Jean Sibelius (1865-1957)
Concerto pour violon et orchestre, en ré mineur, op. 47 (1903, révisé en 1905)
Le Barde, op 64 (1913, révisé en 1914)
La Nymphe des bois, op. 15 (1895)
Franz Peter Zimmermann, violon
Orchestre philharmonique d’Helsinki, John Storgards, chef
Ondine ODE 1147-2
Enregistrement : 2008-2010
Durée : 62 min. 57
Distribué au Canada par Naxos
La couverture du livret, deux moitiés de violon en feu, annonce bien ce que l’on va entendre, du moins pour ce qui est du concerto. Car c’était avec une passion fiévreuse que Sibelius s’était plongé dans la composition du seul concerto qu’il ait écrit de toute sa carrière. Les idées bouillonnaient tant dans sa tête que la genèse fut animée d’une ferveur qui ne passait pas inaperçue, si l’on en croit la lettre que sa femme adressa à un grand ami de la famille. Rappelons que le violon était son instrument de prédilection et que son talent musical précoce fut révélé grâce à celui-ci. Il avait l’ambition de devenir violoniste sinon de concert, du moins au sein d’un orchestre. Sûrement que son expérience de soliste dans des œuvres concertantes de Bériot, David, Vieuxtemps, lui ont rapporté des dividendes au moment d’écrire son propre concerto, l’un des plus souvent joués et enregistrés.
Par ailleurs, la rapide succession de succès remportés dans le domaine orchestral (dès 1892 avec Kullervo) l’ont amené à embrasser définitivement la composition. On peut donc dire que ce concerto a profité du meilleur des deux mondes, violonistique et symphonique.
Devant une œuvre si souvent interprétée, la concurrence est extrêmement vive. Même si je préfère, parmi les versions récentes que j’ai écoutées, les prestations de Hilary Hahn (DGG), de Lisa Batiashvili (Sony) et de Kavakos, celui-ci pour avoir enregistré les deux versions, originale et révisée (Bis), Zimmermann tire bien son épingle du jeu, démontre une technique solide, particulièrement dans le troisième mouvement qui semble mieux convenir à son jeu brillant.
Les deux poèmes symphoniques choisis pour compléter le programme est heureux puisqu’ils nous présentent Sibelius sous d’autres jours. On quitte le domaine de la virtuosité, tantôt pour l’étrange beauté symboliste avec Le Barde, tantôt pour la narration musicale d’une légende aux climats contrastants avec La Nymphe des bois.
Étrange beauté en effet chez l’un des plus courts poèmes symphoniques non cycliques de Sibelius (8 min.). Ainsi, dans Le Barde, des arpèges égrenés par-ci par-là par la harpe se font l’écho d’un univers mythique tandis que l’orchestre nous suggère sur un ton élégiaque le souvenir d’un monde désormais accessible que dans le rêve, trait caractéristique de l’esthétique symboliste. Vers la fin, une très courte section (Largamente) rompt la tranquillité onirique pour atteindre une brusque éclaircie majestueuse qui se dissout tout aussi rapidement. Harpe et orchestre nous ramènent alors dans l’immémoriale douceur. L’interprétation de l’orchestre est magnifique.
La Nymphe des bois, d’une durée nettement plus substantielle (24 min.), est sous-titrée « Ballade pour orchestre », genre que l’on doit rapprocher de la tradition littéraire germanique. L’œuvre est en quatre parties très bien découpées. Dans la première (Alla marcia), le héros va son chemin, sûr et fier de sa personne. Dans la seconde (Vivace assai / Molto vivace), des gnomes malfaisants lui tendent patiemment une embuscade dans la forêt. Le climat de tension progressivement élaboré prend l’allure d’un thriller soutenu. Marc Vignal, dans sa biographie sur le compositeur, nous dit de ce passage : « … un tour de force d’une originalité absolue, on a là du plus grand Sibelius. » Pour un instant, le héros se croit en mesure de se sortir du pétrin mais la nymphe lui apparaît. C’est alors que la troisième partie (Moderato) enchaîne avec une scène d’amour aux connotations sensuelles, une touche d’exotisme colorant pendant quelques mesures la séduction fatale pour le jeune homme. La quatrième partie (Molto lento) est une longue plainte d’une âme irrémédiablement prisonnière du joug d’une femme moralement cruelle, qui laisse périr sa victime dans une interminable désolation. J’ai rarement entendu une musique rendre si intensément le vertige du vide existentiel. Encore une fois, l’orchestre fait merveille.
Ainsi, ce disque propose un très bon portrait de l’univers sibélien. Quiconque veut se familiariser avec le personnage avant d’investir dans une intégrale, que seul le label Bis a entreprise sérieusement (il reste encore deux coffrets à paraître cette année d’une série de treize), sera bien servi avec cette version.
Guy Sauvé
Février 2011
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