The
Little Mermaid
Lera
Auerbach, musique
John
Neumeier, chorégraphie, costumes, décors
San
Francisco Ballet
Orchestre
dirigé par Martin West
C Major
708704
Cette
petite sirène n’a rien de la gentille Ariel de Disney, croyez-moi.
La vision du chorégraphe américain ramène cette histoire à ses
sources ténébreuses, celles du pacte avec des forces malveillantes
afin de satisfaire un désir égoïste, celles de l’adversité et
de l’indifférence du monde extérieur face à nos émois, peurs et
angoisses personnelles, celles de ces rêves qui s’échouent sur
les écueils du destin.
Ce qui
fut un conte pour enfant (mais des enfants d’une autre époque,
habitués plus que les nôtres aux véritables terreurs du monde
extérieur) est ici transposé en une fable presque philosophique
pour adulte éveillé. Un peu à l’image des « revisites »
opérées ces dernières années par certains réalisateurs
hollywoodiens (pensons à cette Alice de Burton, ce Chaperon rouge
bien mordant de 2010, ou la récente version de Blanche-Neige avec
une méchante reine psychopate jouée par Charlize Theron), cette
sirène vit dans un monde envahi par le côté obscur de la force.
En fait,
on revient ici à l’esprit d’Andersen. Contrairement à celle de
Disney, cette sirène souffre atrocement à chaque pas qu’elle fait
avec ses nouvelles jambes. Son désespoir est parfois si palpable
qu’on se demande si elle ne va pas tenter de mettre fin à ses
jours.
Les
décors et les costumes sont suggestifs et contemporains. On baigne
dans des teintes généralement faites de bleus et de gris. J’ai
particulièrement été émerveillé par la mise en scène du fond de
l’océan : de simple courbes lumineuses au-dessus des têtes
des danseurs, plongés dans une lumière bleu sombre, a suffit à me
transporter dans ce univers ondoyant et mystérieux. Superbe!
La
chorégraphie est angulaire, hachurée, surtout en ce qui concerne la
petite sirène. Les autres personnages sont fort bien illustrés,
comme dans cette scène de la transformation où la jeune fille
« perd » sa queue. La magie morbide qui est opérée est
activée par des personnages tournoyants et frénétiques, desquels
une puissance surnaturelle se dégage. La combinaison de pureté des
couleurs et d’économie des décors ramène toute l’attention sur
les personnages et sur la fabuleuse poésie des mouvements, tant pour
illuminer le début de la passion amoureuse de la jeune femme envers
l’humain qu’elle a sauvé, que pour mettre en lumière les
difficultés d’adaptation de la fausse humaine à son nouvel
environnement ou même transcender la profonde tristesse finale de la
sirène, rejetée par un monde pour lequel elle a tant sacrifié.
Un mot
bien sûr sur la musique de la russe Lena Auerbach. Contemporaine et
dissonante mais aussi bien somptueuse et grandiose que subtile et
dépouillée, elle magnifie avec beaucoup de force émotive les
tribulations intérieures des personnages. Il se dégage de cette
musique évocatrice une sorte de néoromantisme actualisé, mais
aucunement cliché. Un romantisme de l’expression, qui accueille
les grincements aussi bien que les accords plaqués de cuivres avec
facilité car ils sont intégrés à une trame orchestrale aux
textures fastueuses. Cette musique est robuste, parfois rugueuse,
mais elle est fortement attrayante. Un peu comme dans les meilleures
partitions hollywoodiennes.
La
production Blu-Ray est magnifique, avec des prises de vue de grande
qualité, et une qualité visuelle à la hauteur du spectacle visuel
époustouflant créée par l’une des grands chorégraphes
contemporains. Je ne saurais assez vous enjoindre de regarder (et
écouter) ce véritable chef-d’œuvre!
Frédéric
Cardin
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