vendredi 27 janvier 2012

Simon Gaudenz conducts Schubert & MozartConcerto pour clarinette en A major K622 (Mozart).


Symphonie No.5 en B major D485 (Schubert).

Chef d’orchestre : Simon Gaudenz

Artiste : Karin Dornbusch


Clarinettiste suédoise, Karin Dornbusch se présente comme une clarinettiste, très en vogue, demandée tant comme soliste que comme musicien d’orchestre de chambre.

Si elle s’est déjà fait connaître par plusieurs interprétation de ce magnifique concerto pour clarinette de Mozart, son jeu est ici très éthéré, très aérien, parfois un peu trop à mon goût car j’aurais préféré qu’elle soit plus présente devant l’orchestre et plus colorée ; j’aurais presque envie de dire plus mozartienne et moins retenue…

Quant à l’orchestre, le CollegiumMusicum Basel, malgré un nom vaguement Baroque, il s’avère être un petit orchestre suisse, à l'origine composé des membres de l'orchestre de l'opéra de Bâle et dirigé aujourd’hui par un jeune chef, Simon Gaudenz. Son interprétation flamboyante et passionnée ouvre la porte à un lyrisme qui confère beaucoup de charme à l’ensemble de l’album.

Genuin: GEN10165

Le profane amateur.

mercredi 25 janvier 2012

Korngold: Die Tote Stadt




Korngold: Die Tote Stadt

Klaus Florian Vogt (Paul)
Tatiana Pavloskaya (Marietta)
Michael Nagy (Frank)
Hedwig Fassbender (Brigitta)
Anna Ryberg (Juliette)
Jenny Carlstedt (Lucienne)
Alan Barnes (Gaston)
Julian Prégardien (Victorin)
Hans-Jürgen Lazar (Comte Albert)
Frankfurter Opern und Museumsorchester
Chor und Kinderchor der Oper Frankfurt
Sebastian Weigle, direction

Oehms: OC948.

Cette ville morte (Tote Stadt) d’Erich Wolfgang Korngold est inspirée du roman Bruges-la-morte de Georges Rodenbach, poète et romancier symboliste belge.

L’histoire se déroule à Bruges, véritable personnage à part entière de l’œuvre tellement elle imprègne toute la trame narrative et symboliste des événements. Dans ce décor brumeux, constamment teinté de réminiscences nostalgiques, Paul traverse à demi inconscient sa vie devenue pure et entière mélancolie depuis la mort de sa femme bien aimée, Marietta.

Korngold réalisa un grand chef-d’œuvre avec cette partition sublime, sœur des plus grandes pages de Strauss pour la scène. Le romantisme tardif du compositeur, tantôt puissant, tantôt délicatement tissé, sied magnifiquement cette histoire d’amour éternel, pur et désintéressé, mais d’une incommensurable pérennité. Il est déconcertant que cette œuvre majeure du 20e siècle ne soit pas encore un pilier incontournable du répertoire des scènes lyriques de la planète.

Klaus Florian Vogt campe un Paul fragile, mais très humain et surtout profondément touchant. Tatiana Pavloskaya, dans le rôle de Marietta, est rayonnante. On comprend ainsi ce qui pousse Paul à la désirer autant, même au-delà de la mort. Écoutez le glorieux hymne à l’amour qu’est Glück, das mir verblieb, l’inoubliable duo de Paul et Marietta à la fin du premier acte. Il s’agit là de l’une des plus extraordinaires mélodies de tout le répertoire lyrique, point à la ligne. Des opéras ne contenant aucune mélodie aussi poignante sont montés bien plus souvent. Cela me dépasse! Et quand un tel monument de beauté musicale est interprété avec une tendresse si absolument convaincante, cela finira de convaincre qui que ce soit du caractère indispensable de cette gravure dans n’importe quelle discothèque.

Les autres solistes sont tous très bons et l’Orchestre de l’Opéra de Francfort est somptueux. Cet enregistrement Oehms fait partie d’une série consacré aux productions de l’Opéra de Francfort. Je me plais à rêver que j’étais présent lors de cette création qui devait être rien de moins que spectaculaire (les quelques photos présentes dans le livret sont éloquentes : il s’agissait à n’en pas douter d’une production tout à fait exceptionnelle. J’attendrai impatiemment la sortie en format vidéo Blu-Ray!).


 Frédéric Cardin

Kinshasa Symphony un film de Claus Wischmann et Martin Baer


 
Claus Wischmann et Martin Baer, réalisation
C Major 709004 (Blu-Ray)

Si vous pensiez qu’entretenir un orchestre symphonique dans une grande ville occidentale est une tâche ardue, vous n’avez manifestement encore rien vu.

Imaginez des musiciens qui fabriquent eux-mêmes leurs contrebasses, qui taillent et découpent leurs costumes, qui travaillent de 5 heures le matin jusqu’au souper, après quoi ils courent à la répétition qui se poursuivra jusque tard dans la soirée, si l’alimentation électrique n’est pas coupée et que le groupe électrogène veut bien partir, bien sûr.

Ce documentaire est l’histoire touchante d’un orchestre symphonique improbable, situé en plein cœur de l’une des villes les plus chaotiques du monde, Kinshasa, en République démocratique du Congo.

L’orchestre symphonique kimbanguiste (du nom de la religion kimbanguiste, de mouvance chrétienne, elle-même issue d’un certain Simon Kimbangu, prophète autoproclamé de Dieu sur terre) est constitué de musiciens autodidactes qui compensent l’approximation de leur technique par une volonté inébranlable.

Pendant le documentaire, on suit quelques-uns des musiciens, dont un violoniste qui est aussi électricien de dépannage, un contrebassiste qui a appris à tailler sa propre contrebasse, une flûtiste qui se cherche désespérément un logis abordable (quelques dollars par mois!) pour elle et son enfant.

