Menotti : Goya
Placido
Domingo (Goya); Michelle Breedt (Dona Cayetana); Iride Martinez
(Maria Luisa, Reine d’Espagne); Andreas Conrad (Carlos IV, Roi
d’Espagne); Maurizio Muraro (Don Manuel Godoy); Christian Gerhaher
(Martin Zapater); Nadia Krasteva (Leocadia/une chanteuse); Petra
Simkova (une bonne); Sergio Raonic Lukovic (Aubergiste/majordome)
Nikolaus
Adler, chorégraphie
Jesper
Kongshaug, éclairages
Steffen
Aarfing, costumes et décors
Kasper
Bech Holten, mise en scène
Radio-Symphonieorchester
Wien
Festival-Chor
KlangBogen Wien
Emmanuel
Villaume, direction
Arthaus
Musik 101 576
C’est
en 1986 que fut donnée la première de cet opéra dont l’idée fut
soufflée à Menotti par Domingo lui-même. « C’est la seule
fois, il me semble, que j’accepte une idée venant de quelqu’un
d’autre » a dit le compositeur.
L’histoire,
qui ne prétend aucunement à la vérité historique, est une sorte
de « description poétique de sa (Goya) personnalité ».
On y voit Goya, vieux, dans une taverne, tomber amoureux d’une
jeune femme aguichante, la duchesse d’Albe. Elle lui commande un
portrait et pendant les séances de pose, Goya devient de plus en
plus intensément attiré par la belle (Acte 1).
À
l’Acte 2, on voit la reine être jalouse de la duchesse et de sa
relation privilégiée avec le grand peintre. Celle-ci, rebelle et
entichée d’idées modernes (nous sommes au tournant du 19e
siècle), provoque la reine en présentant ses six caméristes,
toutes vêtues exactement comme la souveraine. Le Premier ministre
oblige Goya à faire serment d’allégeance à la reine, celui-ci
accepte. La duchesse en est fort insultée et reproche à Goya son
manque de caractère. Elle rompt avec lui.
L’Acte
3 retrouve Goya dans son atelier, retiré du monde et remplis de
remords à l’idée de n’avoir pas été, dans sa vie personnelle,
à la hauteur des idéaux et de la critique sociale véhiculés par
ses tableaux. La duchesse a été empoisonnée par la reine et Goya
fut incapable de se rendre à temps à son chevet pour la
réconforter. Mais, avant de mourir, celle-ci apparaît à Goya et
lui dit que son art transcendera le temps et réparera tous ses
doutes.
Cette
production fut crée en 2004 à Vienne, devant le compositeur déjà
très vieux. Le traitement assez sobre, mais juste, rend justice à
l’esprit des lieux, bien qu’on aurait peut-être aimé un brin
plus de flamboyance visuelle, question de bien illuminer la
somptuosité de la musique de Menotti. Le premier acte est
visuellement dénudé, la taverne en question ressemblant étrangement
à un atelier moderne. Le deuxième acte montre une cour dont
l’opulence est marquée principalement par la couleur rouge ocre
des murs, plutôt dénudés eux aussi. À cet endroit en particulier,
j’aurais aimé un peu plus d’élaboration nobiliaire dans les
décors. Le troisième acte est assez réussi. L’atelier de Goya
nous montre sur les murs quelques gravures, certaines presque
lubriques, d’autres résolument contestataires. On comprend ainsi
les remords de Goya et son sentiment d’inadéquation entre la
modernité affirmée et engagée de ses œuvres d’un côté, sa
relative discrétion dans ses relations personnelles avec le pouvoir
de l’autre.
Domingo
est le Depardieu de l’opéra. On dirait qu’il ne refuse aucun
rôle, aucun personnage, aucun défi. Et, habituellement, il s’en
sort assez bien. C’est le cas ici. Je vous avouerai par contre que
j’ai été impressionné par la performance d’Iride Martinez, la
reine, frappante de conviction et de force dominante imposée à son
entourage. Elle est dangereusement vindicative, mais sait parfois
faire preuve d’un humour cruel déroutant. Une révélation.
Michelle Breedt campe une duchesse solide, touchante (surtout dans la
scène finale où elle apparaît à Goya, dans un moment éminemment
touchant) et volontaire.
La mise
en scène de Bech Holten est assez conventionnelle, s’effaçant
presque devant l’œuvre du compositeur. Pourquoi pas, après tout?
Menotti est l’un des plus habiles hommes de théâtre du 20e
siècle!
Parlons-en
donc de Menotti. Si vous n’êtes pas familier avec sa musique,
sachez qu’elle est résolument tonale et bel
cantiste. Aucun doute
là-dessus : Menotti est un héritier avoué de Puccini, et on
l’entend dans ce Goya.
Les grandes mélodies qui embrassent l’espace sonore et harmonique
et qui survolent constamment la partition rappellent le maître
italien du début du 20e
siècle. Et vous savez quoi? C’est tellement somptueux, c’est
tellement bien construit, c’est tellement bien imbriqué avec
l’action sur scène, que ça ne peut que faire le plus grand sens.
On en ressort en se disant qu’on n’aurait pas pu imaginer une
autre partition que celle-là!
Cet
opéra, l’un des derniers de Menotti, rencontrerait beaucoup de
succès populaire s’il était présenté plus souvent dans nos
maisons d’opéra. La critique dira ce qu’elle voudra sur le
romantisme dépassé, je peux vous assurer que si vous aimez le
chant, la musique et les histoires passionnées, vous ne pourrez
qu’être conquis par cette œuvre magnifique.
Je l’ai
été.
Frédéric
Cardin
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire