«Chaque artiste crée ses précurseurs. Son travail modifie notre conception du passé autant que celle du futur». Jorge Luis Borges

vendredi 15 janvier 2010

Luminosa Buenos Aires

Luminosa Buenos Aires
Astor Piazzolla
Maximo Diego Pujol
Giampaolo Bandini, guitare
Cesare Chiacchiaretta, bandonéon
Orchestre de chambre I Musici di Parma
Cd Concerto cd2052
Quelle est la force et l'attrait du tango pour que ce soit une musique tellement jouée, enregistrée, bref, captée par tant de musiciens? Et bien simplement parce qu'il est la dernière des grandes danses urbaines dites « classiques » cela veut dire écrites sur une partition. Une lignée qui nous vient du XIX siècle, après la valse, l'autre danse classique, elle aussi écrite, elle aussi urbaine, mais par contre, jouée dans des salons aristocratiques,et qui c'est répandue partout.
La génialité du tango, a été de mêler la musique savante dans un contexte populaire. Évidement cela a été possible non seulement grâce aux musiciens de talents, mais aussi aux grands écrivains qui ont fourni des paroles et des textes de premier ordre, étudiés dans bien des classes de littérature de certaines grandes universités. C'est le cas du disque qui m'occupe ici, joué admirablement par deux musiciens italiens d'exception, Giampaolo Bandini à la guitare et Cesare Chiacharetta au bandonéon, très bien accompagnés par l'orchestre I Musici de Parma.
En fait il y a un lien subtil entre les italiens et le tango, quelque chose d'inexplicable fit qu'une grande partie du renouvellement du tango en Argentine a été accompli par des musiciens dont leurs ancêtres venaient de la péninsule. C'est le cas du grand Astor Piazzolla, peut-être le dernier de cette lignée de compositeurs, qui a su transcrire dans ses partitions tout le mystère d'une ville comme Buenos Aires. Et il fit en musique ce qu'un grand écrivain russe conseilla de faire en lettres: "décris ton village et tu seras immortel". Et bien Piazzolla c'est Buenos Aires., et tout porteño versera inexorablement une larme en écoutant sa musique n'importe où dans le monde.
Pour commencer un classique, "Les quatre saisons « porteñas »" (de Buenos Aires), suite de concert qui fit connaître Piazzolla partout, et devenir ainsi le compositeur argentin le plus joué au monde. On a également la possibilité de découvrir dans ce disque une belle œuvre du compositeur Maximo Diego Pujol, "Luminosa Buenos Aires", ou l'on peut apprécier toute sa créativité dans la description sentimentale de cette ville.
Le tout fini avec le double concert de Piazzolla « Hommage à Liège »
Petit bijou qui fera les délices des connaisseurs, ou qui comblera l'intérêt de ceux qui voudront s'initier à cette musique, mais pour ces derniers, voilà mon conseil: faites attention le tango est comme une drogue, une fois qu'on y goûte...
Concerto cd2052
Philippe Adelfang

lundi 4 janvier 2010

Joseph Holbrooke (1878-1958)

Amontillado (ouverture), op. 123 (1936)
The Viking (poème symphonique), op. 32 (1899)
Three Blind Mice (variations symphoniques), op. 37, no. 1 (1900)
Ulalume (poème symphonique), op. 35 (1903)
Brandenburgisches Staatsorchester FrankfurtHoward
Griffiths CPO 777442-2
Le label CPO continue de surprendre les mélomanes cette fois avec un disque entièrement consacré au compositeur britannique Josef Holbrooke, un contemporain de compatriotes plus célèbres comme Sir Granville Bantock (1868-1946), Ralph Vaughan Williams (1872-1958), John Ireland (1879-1962) et Arnold Bax (1883-1953).
Un examen du catalogue de ses oeuvres nous indique qu'il fut prolifique: huit symphonies, sept concertos (dont deux pour le piano, et un quadruple concerto), cinq ballets, de la musique de chambre en abondance mais surtout plus d'une trentaine de poèmes symphoniques presque tous inspirés par Allen Edgar Poe, bien connu pour ses nouvelles fantastiques, fleurons du romantisme noir.
La discographie est encore bien mince en regard d'un corpus aussi profus et je m'étonne que des labels britanniques aussi prestigieux que Chandos et Hyperion aient si peu exploré ce filon, eux qui ont déjà tant fait pour nous faire connaître le patrimoine musical de leur nation.
Après avoir savouré l'excellente prestation offerte par Howard Griffiths et un orchestre qui ne manquera sûrement pas de nouveaux contrats, il est clair que les lacunes discographiques devraient être graduellement comblées dans les prochaines années. Ce premier enregistrement de CPO dédié à ce compositeur injustement méconnu nous révèle un talent remarquable pour rendre des atmosphères frissonnantes, des clairs-obscurs troublants, des moments d'intensité dramatiques efficaces sans pour autant verser dans la caricature ou les clichés surannés.
Holbrooke possède une palette orchestrale absolument étonnante dont toutes les oeuvres de ce disque font la démonstration éloquente et je comprends mal la pudeur qui a amené CPO à ne pas imprimer sur la page de couverture du livret le titre des variations symphoniques sur la célèbre comptine Three Blind Mice . Il n'y aurait eu aucune honte à cela, bien au contraire, puisqu'au cours de ces vingt variations, Holbrooke fait la preuve (par 20 !) de sa pleine maîtrise des combinaisons de timbres, de son sens raffiné des coloris, de la profusion d'idées expressives où l'humour (citation de For he's a jolly good fellow) côtoie parfois le mystère le plus inquiétant (vers 11 minutes 46).
Quant aux autres oeuvres, inspirées par Poe, c'est toute la dimension picturale, illustrative qui met en valeur de manière convaincante son génie dans le genre du poème symphonique et, ce, jusqu'à ce qu'on ait enfin la chance de le découvrir dans d'autres genres tels que la symphonie, le concerto et la musique de chambre. Avis aux producteurs !
J'ai cherché à comprendre pourquoi le chef Dimitri Mitropoulos l'a surnommé le "Berlioz anglais" considérant que la comparaison est mal ajustée selon une perspective chronologique. Jusqu'à quel point Holbrooke était-il aussi innovateur que Berlioz par rapport à son époque ? Est-ce que d'autres compositeurs britanniques seraient de meilleurs candidats à cette épithète ? Cela doit être discuté au-delà du seul intérêt qu'Holbrooke portait au poème symphonique et de son habileté indéniable pour la caractérisation instrumentale des personnages et des climats. Chez Holbrooke, il est facile de reconnaître des allusions au style de divers compositeurs tels que Tchaikovsky, Mussorgsky, Liszt, Wagner, Sibelius, Debussy (et j'en passe). On doit répondre à ces questions avant de soutenir une telle comparaison.
Ce qui compte le plus à mon avis, c'est d'apprécier un autre de ces grands talents dont les deux grandes guerres ont éclipsé la renommée. Dans ce superbe enregistrement, admirablement servi par des musiciens sincèrement dévoués, on peut se délecter à souhait des multiples nuances suggestives qui vont de l'humour grinçant au lyrisme d'un amour passionné, du funeste crépuscule à l'agitation des vagues ou d'une humeur psychotique, de l'anticipation dramatique à une culmination intense des émotions. De plus, le livret est, comme de coutume chez CPO, généreux, très riche d'information.
C'est avec grande hâte que j'attends de nouveaux enregistrements des oeuvres de ce compositeur. Le choix est si vaste que les prochains ne sauraient nous décevoir.
Guy Sauvé Janvier 2010