Il est fascinant de voir ces musiciens on ne peut plus amateurs se dévouer totalement à la cause de leur orchestre ou être subjugués par une symphonie de Dvorak entendue sur une vieille radio déglinguée. En les voyant, je me suis rappelé toute l’émotion vitale et viscérale que me procurait la musique classique lorsque je la découvrais pour la première fois moi aussi, il y a bien des années de cela maintenant.

Ceci dit, si le sujet est captivant, on regrettera que les deux documentaristes n’aient pas approfondi plus avant leur sujet. Quelle est la relation véritable entre la religion kimbanguiste et l’orchestre? Comment peut-on expliquer ce choix fait par les fondateurs de l’orchestre d’interpréter cette musique éminemment occidentale?

On devine que l’orchestre est un symbole de stabilité dans un monde complètement éclaté, mais aussi un tremplin offrant la possibilité d’un épanouissement personnel rarissime dans une société qui n’en offre que très peu, voire pas du tout. Mais jamais Wischmann et Baer n’abordent le sujet.

Malgré ces quelques réticences, je me dois quand même de vous encourager le plus fortement possible à vous procurer ce film. Si, comme moi, vous aimez la musique et que vous êtes convaincu de sa puissance émotive et de son incommensurable potentiel d’épanouissement humain, intellectuel et spirituel, vous serez indubitablement touchés par cette Symphonie de Kinshasa.

 Frédéric Cardin

mardi 24 janvier 2012

«Dandy» par Bataclan chez ATMA Classique

Parution : 31 août 2011
Étiquette : ATMA Classique

Durant la période de Noel, j’ai entendu, à la radio, une version de la célèbre chanson Tico-Tico jouée par l’ensemble Bataclan. Quelle étonnante surprise ! Comme j’ai voulu en écouter plus, des amis m’ont offert l’album. Je dois bien avouer que je n’ai pas été déçu.

En effet, deuxième opus de cet orchestre de chambre composé d’un basson, d’un clavecin et d’un bandonéon, «Dandy» se révèle, à la fois étrange et envoutant : il est étrange parce qu’il revisiste, avec fougue et brio, des classiques de Kurt Weill, Chostakovitch ou bien encore Piazzola et il s’avère envoutant parce que, dès les premières notes, on tombe sous un charme magique qui ne s’arrête qu’avec la fin de l’album.

Certains critiques ont trouvé «lassant d'(…) écouter dix-huit (pièces) d'affilée». Ce ne fut pas mon cas car l’ensemble de l’album est haut en couleurs et d’un style enlevé, rapide et fluide. On ne s’ennuie jamais à l’écouter. On en n’a pas le temps. Les œuvres défilent, caracolent, en bondissent, sous l’effet conjugué (et magnifique) du basson de Mathieu Lussier et du bandonéon de Denis Plante.

Bref, vous l’aurez compris, je suis sous le charme de ces dandys et je vous recommande chaudement d’écouter leur CD pour passer un très agréable moment.

Le profane amateur, janvier 2012.

mercredi 18 janvier 2012

La Flüte enchantée de Mozart dans une production de La Scala de Milan.


Sarastro Günther Groissböck
Tamino Saimir Pirgu
Queen of the Night Albina Shagimuratova
Pamina Genia Kühmeier
Papagena Ailish Tynan
Papageno Alex Esposito
Monostatos Peter Bronder
Orchestra of Teatro alla Scala
Choir of the Accademia del Teatro alla Scala
Stage Director William Kentridge
Conductor Roland Böer
Recorded live at La Teatro alla Scala, 20 March, 2011

«La Flûte enchantée (et non le Requiem) est le véritable testament spirituel de Mozart. Il l'écrit «avec peine», dans des conditions très précaires (misère, angoisse, surmenage) et dans une solitude morale absolue, malgré la collaboration de son compagnon de loge maçonique et ami Emmanuel Schikaneder. » Alexis Payne

Opus Arte dvd: OA1066D et Blu-ray OABD7099D, à partir de mars 2012 au Canada.

Mozart: Die Zauberflöte, K620

Bertrand Chamayou joue de Liszt les Années de pélerinage.


«Alors que je réfléchissais à un projet pour apporter une contribution au bicentenaire du compositeur hongrois, l'envie de relever le défit de cette oeuvre fleuve s'est très vite emparée de moi, me poussant ainsi à réaliser mon propre pèlerinage au coeur de la création lisztienne.» Bertand Chamayou.

Naïve: V5260, à partir de février au Canada.

Liszt: Années de Pèlerinage

Accentus sous la direction de Laurence Equilbey nous offrent de Mendelssohn: Christus et des Cantates.


Mendelssohn:
. Christus
. "Verleih uns Frieden Gnädiglich"
. "O Haupt Voll Blut und Wunden"
. "Von Himmel Hoch"

Sandrine Piau, Markus Butter, Robert Getchell
Accentus
Ensemble Orchestral de Paris
Laurence Equilbey


Pour leur 15ème album chez Naïve, Accentus et Laurence Equilbey mettent en regard deux chefs d'oeuvre sacrés de Mendelssohn, dont son ultime oratorio Christus.


Naïve V5265, à partir de février au Canada.


Mendelssohn: Christus & Cantates Chorales

lundi 16 janvier 2012

Jean Cras : trio à cordes; Deux impromptus pour harpe; Suite en do pour flûte et harpe; Quintette pour flûte, harpe et cordes


Juliette hurel, flûte
Marie-Pierre Langlamet, harpe
Philippe Graffin, violon
Miguel da Silva, alto
Henri Demarquette, violoncelle
Timpani 1C1179

Si Timpani n’existait pas, il faudrait absolument l’inventer. La maison française fait preuve de courage car elle s’applique systématiquement à enregistrer des compositeurs, et qui plus est des œuvres, qui seraient totalement oubliées si elles ne bénéficiaient pas de cette attention bienveillante.

Jean Cras était un compositeur français (breton) né en 1879 et décédé en 1932. Son impressionnisme luxuriant en ferait un compagnon idéal pour ravel et Debussy, si seulement les autorités en place avaient le courage de l’inscrire plus souvent à leur programmation.

Le Trio à cordes rappelle le Quatuor de Ravel dans sa sensualité anti-académique. On y détecte aussi une amusante pseudo-espièglerie folkloriste.

Les Deux Impromptus pour harpe sont ce que toute pièce impressionniste pour harpe doit être : belle et suggestive.
La Suite pour flûte et harpe est absolument charmante. Le ravissement qu’elle suscite par ses teintes semi-voilées, doucement embrumées dans une bruine harmonique où miroitent les douces envolées des deux instruments solistes.

Le Quintette est certainement l’une des meilleures partitions de Cras. Rutilant de lyrisme et de mélodisme charnel, il offre à tous les musiciens de nombreuses occasions de briller, mais sans jamais donner l’impression de privilégier la virtuosité au détriment de la simple et belle musique. Un vrai délice.

Mille fois bravos!


Frédéric Cardin

Le Songe par Les Ballets de Monte-Carlo, une chorégraphie de Jean-Christophe Maillot.

Les Ballets de Monte-Carlo
Philippe Guillotel, costumes
Dominique Drillot, éclairages
Jean-Christophe Maillot, chorégraphie et direction
Arthaus Musik 108 035 (Blu-Ray) et 101586 (Dvd)

Le Songe d’une nuit d’été de William Shakespeare est une histoire échevelée qu’il est difficile d’aborder sans trébucher sur ses nombreux pièges, et ce dans sa version scénique habituelle. Imaginez alors si l’on tente d’en traduire la trame alambiquée (faite d’êtres féériques, de Thésée Roi d’Athènes, de trois peuples oscillant dans les méandres complexes de l’amour, etc.) dans le monde autrement exigeant de subtilité du ballet!

Heureusement, Jean-Christophe Maillot, directeur des Ballets de Monte-Carlo, possède une grande intelligence, et certainement un brin de génie.

Cette adaptation, qu’il a intitulé simplement Le Songe, navigue allègrement dans l’univers fantasque de cette pièce tout en sachant économiser les effets d’esbrouffe visuelle, évitant ainsi de sombrer dans l’ostentation frivole, tentation ma foi bien présente dans le sujet de la pièce elle-même.

Rappelons les faits : quatre amoureux, dont deux sont contraints à des mariages forcés, se réfugient dans la forêt des fées, où le roi et la reine se disputent constamment. S’ajoutent à ces hommes, femmes et créatures magiques, une troupe d’acteurs amateurs. Le reste est un feu roulant de propos contradictoires sur l’amour, ses prémisses et ses conséquences.

Maillot construit un scénario bien découpé, campant les trois tribus en présence (les Athéniens, les Fées et les Artisans) de façon nettement définie, tant par les mouvements, les costumes, et la musique.

Chacun possède sa musique. Mendelssohn pour les Athéniens, Daniel Teruggi et Bertrand Maillot (le frérot) pour les deux autres, beaucoup plus contemporains (électro-acoustique) et, incidemment, plus « surnaturels » que les « classiques » Athéniens.

Ce chassé-croisé d’intrigues amoureuses, développé sur trois niveaux de sens, apporte son lot de trivialités rigolotes, de mises en scène amusantes, de situations incongrues, habilement et joliment transcrites dans un contexte visuel empreint d’élégance et de poésie subtile.

Les décors sont ramenés à une abstraction visuelle qui prend la forme d’un voile aérien coloré par des éclairages rétroactifs aux teintes oniriques doucement décalées. D’autres éléments scéniques et géométriques accentuent l’étrangeté des lieux et leur déclinaison résolument abstraite et minimaliste.

Maillot évite l’écueil du voyeurisme et nous laisse quelque peu en retrait par rapport à l’action et aux émotions des personnages. Certains y trouveront à redire, y décelant une froideur esthétique distanciée. Moi, j’ai plutôt été charmé, justement, par cette harmonie et cette beauté plastique des corps, des mouvements et des costumes.

La musique de Mendelssohn est, bien entendu, irrésistible. Elle campe bien les personnages des Athéniens, rationnels et ordonnés, sans être limitée à mimer l’action et les mouvements. Elle apporte aussi une heureuse chaleur à l’ensemble de l’œuvre. Les partitions de Teruggi et Maillot (le compositeur, pas le chorégraphe) apportent un contraste parfois tranchant, brusque même, dans la trame narrative (on saute allègrement d’une partition à l’autre). On est d’abord surpris par ces interventions acousmatiques surréelles, surtout après les notes raisonnables de Mendelssohn, mais on finit par s’y faire et comprendre la démarche du créateur. Ces pages très contemporaines accompagnent adéquatement l’arrivée et les élucubrations parfois grotesques des êtres magiques.

En fin de compte, Le Songe de Jean-Christophe Maillot est une création audacieuse, fort bien captée et mise en évidence par ce très beau Blu-Ray de la maison Arthaus.


Frédéric Cardin


Maurice Emmanuel : Ouverture pour un conte gai; Symphonies nos 1 & 2; Suite française


Orchestre Philharmonique Slovène
Emmanuel Villaume, direction
Timpani 1C1189


La maison Timpani mérite les plus beaux éloges pour le dévouement dont elle fait preuve pour nous faire découvrir des territoires méconnus mais ô combien enchanteurs.

