lundi 1 août 2011

Magnus Lindberg: Orchestral Music chez Ondine


Magnus Lindberg: Orchestral Music

Avanti Chamber Orchestra; Toimii Ensemble; Finnish Radio Symphony Orchestra; Bavarian Radio Symphony Orchestra

Sakari Oramo, Esa-Pekka Salonen, Jukka-Pekka Saraste

Ondine ODE 1110-2Q

La musique de Magnus Lindberg est l’un des avant-postes de l’avant-garde contemporaine. Chez Lindberg, point de néo ceci ou cela. Pour le compositeur finlandais, la complexité et les contrastes sont essentiels à son expression esthétique. Mais là où la froideur cérébrale l’emporterait chez plusieurs, l’énergie, l’effervescence et le bouillonnement sonore tiennent le haut du pavé chez cet artiste unique né à Helsinki en 1958.

Ce coffret paru chez Ondine réunit presque toutes les œuvres orchestrales non concertantes de Lindberg, enregistrées précédemment sur des disques individuels. L’agencement sur quatre disques est chronologique ce qui permet de bien ressentir l’évolution esthétique du langage lindbergien. Une écoute attentive illuminera quatre périodes de créativité. La première est celle de l’activisme et de l’affirmation personnelle éclatante, sans compromis. Lindberg y est endiablé, sa musique est robuste, totalement abstraite, mais débordante de rythme et de pulsations appuyées bien qu’hachurées. La deuxième voit le compositeur travailler son matériau de façon plus « affable », comme un sculpteur modelant l’argile, alors que dans la première phase, il ressemblait plutôt à ciseleur de pierre. Il introduit des éléments de musique spectrale dans son esthétique, la musique se fait plus scintillante, kaléidoscopique. La troisième période le voit revenir à certains standards « classiques » tels une construction rythmique plus précise et l’introduction de motifs et thèmes musicaux inimaginables auparavant. La dernière période (celle qui existe depuis quelques années et mène jusqu’à aujourd’hui) est celle de l’introduction d’un certain (et véritable) mélodisme dans la facture habituelle et toujours bien identifiable du compositeur. Il est important de rappeler que chez Lindberg, les phases successives n’annulent et ne remplacent pas les innovations des phases précédentes. Elles ajoutent de nouvelles dimensions à un spectre artistique déjà riche en multiples facettes. Regardons de plus près chaque pièce dans leur ordre d’écoute sur le coffret :

Tendenza – 1982 (cd1 pl.1) : L’entrée en matière ne laisse aucun doute possible sur les intentions du compositeur. La partition éclate et explose de mille feux dès la première seconde. Rythmes hachurés, harmonie déchiquetée, couleurs en constante ébullition, toute l’œuvre est un hymne à la complexité, certes, mais aussi à l’énergie brute et primitive. Cette pièce est remarquable, mais elle devrait venir avec une étiquette de mise en garde pour oreilles sensibles.

Kraft – 1983 (cd1 pl.2-3) : pièce en deux mouvements, véritable signature qui lança définitivement la carrière internationale de Lindberg et le confirma comme grand apôtre de la modernité la plus accomplie. Pensez au primitivisme de Stravinsky dans le Sacre, multipliez son intensité par 10 et vous aurez un peu l’idée de la chose. Il est dit que c’est le contour rythmique de l’œuvre qui a été conçu au départ. Tout le reste est venu par la suite. Une véritable grand-messe païenne saisissante de force sauvage (imaginez une toile de Willem de Kooning), mais non dépourvue de passages épurés et brodés, quant à eux, comme un tableau de Pollock transposé sur du papier à musique.

Kinetics – 1989 (cd1 pl.4) : Avec cette pièce pour orchestre symphonique, Lindberg amorce une trilogie qui se poursuivra avec les deux œuvres suivantes. Dans ce tryptique, les rythmes sont moins tailladés, le développement musical plus fluide et morphique. Les enseignements de Grisey et Murail sont ici en plein épanouissement et fleurissent l’esthétique lindbergienne de manière évidente. L’œuvre elle-même progresse d’une dimension initiale flamboyante vers une finale concentrée sur une note basse dépouillée précédant un climax définitif d’intensité extrême.

Marea – 1990 (cd1 pl.5) : Marea, pour orchestre de type sinfonietta, procède à l’inverse de Kinetics. Une introduction robuste et profonde se transforme en une dizaine de minutes en une finale scintillante pour les instruments aigus.

Joy – 1990 (cd2 pl.1) : écrite pour orchestre de chambre, cette pièce est la plus affable que Lindberg ait écrite à ce moment dans sa carrière. Il s’agit toujours de musique totalement abstraite, dénuée de mélodie et de thèmes précis, mais l’attitude est manifestement plus accueillante. L’orchestration inclut un synthétiseur, ce qui ajoute un élément « récréatif » à la composition.

