Swiss Piano Quintets
Ensemble Il Trittico (Jan Schultsz, piano; Jonathan Allen et Anahit Kurtikyan, violons; David Greenless, alto; Daniel Pezzotti, violoncelle; Dariusz Mizera, contrebasse)
Divox CDX 20506
De belles découvertes à faire sur cette splendide parution de la maison Divox! Trois œuvres de deux compositeurs suisses sont au programme. Le morceau de résistance est sans contredit le Grand Quintuor (!) en la mineur, op. 107, de Joseph Joachim Raff (1822-1882). Raff est un compositeur éminemment romantique, auteur de quelques 300 partitions, la plupart méconnues et rarement jouées. À l’écoute de ce somptueux « quintuor », on ne peut que le regretter amèrement. Le premier mouvement révèle un caractère impétueux, mais empreint d’élégance, qui réussit à projeter l’impression d’une fougue intérieure savamment calibrée et contrôlée, et ce sans refroidir le potentiel émotif du matériel thématique. Raff possède un sens très sûr du développement mélodique et de la construction dramatique. Ce premier mouvement est à lui seul un mémorable morceau d’écriture musicale, envoûtant du début à la fin.
Le deuxième mouvement, un scherzo vif et allant, surprend par son caractère rafraîchissant et limpide, contrastant avec la tension plus touffue du premier. Cela a probablement à voir avec le choix de la tonalité, le do dièse mineur, inattendu après le la mineur du premier. À remarquer après le dévoilement vivifiant du motif piqué initial, le thème particulièrement empreint de tendresse, joué par les cordes, et radieusement ornementé par des cascades printanières au piano.
Le troisième mouvement, un andante quasi allegretto, présente une mélodie passionnée, brahmsienne, ample et charnue, véritable morceau d’ardeur émotive d’une grande profondeur. Un thème léger et affectueux apporte un joli contraste avant la conclusion du mouvement sur une note éthérée qui ne ramène jamais complètement l’intensité initiale du mouvement.
Le finale, un allegro brioso, patetico, débute par une exclamation brillante du piano, suivie par un thème de type rondo teinté de faux-folklorisme « à la hongroise ». Ce thème se veut robuste, mais l’écriture de Raff ne lui permet jamais de s’alourdir. La conclusion finale est pleine de confiance et témoigne de l’assurance du compositeur.
L’œuvre qui suit sur le disque est également de Raff. Il s’agit de la Fantaisie en sol mineur, op.207b, pour les mêmes effectifs que le quintette précédent. Encore une fois, le talent de mélodiste de Raff est impressionnant. Nous ne sommes manifestement pas en présence d’un compositeur de moindre envergure que Schumann ou Brahms à ce chapitre.
Hermann Goetz (1840-1876) n’eut pas le temps d’exploiter tout le talent qui était le sien, comme l’indiquent ses dates de naissance et de décès. À défaut d’y déceler la marque d’un génie oublié, on peut en revanche affirmer que le savoir-faire de Goetz était très élaboré et avancé. On décèle Brahms dans ce Quintette en do mineur, op.16 écrit pour un ensemble particulier, soit piano, violon, alto, violoncelle et contrebasse. L’ajout d’une basse accentue le drame inhérent à cette œuvre, témoin d’une personnalité musicale empreinte de profondeur et de tragédie. Malgré cette attirance pour le côté obscur de l’expression musicale et harmonique, Goetz manifeste dans son écriture une réelle aptitude pour le lyrisme et la construction mélodique. Il faut bien comprendre, cependant, toute la différence qui démarque ce quintette de celui de Raff qui précède. Alors que ce dernier est clairement flamboyant et extraverti, Goetz est plus typiquement germanique, exprimant ses émotions à travers le prisme d’une réflexion structurelle et conceptuelle plus rigoureuse. C’est une sorte de photographie fixée dans le temps, témoin du développement déjà prometteur d’un créateur plein de promesses, qui nous est offerte ici à travers cette superbe exécution signée par l’ensemble Il Trittico.
Divox: CDX-20506
Frédéric Cardin
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