Ce disque se consacre aux partitions peu fréquentées de Maurice Emmanuel, compositeur français né en 1862 et mort en 1938. Emmanuel possédait une réelle affinité pour la palette orchestrale. Son talent se manifestait à travers la combinaison d’un tempérament joueur et bon enfant, une culture érudite riche et étoffée ainsi qu’un modernisme musical informé mais non dogmatique.

Emmanuel était à la fois un coloriste et un créateur attaché à la forme classique. Le résultat est une musique hybride et personnelle, teintée de dissonances, mais constamment équilibrée par le besoin de dessiner des panoramas suggestifs et communicatifs.

Emmanuel étudia avec Léo Delibes, entre autres, mais s’éloigna du maître par ses recherches harmoniques, ce qui incita ce dernier à écarter son élève du Prix de Rome. Il n’y a pas de quoi nous rendre fier du vieux Léo! Emmanuel devint lui-même professeur émérite au Conservatoire, où il enseigna à Robert Casadesus, Yvonne Lefébure, Olivier Messiaen et Henri Dutilleux.

La rareté de l’œuvre d’Emmanuel n’a d’égale que sa grande qualité. Le programme s’amorce avec l’Ouverture pour un conte gai, une pièce de jeunesse de 1890 qui marque déjà le coup par une modernité précoce. C’est ici que Delibes, le vieux professeur, fut dérouté et choqué jusqu’à punir son élève. Tout cela semble bien superficiel à nos oreilles d’hommes du 21e siècle, car la pièce est vivante, colorée et attrayante.

La Symphonie no.1 suit en rendant bien compte de toute la luxuriance lumineuse de la plume « emmanuellienne ». Si la Guerre 14-18 en est le décor obligé car elle fut composée pendant cette période, l’œuvre n’en est pas mortifère pour autant. Emmanuel traduit des sentiments variés et tourbillonnants dans un canevas orchestral organique au déroulement fluide et ondoyant de couleurs et de timbres.

La Suite française en six mouvements procède d’une tendance tout à fait à la mode à l’époque, soit celle d’une réactualisation de la musique ancienne et baroque à travers une orchestration moderne. Tel le Tombeau de Couperin de Ravel, Emmanuel s’inspire d’un grand compositeur baroque français, en l’occurrence Rameau. Les légères dissonances rapprochent l’œuvre de Stravinsky plutôt que de Ravel.

La Symphonie no.2 « bretonne » rappelle d’autres exercices enracinés dans le folklore et les brumes mystiques des légendes régionales comme certaines œuvres de Ropartz ou encore l’opéra Le Roi d’Ys de Lalo, dont l’inspiration principale, cette mythique cité d’Ys, constitue l’un des piliers fabuleux de l’histoire légendaire bretonne.

Elle est divisée en quatre mouvements fort concis qui synthétisent habilement toute une panoplie d’émotions et d’images suggestives telles des danses paysannes, la mer brumeuse ou des forêts enchantées.

L’Orchestre Philharmonique Slovène est superbe, scintillant de reflets irisés et miroitant de luminosité constellée.
Grand merci aux amis de chez Timpani!



Frédéric Cardin 

dimanche 15 janvier 2012

L'Orchestre Philharmonique de Berlin l'été passé à Waldbühne sous la direction de Riccardo Chailly.



Waldbürne c'est un des amphithéâtre les plus fameux pour des concerts de musique à l'extérieur, au monde. C'est là que, chaque été, d'une façon plus décontractée, la Philharmonique de Berlin se retrouve avec son publique. Cette fois-ci en juillet 2011, l'orchestre sous la direction de Riccardo Chailly avait présenté un programme avec des oeuvres de Shostakovich, Rota et Repighi.

EuroArts DVD: 2058408 et Blu-Ray 2058404, à partir de mars au Canada.

Documentaire sur Carlos Kleiber en Blu-ray chez Arthaus.


CARLOS KLEIBER – Traces to Nowhere

A film by Eric Schulz

with
Placido Domingo
Brigitte Fassbaender
Michael Gielen
Manfred Honeck
Veronika Kleiber
Otto Schenk
and others


Arthaus Musik DVD: 101553 disponible dès maintenant, Blu-ray 108041, à partir de mars au Canada.


KLEIBER, Carlos: Traces to Nowhere (Documentary, 2010) (NTSC) Carlos Kleiber: Traces to Nowhere





Les deux concertos pour piano de Liszt chez Accentus avec Daniel Barenboim au piano et la Staatskapelle de Berlin sous la direction de Pierre Boulez.


Daniel Barenboim, PianoPierre Boulez, ConductorStaatskapelle Berlin

Franz Liszt:
Piano Concerto No. 2 in A major
Piano Concerto No. 1 in E flat major
Consolation No. 3
Valse oubliée No. 1

Richard Wagner:
A Faust Overture
Siegfried Idyll

Pour la première fois Daniel Barenboim joue les deux très virtuoses concertos pour piano de Franz Liszt dans un seul concert. À la tête de "son" orchestre, la Staatskapelle de Berlin, son ami et collègue de très longue date, Pierre Boulez.

À ne pas rater!

Acentus Music: DVD: ACC20239 et Blu-ray ACC10239, à partir de mars au Canada.


Barenboim Boulez Liszt

vendredi 13 janvier 2012

Ludvig Irgens-Jensen : Symphony in D minor; Air; Passacaglia


Bournemouth Symphony Orchestra
Bjarte Engeset, direction
Naxos 8.5723112

La musique de Ludvig Irgens-Jensen (1894-1969) fut pour moi l’une des belles découvertes de l’année 2011.

