lundi 24 octobre 2011

Johann Christoph Bach: Welt, Gute Nacht








Julia Doyle, soprano

Katharine Fuge, soprano

Clare Wilkinson, mezzo-soprano

Nicolas Mulroy, alto/tenor

James Gilchrist, tenor

Jeremy Budd, tenor

Matthew Brook, basse

Peter Harvey, basse

English Baroque Soloists

John Eliot Gardiner, direction

Soli Deo Gloria SDG 715


C’est un pan entier de la musique baroque, et occidentale en général, qui se retrouve ici mieux enraciné! Ce cousin plus âgé du grand Jean-Sébastien était profondément admiré par son jeune cadet, au point d’en influencer le développement musical. Ce qui, en fin de compte, revient à dire que nous lui devons probablement une partie difficile à évaluer mais indéniable de la plus sublime musique qui fut composée dans notre histoire (celle de JSB).

La musique de Johann Christoph est formellement beaucoup moins complexe que celle de Sébastien et elle se déroule à un rythme plus lent et moins sujet à l’expansion harmonique et/ou instrumentale. Elle possède cependant une force spirituelle d’une surprenante puissance en s’appuyant sur des valeurs musicales éprouvées à l’époque telle la chaconne (comme dans la dernière partie de l’œuvre).

Cet ensemble de pièces élaboré par Eliot Gardiner comprend, à hauteur de deux chacun, des dialogues, arias, lamento et motets. La plupart des pièces sont écrites pour des cérémonies funéraires, ce qui explique leur caractère contemplatif et un brin austère. Mais ce qui frappe surtout dans ce projet, c’est l’immédiateté des affetcs suggérés.

Le premier Dialogue (sorte de scène religieuse représentée à l’époque dans les églises) intitulé Herr, wende dich und sei mir gnädig présente des chrétiens pénitents illustrés par les voix solistes supérieures accompagnées par l’orgue. Celles-ci sont réconfortées par la bienveillance de la basse et des cordes. Le 2e dialogue, Meine Freundin, du bist schön s’éloigne du répertoire sacré pour embrasser plutôt le profane, de manière codée mais musicalement évidente. Composé probablement pour les noces du frère jumeau d’Ambrosius Bach, donc oncle de Jean-Sébastien (Ambrosius étant le père de ce dernier) et nommé lui aussi Johann Christoph, ce long mouvement de près de 25 minutes laisse transparaître, sous ses airs dévots, un certain esprit de réjouissance plus humaine que purement mystique.

Les deux Arias sont de magnifiques compositions qui, sous des airs simples et dépouillés cachent un savoir-faire raffiné. Le premier, Mit Weinen hebt sich’s an comporte quelques trouvailles métriques qui rendent la relation habituelle texte/musique très inhabituelle. Le rendu est absolument saisissant. Le deuxième, Es ist nun aus mit meinem Leben procède d’une science moins complexe, mais l’intelligence et l’originalité du traitement demeurent, et, surtout, la beauté marquante de la mélodie et de son déploiement donnent envie de réentendre immédiatement ces petit bijoux très succincts (5 et 6 minutes).

Les deux Lamento sont eux aussi fort poignants. Le premier, Wie bist du denn, O Gott, faisait partie d’un recueil perdu pendant la 2e guerre mondiale puis retrouvé à Kiev en 1999. Quel bonheur! Voix solo appuyée par un violon, également solo, face à un ensemble de cordes plaintives qui soutiennent puissamment les mélopées bouleversantes des solistes. Le deuxième, Ach, dass ich Wassers G’nug hätte reprend lui aussi les mêmes prémisses livresques car il intègre plusieurs éléments du Livre de Jérémie et du Psaume 38 (entre autres). L’effet, touchant jusqu’à l’âme, est le même.

Reste les Motets, le premier intitulé Der Gerechte, ob er gleich zu zeitlich stirbt et maniant avec habileté les contrastes et irrégularités rythmiques propres à cette forme éprouvée, a été composé pour des funérailles. Mais à travers les jeux métriques de la composition, Bach crée une ambiance qui s’éloigne de celle de la lamentation pour appuyer un propos un brin plus extraverti ramenant à l’avant plan l’idée que le défunt ne saurait être en mauvaise posture, au contraire puisqu’il est dans la joie. Le deuxième motet, Fürchte dich nicht est tout à fait génial car il joue fort habilement sur les mots « Tu es mien », « Aide-moi » et des éléments du texte d’Isaïe « Ne crains rien car je t’ai sauvé, je t’ai appelé par ton nom, tu es mien » et celui de Jésus sur la croix s’adressant au larron : « En vérité je te le dis : aujourd’hui tu seras avec moi au paradis ». Les quatre voix principales qui amorcent le motet sont rejointes bientôt par la cinquième, celle de soprano, qui récite la mélodie de choral. La construction harmonique de Bach introduit un élément d’incertitude (y a-t-il bien un paradis?) mais le « Tu es mien » répété trois fois en douceur finit de rassurer le défunt (et ses proches, en déduisons-nous). Un grand chef-d’œuvre.

Décidément, Jean-Sébastien avait de qui tenir! Le plus beau, c’est que grâce à ce superbe disque, nous en avons maintenant une preuve indéniable!

Frédéric Cardin

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