Lucy Schaufer), un piano et des Steel Drums (tambours métalliques) antillais! J’adore l’idée d’utiliser ces instruments trop souvent relégués à jouer un répertoire pour touristes plutôt grossier et simpliste, alors que leur timbre si particulier a tout le potentiel de créer des textures innovatrices en musique contemporaine. La pièce s’articule autour d’une mélodie américano-debussyste chantante et élégiaque d’une grande beauté, ornementée d’une partition de piano évanescente et des steel drums, utilisés en douceur et en tant qu’éléments pointillistes et coloristiques. Superbe!

Elvis and Annabelle Movement I (pl.4): interprétée par The Boiler Makers, un ensemble constitué de saxophones, violon, violoncelle et percussions, cette pièce ne serait pas déplacée dans un concert de l’instrumentiste pop Owen Pallett. La facture apaisante de la mélodie est compensée par la régularité de la batterie, et le tout forme une construction aimablement naïve.

Multiple points of view of a Fanfare (pl.5): Barber réinvente la fanfare pour cuivres (ici, un quintette) avec cette pièce post-minimaliste qui manie habilement bruits « blancs » générés par la bouche des musiciens aussi bien que sons conventionnels scandés sur une rythmique insistante.

Conversatio Morum Movement II (pl.6) : un brin d’Olivier Messiaen dans cette pièce contemplative également teintée de romantisme ténébreux. Très beau.

Elvis and Annabelle Movement II (pl.7): Même qualité de la mélodie ici que dans le premier mouvement de cette œuvre. On dirait un peu la trame musicale de Cinema Paradiso, signée Ennio Morricone, mais beaucoup plus circonspect dans ses épanchements instrumentaux.

Multiple Points of View of a Fanfare II (pl.8): fascinante réappropriation du cadre conventionnel de la fanfare pour cuivres que celle-ci! La pulsation rythmique réalisée par les musiciens soufflant « à vide » dans leurs embouchures mène à l’arrivée d’une sorte de choral cuivré lent et solennel, lui même vite transformé par une sorte de désintégration sonore à travers la manipulation électronique du matériau initial. Peut-être la pièce la plus « expérimentale » du disque, même si elle n’apparaît jamais obtuse et distante.

String Quartet no.1 (pl.9) : Peut-être est-le medium (le quatuor à cordes, un parangon du Grand Répertoire classique) qui agit inconsciemment sur le compositeur, mais ici, malgré une construction intellectuellement rigoureuse et la qualité indéniable du discours, Stephen Barber ressemble à n’importe quel autre compositeur « avant-gardiste ». Sa personnalité si originale semble être passée à la moulinette du devoir de « faire sérieux ».

Les Mots (pl.10) : jolie partition élégiaque et mélancolique pour trio à cordes.

Elvis and Annabelle Movement III (pl.11): le contraste avec la pièce précédente ne pourrait être plus frappant (genre, comme un uppercut du droit)! Départ canon sur rythmique acid jazz de type lounge-music, mais bientôt enrichi des cuivres, du piano et des cordes des Boiler Makers dans une sorte de déclamation mi-fanfare mi-improvisation de groupe, équivalent instrumental du discours onomatopéique d’un artiste hip-hop. Très intéressant.

The Killing (pl.12) : Qui tue-t-on ici? Je ne sais pas, mais l’écriture harmoniquement serrée de Barber pourrait aisément servir d’appui au meurtre imaginaire qui pourrait se dérouler dans l’esprit d’un Alfred Hitchcock du 21e siècle.


Frédéric Cardin

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