Irgens-Jensen était norvégien. Le souffle épique des sagas nordiques s’y trouve fort bien représenté, mais aussi quelques échos mahlériens, dans un canevas général résolument romantique. Irgens-Jensen est décrit par ses contemporains et amis comme un homme doux et tranquille, dégageant une impression de sagesse paisible. Il était un artiste polyvalent, s’adonnant aussi à la poésie, la peinture et l’amour de la nature. Ces caractéristiques séduisantes s’expriment avec bonheur dans sa musique, ample et chorale, élégiaque et souvent mélancolique. Ses modèles musicaux étaient Bach, Palestrina, Chopin et Brahms.

Sa Symphonie en ré mineur date de 1942 et fut composée dans le cadre d’une compétition secrète organisée par l’Association des Compositeurs norvégiens, alors en opposition avec le régime pro-nazi qui dominait le pays. Irgens-Jensen était lui-même un humaniste affirmé et un opposant à l’envahisseur.

L’œuvre est imposante, faisant près de 45 minutes, et ce en trois mouvements distincts. Le premier mouvement donne le ton : des textures atmosphériques rappellent indéniablement la Scandinavie et ses légendes épiques. On pourrait facilement coller cette partition à certaines séquences du Seigneur des Anneaux et être tout aussi emporté que par la trame musicale de Howard Shore. Le discours devient plus complexe vers 3 minutes, offrant tour à tour des échos de Mahler et de Wagner. Contrairement au premier, cependant, Irgens-Jensen ne peut rester longtemps en eaux troubles, ressentant apparemment le besoin viscéral de ramener le propos à des dimensions plus élégiaques et pastorales, bien qu’une dose de mystère dramatique ne soit jamais loin. Irgens-Jensen est également mois massif et chargé que Wagner, recourant plusieurs fois au solo de violon pour exprimer son caractère contemplatif. Le mouvement reprend de la complexité vers les deux-tiers, avec un épisode tempêtueux très mahlérien et le retour furtif d’un thème héroïque esquissé au début du mouvement. Un certain calme revient avant une conclusion courte mais éclatante.

Le deuxième mouvement prend l’aspect d’une somptueuse élégie, magnifiquement vêtue d’une orchestration riche et charnue. Les thèmes s’entremêlent, dessinés soit par les familles d’instruments ou encore exemplifiés par le hautbois et le violon, protagonistes solistes privilégiés du compositeur. Le mouvement, dans sa deuxième portion, fait place à un épisode plus tourmenté, toujours aussi remarquablement distribué à travers tout l’orchestre, avant d’offrir une conclusion qui renoue avec la personnalité élégiaque du début, mais de façon plus noble et héroïque.

Le troisième mouvement est résolument plus martial et ténébreux, mais sans perdre complètement ses qualités suggestives. Mahler se rappelle ici à notre bon souvenir, mais heureusement bien attelé par le romantisme pictural d’Irgens-Jensen, ce qui donne à l’œuvre une dimension et une personnalité qui refusent le stéréotype trop calqué. Une section centrale du mouvement calme substantiellement le jeu avant de relancer la machine dans le rythme botté et affirmé du début, transportant l’auditeur vers un paroxysme tonitruant qui, curieusement, n’agit que comme prélude à la réelle finale de l’œuvre, douce et nostalgique, qui s’éteint discrètement sur un accord mineur sombre et mystérieux.
Un Air suit cette grande symphonie. Il s’agit de la transcription pour orchestre d’un lied paru en 1920 dans un cycle pour voix et piano, et basé sur des textes japonais. La concision de cette pièce, qui ne dure pas trois minutes, n’enlève rien au talent de mélodiste d’Irgens-Jensen et offre un interlude reposant entre la Symphonie et l’impressionnante passacaille qui suit.

Passacaglia fut composée en 1928 lors d’un concours de compositions commémorant le centenaire du décès de Franz Schubert. Irgens-Jensen remporta le 2e prix avec cette partition qui, rapidement, fit le tour du monde symphonique d’alors, étant reprise en quelques années de Berlin à New-York en passant par San Francisco, Venise et bien d’autres villes. Le thème principal, adéquatement empreint de noblesse et de gravité, est subtilement ornementé de sous-thèmes pastoraux lui offrant ainsi une ossature charnue qui accompagne son émergence, ou qui dépose tendrement son exposition finale dans une sorte de soupir délicat.

Ce disque m’apparaît certainement comme l’une des belles révélations musicales de 2011. Tant la musique, tout à fait inédite, que la performance sans failles de l’Orchestre de Bournemouth, et le prix franchement amical de Naxos bien entendu, rendent cette parution indispensable à la collection de tout mélomane un tant soit peu sérieux.

Ma-gni-fi-que.


Frédéric Cardin

Odisea Negra, La Chimera sous la direction d'Eduardo Egüez.


Ivan Garcia, voix
Ablaye Cissoko, voix et kora
Teresa Paz, voix
Tato Ruiz, voix et cuatro
Carolina Egüez, voix
La Chimera
Eduardo Egüez, direction
Naïve E 8931

La Chimera est un ensemble de musique ancienne à géométrie variable qui s’est fait une spécialité de fusionner (intelligemment et très habilement) la musique médiévale et de la Renaissance avec des traditions musicales non-européennes, en particulier celles des Amériques. Leur dernière aventure en date est celle de cette « odyssée nègre » qui les amène à côtoyer des musiciens, des sonorités et des traditions de l’Amérique noire et antillaise.

Disons d’emblée que cette fusion est amplement réussit. La preuve que le terme honni de « crossover », s’il est trop souvent synonyme d’opportunisme commercial peu convaincant, peut également se révéler être l’inspiration privilégiée d’un processus de rencontres et d’échanges non seulement constructifs, mais surtout créatifs et enrichissants!

La Chimera, constituée ici de neuf musiciens de haut calibre s’exprimant remarquablement bien aussi bien aux diverses violes qu’au violon, à la harpe ou au théorbe, s’associe avec d’excellents musiciens traditionnels de culture africaine et caribéenne (l’Afrique est le creuset principal d’une large partie de la culture musicale de cet espace lourdement marqué par l’esclavage).

