lundi 20 août 2012

The Little Mermaid, par le ballet de San Francisco chez C Major.


The Little Mermaid
Lera Auerbach, musique
John Neumeier, chorégraphie, costumes, décors
San Francisco Ballet
Orchestre dirigé par Martin West
C Major 708704

Cette petite sirène n’a rien de la gentille Ariel de Disney, croyez-moi. La vision du chorégraphe américain ramène cette histoire à ses sources ténébreuses, celles du pacte avec des forces malveillantes afin de satisfaire un désir égoïste, celles de l’adversité et de l’indifférence du monde extérieur face à nos émois, peurs et angoisses personnelles, celles de ces rêves qui s’échouent sur les écueils du destin.

Ce qui fut un conte pour enfant (mais des enfants d’une autre époque, habitués plus que les nôtres aux véritables terreurs du monde extérieur) est ici transposé en une fable presque philosophique pour adulte éveillé. Un peu à l’image des « revisites » opérées ces dernières années par certains réalisateurs hollywoodiens (pensons à cette Alice de Burton, ce Chaperon rouge bien mordant de 2010, ou la récente version de Blanche-Neige avec une méchante reine psychopate jouée par Charlize Theron), cette sirène vit dans un monde envahi par le côté obscur de la force.

En fait, on revient ici à l’esprit d’Andersen. Contrairement à celle de Disney, cette sirène souffre atrocement à chaque pas qu’elle fait avec ses nouvelles jambes. Son désespoir est parfois si palpable qu’on se demande si elle ne va pas tenter de mettre fin à ses jours.

Les décors et les costumes sont suggestifs et contemporains. On baigne dans des teintes généralement faites de bleus et de gris. J’ai particulièrement été émerveillé par la mise en scène du fond de l’océan : de simple courbes lumineuses au-dessus des têtes des danseurs, plongés dans une lumière bleu sombre, a suffit à me transporter dans ce univers ondoyant et mystérieux. Superbe!

La chorégraphie est angulaire, hachurée, surtout en ce qui concerne la petite sirène. Les autres personnages sont fort bien illustrés, comme dans cette scène de la transformation où la jeune fille « perd » sa queue. La magie morbide qui est opérée est activée par des personnages tournoyants et frénétiques, desquels une puissance surnaturelle se dégage. La combinaison de pureté des couleurs et d’économie des décors ramène toute l’attention sur les personnages et sur la fabuleuse poésie des mouvements, tant pour illuminer le début de la passion amoureuse de la jeune femme envers l’humain qu’elle a sauvé, que pour mettre en lumière les difficultés d’adaptation de la fausse humaine à son nouvel environnement ou même transcender la profonde tristesse finale de la sirène, rejetée par un monde pour lequel elle a tant sacrifié.

Un mot bien sûr sur la musique de la russe Lena Auerbach. Contemporaine et dissonante mais aussi bien somptueuse et grandiose que subtile et dépouillée, elle magnifie avec beaucoup de force émotive les tribulations intérieures des personnages. Il se dégage de cette musique évocatrice une sorte de néoromantisme actualisé, mais aucunement cliché. Un romantisme de l’expression, qui accueille les grincements aussi bien que les accords plaqués de cuivres avec facilité car ils sont intégrés à une trame orchestrale aux textures fastueuses. Cette musique est robuste, parfois rugueuse, mais elle est fortement attrayante. Un peu comme dans les meilleures partitions hollywoodiennes.

La production Blu-Ray est magnifique, avec des prises de vue de grande qualité, et une qualité visuelle à la hauteur du spectacle visuel époustouflant créée par l’une des grands chorégraphes contemporains. Je ne saurais assez vous enjoindre de regarder (et écouter) ce véritable chef-d’œuvre!


Frédéric Cardin

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