mercredi 19 septembre 2012

Les Troyens de Berlioz sous la direction de Gardiner chez Opus Arte


Berlioz : Les Troyens

Susan Graham (Didon); Anna Caterina Antonacci (Cassandre/Clio); Renata Pokupic (Anna); Gregory Kunde (Énée); Ludovic Tézier (Chorèbe); Nicolas Testée (Panthée); Laurent Naouri (Narbal/Le Grand Prêtre); Mark Padmore (Iopas); René Schirrer (Priam/Mercure)
Yannis Kokkos, mise en scène
Patrice Trottier, éclairage
Monteverdi Choir
Choeur du Théâtre du Châtelet
Orchestre Révolutionnaire et Romantique
Sir John Eliot Gardiner, dir.
Opus Arte OA BD7059 D (2 Blu-ray)


C’est un casting d’enfer qui donne vie à ces Troyens de Berlioz, un opéra monumental plutôt casse-gueule. Cette histoire basée sur l’Énéide de Virgile, qui retrace les racines de la fondation de Rome à partir de la Guerre de Troie, fait appel à des effectifs énormes en plus de taxer les chanteurs avec des partitions où l’endurance des artistes est mise à rude épreuve en plus d’exiger une technique et une puissance hors norme.

Parlons d’abord de la mise en scène. Économe, symbolique, impressionnante mais sans exagération ostentatoire, celle-ci réussit avec beaucoup de bonheur à traduire le côté grandiose de l’épopée, mais aussi ses drames humains et personnels particulièrement intenses. Yannis Kokkos utilise plusieurs artifices de façon très intelligente, dont un gigantesque miroir surplombant les acteurs et qui vient troubler la perspective en révélant un regard surélevé de l’action. Le spectateur se retrouve dans une position de force et semble regarder, par moments, le déroulement de la tragédie comme du haut de l’Olympe. Des projections de la mer et d’apparitions fantômatiques contribuent à une certaine ambiance irréelle. Les autres éléments importants de l’histoire sont eux aussi stylisés, mais jamais dans une sorte de version euro-trash post-moderne trop souvent perpétrée ces dernières années. Kokkos est plus subtil. Troie apparaît vaguement italienne de la renaissance, les costumes sont intelligemment calibrés de façon à suggérer certaines associations contemporaines, mais tout juste. On prendrait les Grecs pour des GIs américains, les Carthaginois sont en teintes pâles et indiquent une vague réminiscence de l’Afrique du Nord actuelle, les vaisseaux de combat sont stylisés, linéarisés. Tout est fait avec un indéniable sens du bon goût et un refus de l’hyperbole.

Évidemment, une belle mise en scène peut jouer un rôle important dans le succès d’un opéra, mais ce qui compte le plus, c’est la qualité des chanteurs! Et en ce sens, cette production frappe très fort là où ça compte!

Susan Graham est une interprète reconnue du répertoire français, en plus d’être une excellente actrice. Anna Caterina Antonacci est l’une des grandes étoiles de la jeune génération, et elle se révèle ici une tragédienne au grand souffle et à la présence scénique imposante (ce qui est nécessaire pour son rôle de Cassandre, longuement présente sur scène). Le ténor américain (Kunde) est aussi une très belle révélation. Il possède un coffre sonore ample et velouté. Les rôles plus occasionnels ou même secondaires n’ont pas à pâlir eux non plus. Imaginez quand vous avez des Laurent Naouri, Mark Padmore et Ludovic Tézier pour compléter un casting, et vous aurez vite deviné que ce qui vous est présenté peut difficilement être qualifié autrement qu’exceptionnel.

Sir John Eliot Gardiner dirige son orchestre et ses chœurs de main de maître. Ses tempi et ses textures sont clairs, nets et précis. Gardiner pousse l’action, sans la bousculer. Il illumine la partition grâce à sa vision bien connue de la musique ancienne, qu’il applique ici à une œuvre romantique parmi les plus « lourdes », et ce d’une façon éminemment convaincante.

Cette production Blu-ray nous fait presque croire qu’on se trouvait au Théâtre du Châtelet en 2003.



Frédéric Cardin

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