«Chaque artiste crée ses précurseurs. Son travail modifie notre conception du passé autant que celle du futur». Jorge Luis Borges

lundi 7 novembre 2011

Ernst Toch: Die chinesische flöte op.29; Egon und Emilie op.29; Five Pieces for Wind Instruments op.83; Quartett op.98

Mutare Ensemble

Gerhard Müller-Hornbach, direction

CPO 777 092-2

La musique d’Ernst Toch (1887-1964) fait quelque peu penser à celle d’Alban Berg dans ces prémisses de base : un flirt heureux entre un lyrisme senti et la musique (presque) atonale. À la différence de Berg, cependant, la musique de Toch ne pousse pas l’écriture jusqu’à cette densité touffue qui caractérise l’Autrichien né en 1885.

Ernst Toch préfère la lumière, le scintillement des couleurs et l’éclat des contrastes dénudés. Il y a de l’humour dans cette musique, et, surtout, il y a de l’amour. Le chant n’est jamais loin et la mélodie trouve invariablement sa voie dans cet univers foisonnant, mais jamais étouffant.

La Flûte chinoise fut écrite pour orchestre de chambre et soprano par un jeune compositeur en pleine ascension. On constate que celui-ci explore et s’inspire de la modernité ambiante : pentatonisme, polytonalisme, homophonie et contrepoint complexe, etc. Le résultat est une œuvre expressive et colorée, invitant au voyage et à l’exotisme, mais sans jamais tomber dans la facilité. Les interprètes sont de premier plan, en particulier la soprano qui navigue avec aisance dans les mélismes évocateurs de la partition. Les poèmes qui constituent la base du texte sont tirés d’un recueil de Hans Bethge, le même recueil qui inspira Le Chant de la Terre à Mahler.

Egon und Emilie op.28 est un drame « familial » dans lequel une épouse égocentrique et agitée accable son mari de questions et d’incessantes demandes d’attention. Celui-ci, silencieux sauf pour quelques courtes interventions parlées, contribue par son apathie verbale à rendre sa femme de plus en plus hystérique.

La soprano colorature qui interprète Emilie n’a pas la tâche facile : elle doit créer un effet de crescendo émotif et illustrer ce dernier par un flamboiement technique de plus en plus extravagant et explosif. Cette œuvre, teintée d’humour et d’éclats musicaux impressionnants, sera une très belle découverte pour tous les amoureux de musique moderne vocale de qualité.

Si les deux pièces ci-haut mentionnées ont été composées dans la période européenne de Toch, les deux prochaines ont pris naissance aux États-Unis, lieu d’exil du compositeur après l’arrivée des Nazis au pouvoir.

Les Cinq Pièces pour instruments à vent op.83 retrouvent la fraîcheur des couleurs suggérées par Toch dans une partie de son cycle de la Flûte chinoise. Quelque chose d’Hindemith et de ses rythmes cadencés est présent dans cet ensemble disproportionné entre 3 miniatures de moins de 2 minutes et deux pièces bien plus longues de 6 minutes.

Le Quartett op.98 pour hautbois, clarinette, basson et alto présente une combinaison fort originale qui m’a grandement plu. L’arrivée de l’alto aux côtés des trois bois délicats que sont le hautbois, la clarinette et le basson, est une merveilleuse idée. L’alto amène une texture tout en douceur grâce à la fluidité de son discours mélodique, contrastant avec l’inévitable pointillisme de la locution des instruments à vent. Vraiment, superbe.

La production de la maison CPO est impeccable, de la prise de son aux interprétations en passant par le livret, toujours aussi informatif.

Bravo.

Frédéric Cardin

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