Corrente – 1992 (cd2 pl.2) : Corrente, ou Courante, fait à la fois référence à la danse baroque et au principe de mouvement continu (tel le courant, ou débit, d’une rivière). On remarque immédiatement la continuité rythmique de cette œuvre, qui la différencie tout de suite de ses ainées. Des textures d’inspiration spectrales surfent sur une cadence pointée que ne renieraient pas certains post-minimalistes. À n’en pas douter, l’une des pièces les plus « accessibles » du compositeur.

Corrente II – 1992 (cd2 pl.3) : Cette deuxième version est écrite pour orchestre symphonique (alors que la première était pour orchestre de chambre). Il ne s’agit pas d’une transposition, mais bien d’une variation originale sur le même thème. Superbe musique, fourmillante de couleurs disparates qui sont encadrées par la cohérence d’une rythmique grouillante.

Coyote Blues – 1993 (cd2 pl.4) : un titre curieux (dont l’origine m’est inconnue, et qui n’a rien à voir avec la musique de Robert Johnson –ce qui avouez-le, aurait pu être drôlement intéressant!) qui devait servir à la création d’une œuvre pour chœur. Lindberg n’a jamais terminé l’ouvrage, mais en a recyclé les grandes lignes qu’il a réécrites pour orchestre. Partition décontractée, presque pastorale (à l’échelle de Lindberg en tout cas! N’allez pas imaginer la Sixième de Beethoven!).

Arena – 1995 (cd3 pl.1) : Arena poursuit l’exploration entamée avec Corrente. Cette pièce a été composée pour le Concours Sibelius de Direction à Helsinki. Il doit effectivement être absolument fascinant de diriger une telle œuvre, riche et kaléidoscopique, expansive et lumineuse. La finale est pratiquement romantique tant la somptuosité des textures emplit l’espace.

Arena 2 – 1996 (cd3 pl.2) : Cette fois, il s’agit bel et bien d’une transposition (pour orchestre de chambre). Les textures sont plus dépouillées, modestie des forces oblige.

Feria – 1997 (cd3 pl.3) : le terme signifie célébration en espagnol. La fanfare de trompettes qui introduit l’œuvre, et qui sert de leitmotiv motivique au long de la partition, en constitue la marque indélébile. Festive, éclatante et brillante, autant qu’une musique totalement atonale puisse créer ce type d’impression.

Grand Duo – 2000 (cd3 pl.4) : le titre ramène aux deux sections de l’orchestre qui sont utilisées, les bois et les cuivres (il n’y a pas de section de cordes). Le contraste entre les textures claires des bois et sombres des cuivres est distinctement délimité dans la première partie de la pièce, puis graduellement fondu en un ensemble cohérent au fil du développement de l’œuvre.

Chorale – 2002 (cd4 pl.1) : une manifestation rare dans l’œuvre de Magnus Lindberg, la composition sur un matériau extérieur, soit dans ce cas le Chorale Es ist genug de Bach. L’épanouissement du matériau se fait selon les standards du compositeur finnois, et cette introduction diffuse, certes, mais indéniable constitue la première avancée de Lindberg sur le territoire de la « mélodie », aussi transfigurée soit-elle. La puissance expressive de cette courte pièce (moins de 6 minutes) se base sur l’opulence du déploiement harmonique du choral tendant constamment à la résolution des dissensions récurrentes de l’orchestration. L’accord final, pleinement consonant, est absolument magnifique.

Concerto for Orchestra – 2003 (cd4 pl.2): Lindberg amorce ici une nouvelle étape du développement de sa plénitude artistique avec ce Concerto effervescent qui introduit un thème de fanfare aux trompettes. Il est bâti en 5 sections interprétées sans pause.

Sculpture – 2005 (cd4 pl.3) : Encore une fois, comparativement aux œuvres des phases précédentes, cette Sculpture est structurée à l’aide de motifs mélodiques reconnaissables, bien que continuellement en état de flux harmonique et coloristique. Il s’en dégage une impression de narration dramatique presque cinématique. Commandée par le Los Angeles Philharmonic et Esa-Pekka Salonen pour leur nouvelle maison (le Disney Concert Hall dessiné par Frank Gehry), l’œuvre est tout à fait symbiotique avec ce haut lieu de la culture savante au cœur d’Hollywood. Vers la fin, un épisode rythmique syncopé semble faire un clin d’œil au pays du commanditaire, les États-Unis.

Ce coffret de 4 disques n’est pas exhaustif (il manque, entre autres, les magnifiques Aura, Fresco, Seht die Sonne et EXPO (de 2009), pour ne mentionner que les œuvres orchestrales non concertantes). Néanmoins, ce coffret Ondine, offert à rabais, est une mine d’or incomparable pour qui voudra posséder dans sa discothèque l’un des jalons absolus de la création contemporaine d’avant-garde.


Frédéric Cardin

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