La présence du joueur de kora (un instrument africain à cordes pincées littéralement magique de beauté et de subtilités timbrales) Ablaye Cissoko sera particulièrement mémorable à tous ceux qui ne connaissent pas déjà cet instrument merveilleux et la remarquable musique qui en est issue.

C’est une Amérique centrale caribéenne mais aussi tributaire d’un certain « imaginaire » local qui est proposée dans ce parcours composé de 19 stations témoignant de la riche diversité culturelle de cette partie du monde. Des negrillas (chants polyphoniques issus des missions régionales) au son et la habanera cubaine, en passant par la jacara baroque, le meringue et le joropo vénézuéliens, l’ensemble de cette messe profane hétéroclite est très habilement ficelé dans un scénario cohérent qui s’appuie non sans raison sur la musique, ou plutôt les musiques proposées. Leur proximité, autant stylistique qu’affective, est soulignée par des arrangements brillants et jamais ampoulés. Toutes ces musiques conversent naturellement, telles des amies qu’on avait depuis trop longtemps oublié de réunir.

Vive la mixité!

Frédéric Cardin


Philippe Gaubert : Au pays basque; Concerto pour violon; Poème romanesque pour violoncelle et orchestre; Le Cortège d’Amphitrite


Philippe Gaubert: Works for Orchestra Volume 3

Philippe Graffin, violon
Henri Demarquette, violoncelle
Orchestre Philharmonique du Luxembourg
Marc Soustrot, direction
Timpani 1C11896



Ce disque est le troisième et dernier volet d’une intégrale des œuvres symphoniques et concertantes de Philippe Gaubert (1879-1941) parue chez l’essentielle maison Timpani.

Gaubert fut un compositeur orchestralement habile, capable de créer des atmosphères évocatrices enluminées, parsemées d’échos romantiques, de nuances debussystes et d’un certain académisme non contraignant, ce qui lui permit d’éviter un autre piège : celui d’imiter le modernisme de l’époque au point d’en perdre sa propre personnalité.

Sa musique est éminemment agréable, intelligente, pleine d’un savoir élargi, lui-même héritier d’une culture classique accomplie.

Au pays basque est un poème symphonique évocateur qui nous ramène aux séjours fréquents du compositeur dans cette région pittoresque et engageante.
Le Concerto pour violon de 1929 ne trahit pas du tout son année de création. Il est poétique et magnifiquement allusif. Philippe Graffin est l’un des très bons violonistes français de sa génération. Il est dommage qu’on ne l’entende pas plus souvent. Profitez-donc de son timbre riche et velouté dans cette belle découverte!

Le Poème romanesque exprime le côté plus romantique de Gaubert et sa capacité à dessiner des paysages amples et expressifs. Henri Demarquette est un violoncelliste que je ne connaissais pas avant cette écoute, et je fus impressionné par la puissance de sa portée sonore.

Le Cortège d’Amphitrite illumine le poème symboliste du même titre d’Albert Samain avec toute la sensualité fiévreuse et envoûtante que le texte réclame. Constatez par vous-même :


Le cortège léger glisse aux plaines liquides ;
Une rose lueur teinte le flot changeant ;
C’est la jeune Amphitrite, en sa conque d’argent,
Qui passe sur la mer avec ses Néréides.
L’archipel a surgi vers les lointains limpides…
Les Tritons font sonner leurs trompes en nageant ;
Et de leurs bras la nymphe en vain se dégageant,
Sent ses beaux seins piqués par leurs barbes squalides.
Les vagues doucement ondulent… L’air est pur.
Amphitrite sourit, toute nue, à l’azur…
Son voile de safran palpite comme une aile,
Et la brise ramène en avant ses cheveux,
Pendant que les dauphins de leurs mufles hideux,
Font jaillir l’eau marine en gerbes devant elle.
Albert Samain

Marc Soustrot et l’Orchestre du Luxembourg sont des habitués des escapades proposées par les passionnés de chez Timpani. Ils jouent avec ardeur et conviction une musique qui ne mérite pas l’oubli dans lequel elle est tenue depuis près d’un siècle.

Chapeau bas messieurs.



Frédéric Cardin

Anna Nicole


                      Turnage: Anna Nicole

Eva-Marie Westbroek (Anna Nicole)
Susan Bickley (Virgie)
Jeremy White (Daddy Hogan)

Rebecca de Pont Davies (Aunt Kay)
Loré Lixenberg (Shelley)                              
Alan Oke (J. Howard Marshall II)                 
Mark-Anthony Turnage, musique                     
Richard Thomas, livret                                        
Richard jones, mise en scène                              
Nicky Gillibrand, costumes                                         
Miriam Buether, décors                                                
Royal Opera Chorus                                                 
Orchestra of the Royal Opera House                                
Antonio Pappano, direction                                             
Opus Arte OA BD 7088D                                                    

Anna Nicole Smith était une Aphrodite de pacotille, impératrice pendant quelques années du plus mauvais goût typiquement mercantiliste et profondément américain, bien que le reste du monde occidental a malheureusement finit par suivre la vague. Issue d’un minable patelin texan, elle amorça sa « remarquable » carrière dans un bar tout aussi sordide, blonde platine et « boostée » sans plus d’avenir que n’importe quelle de ses congénères, si ce n’est, comme elles, d’avoir la possibilité d’être un jour « découverte » par un magazine (ou un producteur de films) érotique, voir pornographique.

Et c’est ce qui arriva! En 1992, elle fit son entrée dans le Playboy (dans le genre, tout de même, c’est la grande classe). Le reste ne fut qu’une longue série de frasques bouffonnes et grotesques virant parfois sur l’ordurier.

