«Chaque artiste crée ses précurseurs. Son travail modifie notre conception du passé autant que celle du futur». Jorge Luis Borges

dimanche 8 avril 2012

Johan Halvorsen (1864-1935) L’œuvre pour orchestre, vol. 1



Marche d’entrée des boyards (ca. 1893)
Andante religioso (1ère mondiale- 1890) (*)
Suite de Mascarade (1922)
La Mélancolie (1913) (**)
Symphonie no. 1 en do mineur (1920)

Marianne Thorsen, violon (*)
Melina Mandozzi, violon (**)
Orchestre phiharmonique de Bergen
Neeme Järvi, chef
Chandos Chan 10584
Durée : 76 min.48

Johan Halvorsen, violoniste virtuose, arrangeur et chef d’orchestre, fut, avec Sinding, l’un des compositeurs norvégiens les plus importants de sa génération après Grieg et Svendsen et faisait partie d’un groupe qui a maintenu la tradition romantique dans son pays. Manifestant très jeune un véritable talent, Halvorsen devint à l’âge de quinze ans, violoniste du Folktheater de Kristiana (aujourd’hui Oslo). En 1885, il fut promu premier violon de l’Orchestre Harmonien de Bergen, l’ancêtre de la formation qui figure sur ce disque. En 1899, il devient chef de cet orchestre et directeur musical du théâtre national de la ville. À ce titre, sa carrière se développa considérablement; il dirigeait de la musique scénique surtout composée par lui (plus d’une trentaine pour des pièces de théâtre), mais aussi toutes les productions lyriques, les matinées musicales, les concerts symphoniques et folkloriques jusqu’à sa retraite en 1929.

En tant que compositeur de musique pour le théâtre, il s’est établi une réputation fort enviable grâce à une grande maîtrise des ressources instrumentales (il savait jouer de presque tous les instuments de l’orchestre), habilement adaptées aux différents caractères des scènes et des mouvements de danses. Pour s’en convaincre, on n’a qu’à écouter comment il sait rendre l’atmosphère élégante et gaie du cotillon, menuet, gavotte, passepied, bacchanale mais aussi relever l’aspect comique, caricatural de la danse grotesque (Molinasque), toutes tirées de sa suite pour Mascarade. On peut en dire autant de la Marche d’entrée des boyards, pièce flamboyante qui ouvre magnifiquement cette série dédiée à l’œuvre orchestrale de Halvorsen et qui compte parmi ses oeuvres les plus justement célèbres.

Il était grand temps que l’anthologie amorcée par Chandos soit entreprise pour sortir Halvorsen de l’oubli en dehors des pays scandinaves. En complétant le programme par la première de ses trois symphonies, on sera plus en mesure d’apprécier l’émulation qu’il a donnée à ce genre à la génération de compositeurs qui a suivi. Avant lui, Grieg rejetta la seule symphonie qu’il avait rédigée. Quant à Svendsen (1840-1911), surtout connu pour ses rapsodies norvégiennes, a laissé deux symphonies qui procèdent d’un style personnel et caractérisé à la fois par l’influence du folklore et de la forme classique. Ensuite, Sinding (1856-1941), fort apprécié de son vivant mais boudé par la suite à cause des réactionnaires antiromantiques, a laissé quatre symphonies dont seule la première, composée en 1880 et révisée en 1890, semble la plus réussie.

Avec Halvorsen, le post-romantisme prend davantage le pas avec un premier mouvement (Allegro non troppo) ouvrant sans délai sur un thème décidé, grandiose mais dont la tonalité mineure et le rythme en hémioles viennent donner une teinte un peu tragique mais tempérée par un deuxième thème tendre, optimiste et vaillant. Le deuxième mouvement (Andante) est d’un lyrisme ample et aux textures plus denses. Le scherzo, débutant sur des accords d’une plénitude sereine, retrouve légèreté et humour (par ex. : mélodie aux hautbois accompagnée du tintement de triangle). Le final propose diverses évocations très prégnantes, telle la mélodie irrésistible de la clarinette, le thème dramatique de l’Allegro deciso, un passage d’une suavité toute brahmsienne (à 2 min.27 et à 6 min 52), une parenthèse surprenante et comique (à 4 min 28), une coda concluant dans une apothéose triomphante.

Avec cette superbe symphonie, écrite vers la fin de la cinquantaine, Halvosen démontre une orchestration brillante (admirablement servie par une prise de son de très grande qualité) avec des pupitres très habilement utilisés, une conduite cohérente des thèmes et des développements ainsi qu’une personnalité sûre, appuyée par la maturité d’un travail constant. Bref, une très belle découverte qui nous rendra impatients d’écouter les prochains volumes à plus forte raison que ce répertoire ne pourrait trouver meilleur ambassadeur que l’Orchestre philharmonique de Bergen dont l’histoire remonte, selon les notes du livret, aussi loin que 1765, « ce qui fait de cet ensemble l’un des plus anciens orchestres du monde » et que Halvorsen lui-même a dirigé pendant plus de trente ans.

Guy Sauvé

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