«Chaque artiste crée ses précurseurs. Son travail modifie notre conception du passé autant que celle du futur». Jorge Luis Borges

mercredi 26 septembre 2012

Prima Donna avec Karina Gauvin chez Atma Classique



Karina Gauvin, soprano
Orchestre Baroque Arion
Alexander Weimann, direction

La soprano-vedette Karina Gauvin rend hommage à Anna Maria Strada del Pò, une diva de l’époque baroque et l’une des interprètes fétiches de Handel. Celui-ci la recruta afin de créer pas moins de 13 rôles, notamment dans les opéras Sosarme, Orlando et Alcina. Prima Donna révèle plusieurs facettes de la femme selon Handel dans quelques-uns de ses plus grands airs de bravoure et présente des raretés de De Vinci et de Vivaldi. Karina Gauvin remet au goût du jour l’héritage artistique de la Strada del Pò avec une profonde expressivité et une technique brillante.
Les prochaines prestations de Mme Gauvin en 2012 comprennent une tournée en Europe avec le B'Rock Belgian Baroque Orchestra Ghent et aussi avec Il Complesso Barocco à Madrid et au Théâtre des Champs Élysées à Paris et également des concerts avec l’Orchestre symphonique de Vancouver du 10 au 12 novembre. Du 30 novembre au 2 décembre Mme Gauvin sera l’une des solistes invitées de la Handel & Haydn Society pour des prestations du Messie de Handel à Boston. Elle sera de retour à Montréal à la Société d'art vocal en janvier 2013.

Atma Classique: ACD2 2648

Premier disque de Beatrice Rana chez Atma Classique



Beatrice Rana, piano.
En juin 2011, Beatrice Rana remporte à 18 ans le Premier Prix du Concours Musical International de Montréal, devenant l'une des plus jeunes lauréates. « Pas seulement une pianiste mais avant tout une artiste » écrit alors Le Devoir au sujet de Beatrice Rana qui, en plus de ce Premier Prix, se voit récompensée par tous les pris spéciaux alloués. Son premier disque solo chez ATMA est consacré aux Préludes op. 28 de Chopin et à la Sonate no2 op. 19 de Scriabine, un répertoire passionnant pour cette pianiste exceptionnelle.
Cette saison, Beatrice Rana fait ses débuts auprès de plusieurs orchestres comme l’Orchestra Internazionale d’Italia, le Südwestdeutsche Orchester, le Aarhus Symfonieorkester au Danemark. Elle sera ensuite l’invitée de l’Orchestre Symphonique de Québec, des Orchestres Symphoniques d’Edmonton, Saskatoon, Winnipeg, de l’Orchestre Philharmonique de Kuala Lumpur, des Violons du Roy et de l’Orchestre Métropolitain de Montréal de Yannick Nézet-Seguin.

Atma Classique ACD2 2614

Six Trios op.17 de Devienne chez Atma Classique.



Mathieu Lussier, basson
Pascal Giguere, violon
Benoit Loiselle, violoncelle
Jean-Louis Blouin, alto.

C’est avec cet enregistrement des six trios de l’opus 17 que le bassoniste Mathieu Lussier termine une série de trois disques ATMA consacrés à la musique pour basson du compositeur François Devienne (1759-1803). Les apparitions nombreuses et remarquées de Devienne au Concert spirituel à Paris, tant comme bassoniste que comme flûtiste, son implication dans les divers orchestres de la capitale française et le rôle qu’il a joué dans la fondation du Conservatoire de Paris font de lui une figure incontournable du milieu musical parisien des vingt dernières années du XVIIIième siècle.
Musicien polyvalent et curieux, Mathieu Lussier s’applique à faire découvrir avec dynamisme et passion le basson baroque comme instrument soliste partout en Amérique du Nord et en Europe. Il se produit comme bassoniste avec des ensembles comme Arion (Montréal), Les Violons du Roy (Québec) et l’Orchestre Baroque Tafelmusik (Toronto). Depuis 2007, il est directeur artistique du Festival International de Musique Baroque de Lamèque.
Atma Classique: ACD2 2583

dimanche 23 septembre 2012

Symphonie n°4 de Mahler avec l'Orchestre Philharmonique de Stuttgart chez Dreyer Gaido