Quelques-unes de ses fredaines pathétiques devraient ici être énumérées, afin de bien camper le personnage.

En 1994 elle épousa, à 26 ans, un milliardaire sénile et souffreteux de 89 ans, qui ne l’accabla pas plus longtemps de sa présence puisqu’il eut la décence de mourir dans l’année suivante. Ses funérailles furent inoubliables : la veuve éplorée s’y présenta en robe de mariage passablement dégarnie, question de bien marquer les esprits sur sa « disponibilité »…

Elle qui s’était fort probablement marié pour l’argent du vieux schnoque, s’est ironiquement battu tout le reste de sa (courte) vie contre la famille du défunt pour obtenir sa part de l’héritage, auquel elle ne toucha jamais. En effet, au moment de sa mort, la cause traînait toujours dans les méandres judiciaires.

Ce qu’elle manquait en talent (pour ainsi dire tout), elle le compensait en vulgarité et en effronterie. Elle se présenta à un gala artistique états-unien complètement ivre (bien au-delà de toute interdiction de conduire. Il lui a probablement fallu deux accompagnateurs pour la mener à la salle de bain et l’empêcher de s’y noyer). C’est tout juste si elle n’écarta pas les jambes « on national TV » afin d’inviter le premier venu à profiter de sa « générosité ».

Elle accoucha d’une fille par césarienne devant les caméras, dans une sorte de télé-réalité dégoûtante et dépassant toutes les limites de l’opportunisme mal avisé.

Après ce monument de créativité télévisuelle, elle épousa son avocat et lors de leur voyage de noces sur un yacht près des Bahamas, elle fit encore parler d’elle en commandant d’urgence un repas de qualité pour fêter ce moment magique : un dîner Poulet Frit Kentucky, envoyé directement du continent états-unien svp!

Serez-vous surpris si je vous dis qu’elle est décédée à 39 ans (en 2007), bourrée de médicaments?

Maintenant, la question qui tue : mais que diable la direction du Royal Opera House est allée faire dans cette galère en commandant un opéra sur ce sujet?

Il faut voir bien au-delà du sujet proprement dit pour apprécier l’audace de la proposition. Anna Nicole Smith était une icône de truculence et de mauvais goût. Mais elle est (en fait, elle est devenue) une métaphore de tout un aspect complètement déjanté de la culture-spectacle populiste, véritable cyclone qui emporte des pans entiers de la société, malheureusement, mais indéniablement.

Ce besoin d’être « vedette » et célèbre, peu importe la nature de ce qui attirera les projecteurs, est bien présent chez des millions de gens. Une masse affamée, exsangue à force d’être intellectuellement vidée et siphonnée par la médiocrité et l’omniprésence du divertissement industriel, regardais Anna Nicole en s’en moquant, certes, mais en se disant qu’elle aussi pourrait être « vue » et « connue », en étant moins débile bien entendu. Le pire, c’est qu’il est probablement impossible pour tous ces gens accrochés à un certain star-système voyeuriste et superficiel de réellement éviter les pièges béants de la grotesquerie, celle-ci imbibant entièrement tout l’esprit de cette sous-culture navrante.

Autrement dit, si Anna Nicole vous donne envie d’être célèbre vous aussi, ladite célébrité, si elle survient, vous transformera inévitablement en… Anna Nicole. Mais bref, le point de cette critique n’est pas l’analyse sociologique d’un épiphénomène, mais plutôt l’appréciation d’un opéra contemporain.

Et de cet opéra, qu’en est-il? Je le dirai tout de suite, c’est une intéressante réussite. Les créateurs (Mark-Anthony Turnage, brillant compositeur britannique actuel, l’audacieux librettiste Richard Thomas et le metteur en scène Richard Jones) ont illuminé la vie scabreuse d’une playmate désespérée de touches d’humanité et d’un brin tendresse, mais sans jamais camoufler le caractère avilissant et tristement burlesque de ses extravagances. Aucune complaisance, donc, mais une tentative, réussie, de ramener Anna Nicole Smith à son niveau de femme, certes pathétiquement inadaptée, mais humaine et victime autant que complice d’un système plus vaste qui écrase et abrutit des populations entières.

Mark-Anthony Turnage signe une partition éminemment théâtrale, profondément appropriée, teintée de jazz, de pop et de soul dans un canevas orchestral ample et riche, et issue d’une lignée évidente qui nous ramène inévitablement à Bernstein et Weill, mais avec une dose raisonnable et non-abusive de modernité contemporaine.

Le livret de Richard Thomas ne s’éloigne pas trop d’un « terre-à-terre » correspondant au niveau de langage des personnages, des Américains manifestement peu lettrés. Mais il sait rendre à cette « ordinaireté » langagière son rythme urgent et direct, et lui fournir une couche supplémentaire de sens et de symbolisme. Quelques écarts plus poétiques occasionnels et savoureux, appuyés par une trame symphonique somptueuse, élèvent presque Anna Nicole au rand de personnage puccinien.

La mise en scène, colorée, active et prolifère finit de créer un opéra contemporain qui fera date. On prouve ici avec conviction que l’opéra n’a pas besoin de se référer uniquement à de grands thèmes antiques, à des concepts symbolistes alambiqués ou aux classiques de la littérature « sérieuse » pour pouvoir se donner un nouveau souffle et s’épanouir au 21e siècle. Au contraire, le monde contemporain, même dans ses turpitudes les plus frivoles, peu servir cet art total. Et celui-ci, à son tour peut servir le monde en illuminant de façon intelligente ses pires excès.


