«Chaque artiste crée ses précurseurs. Son travail modifie notre conception du passé autant que celle du futur». Jorge Luis Borges

vendredi 13 janvier 2012

Ludvig Irgens-Jensen : Symphony in D minor; Air; Passacaglia


Bournemouth Symphony Orchestra
Bjarte Engeset, direction
Naxos 8.5723112

La musique de Ludvig Irgens-Jensen (1894-1969) fut pour moi l’une des belles découvertes de l’année 2011.

Irgens-Jensen était norvégien. Le souffle épique des sagas nordiques s’y trouve fort bien représenté, mais aussi quelques échos mahlériens, dans un canevas général résolument romantique. Irgens-Jensen est décrit par ses contemporains et amis comme un homme doux et tranquille, dégageant une impression de sagesse paisible. Il était un artiste polyvalent, s’adonnant aussi à la poésie, la peinture et l’amour de la nature. Ces caractéristiques séduisantes s’expriment avec bonheur dans sa musique, ample et chorale, élégiaque et souvent mélancolique. Ses modèles musicaux étaient Bach, Palestrina, Chopin et Brahms.

Sa Symphonie en ré mineur date de 1942 et fut composée dans le cadre d’une compétition secrète organisée par l’Association des Compositeurs norvégiens, alors en opposition avec le régime pro-nazi qui dominait le pays. Irgens-Jensen était lui-même un humaniste affirmé et un opposant à l’envahisseur.

L’œuvre est imposante, faisant près de 45 minutes, et ce en trois mouvements distincts. Le premier mouvement donne le ton : des textures atmosphériques rappellent indéniablement la Scandinavie et ses légendes épiques. On pourrait facilement coller cette partition à certaines séquences du Seigneur des Anneaux et être tout aussi emporté que par la trame musicale de Howard Shore. Le discours devient plus complexe vers 3 minutes, offrant tour à tour des échos de Mahler et de Wagner. Contrairement au premier, cependant, Irgens-Jensen ne peut rester longtemps en eaux troubles, ressentant apparemment le besoin viscéral de ramener le propos à des dimensions plus élégiaques et pastorales, bien qu’une dose de mystère dramatique ne soit jamais loin. Irgens-Jensen est également mois massif et chargé que Wagner, recourant plusieurs fois au solo de violon pour exprimer son caractère contemplatif. Le mouvement reprend de la complexité vers les deux-tiers, avec un épisode tempêtueux très mahlérien et le retour furtif d’un thème héroïque esquissé au début du mouvement. Un certain calme revient avant une conclusion courte mais éclatante.

Le deuxième mouvement prend l’aspect d’une somptueuse élégie, magnifiquement vêtue d’une orchestration riche et charnue. Les thèmes s’entremêlent, dessinés soit par les familles d’instruments ou encore exemplifiés par le hautbois et le violon, protagonistes solistes privilégiés du compositeur. Le mouvement, dans sa deuxième portion, fait place à un épisode plus tourmenté, toujours aussi remarquablement distribué à travers tout l’orchestre, avant d’offrir une conclusion qui renoue avec la personnalité élégiaque du début, mais de façon plus noble et héroïque.

Le troisième mouvement est résolument plus martial et ténébreux, mais sans perdre complètement ses qualités suggestives. Mahler se rappelle ici à notre bon souvenir, mais heureusement bien attelé par le romantisme pictural d’Irgens-Jensen, ce qui donne à l’œuvre une dimension et une personnalité qui refusent le stéréotype trop calqué. Une section centrale du mouvement calme substantiellement le jeu avant de relancer la machine dans le rythme botté et affirmé du début, transportant l’auditeur vers un paroxysme tonitruant qui, curieusement, n’agit que comme prélude à la réelle finale de l’œuvre, douce et nostalgique, qui s’éteint discrètement sur un accord mineur sombre et mystérieux.
Un Air suit cette grande symphonie. Il s’agit de la transcription pour orchestre d’un lied paru en 1920 dans un cycle pour voix et piano, et basé sur des textes japonais. La concision de cette pièce, qui ne dure pas trois minutes, n’enlève rien au talent de mélodiste d’Irgens-Jensen et offre un interlude reposant entre la Symphonie et l’impressionnante passacaille qui suit.

Passacaglia fut composée en 1928 lors d’un concours de compositions commémorant le centenaire du décès de Franz Schubert. Irgens-Jensen remporta le 2e prix avec cette partition qui, rapidement, fit le tour du monde symphonique d’alors, étant reprise en quelques années de Berlin à New-York en passant par San Francisco, Venise et bien d’autres villes. Le thème principal, adéquatement empreint de noblesse et de gravité, est subtilement ornementé de sous-thèmes pastoraux lui offrant ainsi une ossature charnue qui accompagne son émergence, ou qui dépose tendrement son exposition finale dans une sorte de soupir délicat.

Ce disque m’apparaît certainement comme l’une des belles révélations musicales de 2011. Tant la musique, tout à fait inédite, que la performance sans failles de l’Orchestre de Bournemouth, et le prix franchement amical de Naxos bien entendu, rendent cette parution indispensable à la collection de tout mélomane un tant soit peu sérieux.

Ma-gni-fi-que.


Frédéric Cardin

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire