«Chaque artiste crée ses précurseurs. Son travail modifie notre conception du passé autant que celle du futur». Jorge Luis Borges

lundi 16 janvier 2012

Le Songe par Les Ballets de Monte-Carlo, une chorégraphie de Jean-Christophe Maillot.

Les Ballets de Monte-Carlo
Philippe Guillotel, costumes
Dominique Drillot, éclairages
Jean-Christophe Maillot, chorégraphie et direction
Arthaus Musik 108 035 (Blu-Ray) et 101586 (Dvd)

Le Songe d’une nuit d’été de William Shakespeare est une histoire échevelée qu’il est difficile d’aborder sans trébucher sur ses nombreux pièges, et ce dans sa version scénique habituelle. Imaginez alors si l’on tente d’en traduire la trame alambiquée (faite d’êtres féériques, de Thésée Roi d’Athènes, de trois peuples oscillant dans les méandres complexes de l’amour, etc.) dans le monde autrement exigeant de subtilité du ballet!

Heureusement, Jean-Christophe Maillot, directeur des Ballets de Monte-Carlo, possède une grande intelligence, et certainement un brin de génie.

Cette adaptation, qu’il a intitulé simplement Le Songe, navigue allègrement dans l’univers fantasque de cette pièce tout en sachant économiser les effets d’esbrouffe visuelle, évitant ainsi de sombrer dans l’ostentation frivole, tentation ma foi bien présente dans le sujet de la pièce elle-même.

Rappelons les faits : quatre amoureux, dont deux sont contraints à des mariages forcés, se réfugient dans la forêt des fées, où le roi et la reine se disputent constamment. S’ajoutent à ces hommes, femmes et créatures magiques, une troupe d’acteurs amateurs. Le reste est un feu roulant de propos contradictoires sur l’amour, ses prémisses et ses conséquences.

Maillot construit un scénario bien découpé, campant les trois tribus en présence (les Athéniens, les Fées et les Artisans) de façon nettement définie, tant par les mouvements, les costumes, et la musique.

Chacun possède sa musique. Mendelssohn pour les Athéniens, Daniel Teruggi et Bertrand Maillot (le frérot) pour les deux autres, beaucoup plus contemporains (électro-acoustique) et, incidemment, plus « surnaturels » que les « classiques » Athéniens.

Ce chassé-croisé d’intrigues amoureuses, développé sur trois niveaux de sens, apporte son lot de trivialités rigolotes, de mises en scène amusantes, de situations incongrues, habilement et joliment transcrites dans un contexte visuel empreint d’élégance et de poésie subtile.

Les décors sont ramenés à une abstraction visuelle qui prend la forme d’un voile aérien coloré par des éclairages rétroactifs aux teintes oniriques doucement décalées. D’autres éléments scéniques et géométriques accentuent l’étrangeté des lieux et leur déclinaison résolument abstraite et minimaliste.

Maillot évite l’écueil du voyeurisme et nous laisse quelque peu en retrait par rapport à l’action et aux émotions des personnages. Certains y trouveront à redire, y décelant une froideur esthétique distanciée. Moi, j’ai plutôt été charmé, justement, par cette harmonie et cette beauté plastique des corps, des mouvements et des costumes.

La musique de Mendelssohn est, bien entendu, irrésistible. Elle campe bien les personnages des Athéniens, rationnels et ordonnés, sans être limitée à mimer l’action et les mouvements. Elle apporte aussi une heureuse chaleur à l’ensemble de l’œuvre. Les partitions de Teruggi et Maillot (le compositeur, pas le chorégraphe) apportent un contraste parfois tranchant, brusque même, dans la trame narrative (on saute allègrement d’une partition à l’autre). On est d’abord surpris par ces interventions acousmatiques surréelles, surtout après les notes raisonnables de Mendelssohn, mais on finit par s’y faire et comprendre la démarche du créateur. Ces pages très contemporaines accompagnent adéquatement l’arrivée et les élucubrations parfois grotesques des êtres magiques.

En fin de compte, Le Songe de Jean-Christophe Maillot est une création audacieuse, fort bien captée et mise en évidence par ce très beau Blu-Ray de la maison Arthaus.


Frédéric Cardin


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