Frédéric Cardin

Louis Spohr: Symphonies 1 & 6; Overture op.12


NDR Radiophilharmonie Hannover
Howard Griffiths, direction
CPO 777 179-2

Louis Spohr est souvent présenté comme un contemporain de Beethoven, ce qui est en soi relativement inexact au plan chronologique, puisque qu’il vécut de 1784 à 1859. Il était donc à peu près une génération plus jeune que Ludwig. Mais peu importe, puisque que le qualificatif est généralement employé pour signifier une parenté musicale qu’il est tout aussi inexacte de relier de trop près à celle de Beethoven.

La musique de Spohr prend habituellement pour modèle Haydn et Mozart, mais en la recouvrant des habits orchestraux plus généreux hérités, eux, de Beethoven et du romantisme à peine naissant.

Le résultat est une musique qui est certainement agréable à entendre, vivante et allègre, mélodiquement aboutie et accrocheuse. Les œuvres de Spohr, à l’époque de leur création, ravissaient fréquemment les mélomanes frileux devant les « excès » du modernisme beethovénien. Voyez plutôt cette citation d’ETA Hoffmann à propos de la Première Symphonie de Spohr, parue dans l’Allgemeine musikalische Zeitung :

« Nonobstant son aspiration très visible à une expression puissante, elle se maintient le plus souvent dans les limites d’une dignité calme, dignité que portent déjà en eux les thèmes choisis, et qui semble mieux convenir au génie du compositeur que le feu sauvage qui gronde tel un fleuve dans les symphonies de Mozart et de Beethoven ».

Voilà exactement, pour le néophyte en mélomanie spohrienne, la meilleure façon de comprendre ce qui l’attend lors de l’écoute d’une symphonie de Spohr. Les mélodies sont simples et directes, au demeurant très agréables, les structures on ne peut plus classiques, et la volonté de puissance sonore qui se manifeste régulièrement est constamment contenue dans un corset élégant et étroitement dessiné, semblablement aux dernières symphonies de Mozart (n’en déplaise à Hoffmann), bien que les proportions des dames en question soient plus abondantes chez Spohr. Cela s’entend dans la robustesse affirmée de la basse rythmique. Mais ce que Spohr ajoute en dimension sonore, il l’évite en brusquerie et audace. Les phrases et le discours de Spohr est constamment équilibré, contrairement à Mozart, plus échevelé (mais ô combien surprenant et stimulant, bien entendu!).

La Symphonie no.1 op.20 en mi bémol majeur date de 1811 et est inévitablement la plus « classique » des deux au programme. Une introduction de caractère solennel amorce le premier mouvement, pour faire place à un allegro alerte et solaire, marquant ainsi fièrement et adéquatement la tonalité majeure de l’œuvre. Le 2e mouvement, un allegretto attrayant, précède un scherzo au caractère agreste mais léger. Le Finale, curieusement, fait preuve d’une étrange retenue avec son thème bondissant mais peu empressé, laissant une impression moins forte que le premier mouvement, malgré son allure plutôt aimable.

La Symphonie no.6 op.116 en sol majeur fut très mal reçue dès sa création en 1839. La raison n’en était pas sa « difficulté » harmonique ou ses audaces stylistiques, bien au contraire. Le mécontentement émergea plutôt d’un malentendu qui nous paraît bien bête aujourd’hui. Intitulée Symphonie historique dans le style et le goût de quatre époques différentes, elle manifestait l’intention du compositeur de rendre hommage aux styles musicaux du passé et du présent. Les abonnés de Londres (où fut présentée la symphonie) et les critiques voulurent plutôt y voir la volonté de Spohr d’affirmer sa supériorité sur celle de ses prédécesseurs, en les imitant. L’œuvre fut sifflée et l’on décréta même une interdiction de manifester à l’extérieur de la salle de concert! Ce genre de tempête dans un verre d’eau semble bien ridicule aujourd’hui.

Quoiqu’il en soit, la formule ressemble un peu à ce que firent plus tard plusieurs compositeurs, dont Respighi, qui s’adonnèrent à ces hommages « dans le style ancien ». Là où Spohr mérite tout de même un peu d’attention, c’est dans sa volonté de ne pas faire du pastiche. Les thèmes choisis par Spohr sont les siens, et sa façon d’intégrer le langage de Bach, Handel, Mozart, Haydn et même Beethoven(!) respecte son besoin d’intégrer les diverses techniques et caractéristiques inhérentes à la facture stylistique de chaque époque dans son propre esthétisme orchestral.

Le premier mouvement est fugué, inévitablement puisqu’il fait référence à Bach et Handel. Le 2e est un larghetto gracile rappelant Haydn et Mozart alors que le 3e, un scherzo accentué de percussions afin d’en relever la teneur « beethovénienne ». Le dernier mouvement se veut « moderne », dessinant le portrait de la musique du jour, soit celle de 1840. Cela sonne comme du Mendelssohn, en plus contenu.

Le programme se termine avec une Ouverture de Concert op.12 en do mineur assez énergique et flamboyante.

Le mélomane curieux et indulgent ressortira de l’écoute de ce disque avec plusieurs raisons de se réjouir, dont la principale demeure la grande amabilité mélodique et rythmique de la musique de Spohr. Le compositeur n’était pas un innovateur, ni un excentrique qui sait apporter une touche de surprise dans ses partitions (comme Mozart, ou même Beethoven), même les plus prévisibles. Il sait par contre manier l’orchestre, lui écrire des partitions qui mettent en valeur ses capacités dynamiques et la beauté des textures générales grâce à des mélodies et des thèmes plaisants. Spohr n’était ni Mozart ni Beethoven, non, mais il avait un peu des deux en lui. Suffisamment, en tout cas, pour le rendre intéressant à redécouvrir.

Howard Griffiths insuffle une bonne dose de conviction à ces partitions, et le NDR Radiophilharmonie Hannover exécute de très belles envolées qui offrent une crédibilité certaine à cette musique.

J’y reviendrai, c’est certain.

Frédéric Cardin