dimanche 7 mars 2010

Felix Weingartner, compositeur et chef d'orchestre.


Felix Weingartner (1863-1942)
Concerto pour violon, op. 52
Schubert : Symphonie (no 7), D 729, arrangée
par Felix Weingartner d’après
les fragments et l’esquisse
Laurent Albrecht Breuninger, violon
SWR Rundfunkorchester Kaiserlautern
Alun Francis, chef
CPO 999 424-2



La carrière de Felix Weingartner, né en Autriche, comporte essentiellement deux volets : chef d’orchestre et compositeur, les deux ayant démarré la même année, 1884, avec la création de son premier opéra Sakuntala, et l’obtention du poste de direction de l’orchestre de l’opéra de Königsberg. En examinant le nombre d’œuvres d’envergure qu’il a écrites (9 opéras, 7 symphonies, 5 quatuors à cordes, poèmes et ouvertures symphoniques, un octuor, un sextuor, etc), on a raison de se demander laquelle de ces occupations a pris le plus de place dans sa vie.
Heureusement pour le mélomane curieux d’apprécier les perles rares du post-romantisme, la firme CPO a déjà produit près d’une dizaine de disques de musique symphonique et de chambre, de sorte qu’on peut maintenant se faire une bonne idée de son talent de compositeur. Le présent disque sort des sentiers en proposant pour la première fois à son catalogue un concerto et un arrangement.



Le concerto en trois mouvements pour violon et orchestre op. 52, créé en 1912 par un Fritz Kreisler à l’aube de sa célébrité, démontre une maîtrise de l’écriture pour l’instrument rivalisant de virtuosité et de cadences redoutables avec les autres concertos fermement établis au répertoire. On retrouve par moments l’opulence brahmsienne dans le premier mouvement, des passages tantôt suaves tantôt pétillants dans le deuxième, un thème enjoué dans le troisième tout en bravoure, intitulé « Caprice savoyard ».
L’interprétation de Laurent Albrecht Breuninger, gagnant de plusieurs prix dont un lors d’une compétition internationale de violon tenue à Montréal en 1995, est à la hauteur de la commande fort exigeante. Lors de bref épisodes de quelques secondes, la masse orchestrale écrase la partie soliste, mais cela compte peu en regard des pages héroïques brillamment défendues par le soliste.



Allons à Schubert. Les mélomanes désirant acquérir une « intégrale » des symphonies de Schubert doivent regarder attentivement le contenu des boîtiers car, dans la grande majorité des cas, il y a un trou béant entre la sixième et la huitième. Où est donc passée la septième ? Elle existe pourtant même si Schubert ne lui a pas attribué de numéro. Il avait, contrairement à d’autres esquises ou autres oeuvres du genre demeurées inachevées, apposé la mention Fine, dignement calligraphiée, au terme de quatre mouvements, des quelque 1350 mesures, toutes bel et bien « barrées ».



Le hic : seules les cent dix premières mesures comportent l’orchestration complète. Tout le reste est noté jusqu’à la fin par des lignes mélodiques accompagnées de basses, soit aux premiers violons, soit aux instruments à vent (seul ou en groupe) prenant le relai. Selon Sir George Grove qui reçut le manuscrit entier en 1861, « chaque mesure est inscrite, les tempi et les noms des instruments sont écrits au début de chaque mouvement, toutes les nuances sont indiquées .»


La tentation de compléter l’orchestration, de remplir les cases laissées ouvertes de cette symphonie tien au fait qu’elle représente un moment charnière dans l’évolution de Schubert. Pour la première fois, il utilise trois trombones et quatre cors, sacrifie la reprise de l’exposition, développe cette dernière au cours de trois tonalités, manifestant ainsi le besoin de se démarquer définitivement des influences de Mozart et de Haydn, de s’engager dans une voie nettement plus personnelle.



Trois musiciens ont donc cédé à cette tentation. Il y eût d’abord John Francis Barnett en 1883 mais il ne subsiste maintenant que la réduction pour piano. Ensuite, il y eût Weingartner. Finalement, le musicologue Brian Newbould qui bénéficie de la plus grande diffusion, notamment avec la version de Sir Neville Marriner dans un coffret de six cds parus chez Philips (Dix symphonies et les deux esquisses D 615 et D 708a), la belle version de Charles Mackerras sur Hyperion (un cd, avec la 10ème et les deux esquisses) et son orchestration de la septième, enregistrée isolément chez Koch Schwann-Musica Mundi avec Gabriel Chmura.


Entre les versions Newbould et Weingartner, il y a des différences d’instrumentation et de textures polyphoniques très significatives qu’il serait trop long d’exposer dans cette chronique. Chaque version ayant ses mérites propres, seule une question de goût déterminera la préférence de chacun pour l’une ou pour l’autre. Pour ma part, l’exercice de comparaison en vaut la peine.

J’apprécie davantage à la pudeur musicologique les audaces instrumentales plus imaginatives, les contrepoints plus denses, les textures plus riches de Weingartner. C’est bien tout son métier de compositeur qui vient donner ici une dimension dramatique attachante. Brahms, « tremblant qu’un arrangeur anglais ne fasse une obscénité » (Massin) à partir du manuscrit alors déposé à la bibliothèque du Royal College of Music de Londres, peut maintenant dormir en paix.

Guy Sauvé
Mars 2010

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