Gebertbuch der Maria von Geldem
Gustav Mahler
Symphonie n°4
Jeannette Wernecke, soprano
Orchestre Philharmonique de Stuttgart
Gabriel Feltz, direction
Enregistrement: janvier 2011
Dreyer-Gaido CD21072

Composée entre 1899 et 1900 à la maison de campagne que Mahler se fit construire à Maiernigg-am-Wörthersee, la 4è symphonie marque un peu l'esprit du tournant de siècle de cette époque très particulière de l'Europe. On dirait que Mahler se résistait à voir partir pour toujours certaines habitudes et styles de vie du XIXè sècle au profit d'un XXè encore plus industriel, rapide et sûrement plus terrible pour les âmes sensibles à l’extrême.

Beaucoup considèrent cette symphonie de Mahler comme l'une de ses plus abordables, peut-être à cause de sa durée, moins d'une heure, mais je pense qu'il  ne faut pas négliger qu'il s'agit d'une symphonie où le compositeur a essayé de peindre un tableaux de son enfance, bien qu'avec des sentiments en peu plus reliés à un âge adulte.
L'orchestre est allégé, bois par trois, 4 cors, 3 trompettes pas de trombones ni de tubas mais par contre une riche percussion, ce qui donne une illusion et un effet de volume de musique de chambre. 

L'oeuvre est en quatre mouvements, un vaste Allegro, un deuxième mouvement plus modéré, sans hâte, puis le mouvement central de la symphonie un Adagio en sol majeur, peut-être un des plus beaux mouvements de l'histoire de la musique occidentale, sorte de récapitulation de tout ce qui a été écrit et joué jusqu’à cette époque. C'est le tournant psychologique de la symphonie, qui va se terminer avec un quatrième mouvement tiré de la forme du lied, où Mahler aura recours à l'ajout d'une voix de soprano pour chanter un texte du Wunderhorn «La vie céleste».

L'enregistrement de l'Orchestre Philharmonique de Stuttgart est très réussi. Ses tempi sont plus tranquilles, à peu-près 59 minutes, mais tout le romantisme est là sans aucune exacerbation de la part du chef d'orchestre. La soprano Jeannette Wernecke est très correcte, toujours en accentuant les passages lyriques du quatrième mouvement, sans jamais nuire à une certaine atmosphère de tranquillité bucolique.

Philippe Adelfang 

samedi 22 septembre 2012

Blu-ray de la semaine! Dances & Dreams avec la Philharmonique de Berlin.


Blu-ray de la semaine:

Orchestre Philharmonique de Berlin
Direction, Simon Rattle
Evgeny Kissin, piano.

Voici notre Blu-ray de la semaine, pour le dernier concert de l'année 2011 de la Philharmonique de Berlin, sous la direction de Rattle notre témoignage de cette soirée.
D'abord un petit mot sur Kissin. Son jeu est toujours parfait. Excellent dans le concerto de Grieg, il rivalise avec l'orchestre mais il est capable de mener aussi. Au troisième mouvement le festival de la dance apparaît. La complicité avec les Berliners est totale. A voir absolument.

Le reste du programme est un peu plus décontracté, puisqu'on est en fin d'année. La suite de l'Oiseau de Feu avec toutes ses couleurs subtiles et ses rythmes accentués, l'Alborada del Gracioso de Ravel superbe et la danse de Grieg inoubliable et si peu jouée

Bref 86 minutes d'extases avec un des meilleurs orchestres au monde.

Euroarts 2058724 Dances & Dreams


Philippe Adelfang.

mercredi 19 septembre 2012

Les Troyens de Berlioz sous la direction de Gardiner chez Opus Arte


Berlioz : Les Troyens

Susan Graham (Didon); Anna Caterina Antonacci (Cassandre/Clio); Renata Pokupic (Anna); Gregory Kunde (Énée); Ludovic Tézier (Chorèbe); Nicolas Testée (Panthée); Laurent Naouri (Narbal/Le Grand Prêtre); Mark Padmore (Iopas); René Schirrer (Priam/Mercure)
Yannis Kokkos, mise en scène
Patrice Trottier, éclairage
Monteverdi Choir
Choeur du Théâtre du Châtelet
Orchestre Révolutionnaire et Romantique
Sir John Eliot Gardiner, dir.
Opus Arte OA BD7059 D (2 Blu-ray)


C’est un casting d’enfer qui donne vie à ces Troyens de Berlioz, un opéra monumental plutôt casse-gueule. Cette histoire basée sur l’Énéide de Virgile, qui retrace les racines de la fondation de Rome à partir de la Guerre de Troie, fait appel à des effectifs énormes en plus de taxer les chanteurs avec des partitions où l’endurance des artistes est mise à rude épreuve en plus d’exiger une technique et une puissance hors norme.

Parlons d’abord de la mise en scène. Économe, symbolique, impressionnante mais sans exagération ostentatoire, celle-ci réussit avec beaucoup de bonheur à traduire le côté grandiose de l’épopée, mais aussi ses drames humains et personnels particulièrement intenses. Yannis Kokkos utilise plusieurs artifices de façon très intelligente, dont un gigantesque miroir surplombant les acteurs et qui vient troubler la perspective en révélant un regard surélevé de l’action. Le spectateur se retrouve dans une position de force et semble regarder, par moments, le déroulement de la tragédie comme du haut de l’Olympe. Des projections de la mer et d’apparitions fantômatiques contribuent à une certaine ambiance irréelle. Les autres éléments importants de l’histoire sont eux aussi stylisés, mais jamais dans une sorte de version euro-trash post-moderne trop souvent perpétrée ces dernières années. Kokkos est plus subtil. Troie apparaît vaguement italienne de la renaissance, les costumes sont intelligemment calibrés de façon à suggérer certaines associations contemporaines, mais tout juste. On prendrait les Grecs pour des GIs américains, les Carthaginois sont en teintes pâles et indiquent une vague réminiscence de l’Afrique du Nord actuelle, les vaisseaux de combat sont stylisés, linéarisés. Tout est fait avec un indéniable sens du bon goût et un refus de l’hyperbole.

Évidemment, une belle mise en scène peut jouer un rôle important dans le succès d’un opéra, mais ce qui compte le plus, c’est la qualité des chanteurs! Et en ce sens, cette production frappe très fort là où ça compte!

Susan Graham est une interprète reconnue du répertoire français, en plus d’être une excellente actrice. Anna Caterina Antonacci est l’une des grandes étoiles de la jeune génération, et elle se révèle ici une tragédienne au grand souffle et à la présence scénique imposante (ce qui est nécessaire pour son rôle de Cassandre, longuement présente sur scène). Le ténor américain (Kunde) est aussi une très belle révélation. Il possède un coffre sonore ample et velouté. Les rôles plus occasionnels ou même secondaires n’ont pas à pâlir eux non plus. Imaginez quand vous avez des Laurent Naouri, Mark Padmore et Ludovic Tézier pour compléter un casting, et vous aurez vite deviné que ce qui vous est présenté peut difficilement être qualifié autrement qu’exceptionnel.

Sir John Eliot Gardiner dirige son orchestre et ses chœurs de main de maître. Ses tempi et ses textures sont clairs, nets et précis. Gardiner pousse l’action, sans la bousculer. Il illumine la partition grâce à sa vision bien connue de la musique ancienne, qu’il applique ici à une œuvre romantique parmi les plus « lourdes », et ce d’une façon éminemment convaincante.

Cette production Blu-ray nous fait presque croire qu’on se trouvait au Théâtre du Châtelet en 2003.



Frédéric Cardin

samedi 8 septembre 2012

Nouveau disque de Marie-Nicole Lemieux avec Les Violons du Roy sous la direction de Bernard Labadie chez Naïve.

Nouveau disque de Marie-Nicole Lemieux avec Les Violons du Roy, sous la direction de Bernard Labadie, enregistré en septembre 2010 au Palais Montcalm, Québec.


Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791)
“Venga pur, m inacci e frema” | Mitridate, re di Ponto, K.87

Franz Joseph Haydn (1732-1809)
“Se non piange un’ infelice” | L’isola disabitata, Hob. XXVIII/9

Wolfgang Amadeus Mozart“Ombra felice! – Io ti lascio” K.255

Christoph Willibald von Gluck (1714-1787)
“Jupiter, lance la foudre” | Iphigénie en Aulide


Wolfgang Amadeus MozartOverture | Mitridate, re di Ponto, K.87

Carl Heinrich Graun (1704-1759)
“Del mio destin tiranno” | Montezuma


Wolfgang Amadeus Mozart“Parto inerme e non pavento” | La Betulia liberata, K.74c/K.118

Christoph Willibald von Gluck“Che faro senza Euridice” | Orfeo ed Euridice


Wolfgang Amadeus Mozart“Voi, che sapete che cosa e amor” | Le nozze de Figaro, K.492
“Deh per questo istante solo” | La clemenza di Tito, K.621

Franz Joseph Haydn“Sudò il guerriero” | Il ritorno di Tobia , Hob. XXI/1

Marie-Nicole Lemieux  (contralto)

Les Violons du Roy
Bernard Labadie



Dans la lignée d'une discographie riche et éclectique, le nouvel enregistrement de Marie-Nicole Lemieux avec le prestigieux orchestre baroque Les Violons du Roy, est consacré aux premières décennies de l'opéra classique. Comme d'habitude, Marie-Nicole Lemieux combine des succès du répertoire comme Les Nozze de Figaro de Mozart, avec des airs moins connus, comme l'Iphigénie à Aulis de Gluck ou le Mitridate du jeune Mozart, auxquels elle sait donner un nouveau rayonnement. 

La voix de Marie-Nicole Lemieux, toujours chaleureuse et expressive, s'avère le complément idéal de l'orchestre de Bernard Labadie et sa précision rythmique, ce qui nous offre une palette complète de couleurs musicales.

Naïve: V5264, à partir du 11 septembre au Canada.

jeudi 6 septembre 2012

Quo Vadis de Eliasson chez CPO



Eliasson : Quo Vadis
Michael Weinius, ténor
Swedish Radio Choir
Swedish Radio Symphony Orchestra
Johannes Gustavsson, dir.
CPO 777 495-2

Anders Eliasson (né en 1947) a plusieurs qualités, mais la modestie n’en fait pas partie. Ce compositeur suédois affirme avoir découvert un système musical qu’il qualifie de « triangulatoire », c’est-à-dire qu’il est basé sur des cellules modales ternaires qui s’empilent et se superposent par quintes et ouvrent, selon lui, les portes d’un univers infini de possibilités harmoniques où les deux modes dominants de la musique occidentale depuis Bach, soit le majeur et le mineur, se retrouvent dépassés, voire transcendés.

Eliasson, qui reconnaît être « impossible à vivre », prétend, à mots à peine couverts, être le seul compositeur contemporain à écrire de la véritable nouvelle musique. « J’ai découvert ce que Schoenberg aurait aimé découvrir! ». Une autre perle : « ma musique est trop différente des autres. Aucune comparaison n’est possible ».

Évidemment, la curiosité du mélomane que je suis a été attisée, bien qu’à reculons car je ne supporte pas l’arrogance fanfaronne. Le résultat est-il à la hauteur des prétentions du monsieur? Bien sûr que non. Comment pourrait-il en être autrement? L’homme claironne son originalité, au détriment des « hypocrisies », « superficialités », « mascarades » des autres systèmes musicaux contemporains, en les accusant justement de ne privilégier que la forme et la méthode, et le voici qui déclare construire toute son œuvre sur un seul concept théorique, celui de cette soi-disant « triangulation ». Il semble être aussi prisonnier d’une « formule », aussi efficace soit-elle (c’est le cas, il faut le reconnaître) que n’importe quel jeune universitaire qui croit être profondément génial après avoir inventé sa première série de douze tons.

Je ferai remarquer à ce monsieur que l’originalité ne se mesure pas uniquement à l’application d’un concept théorique. La nouveauté se retrouve également dans des œuvres protéiformes, telles certaines explorations instinctives et sensorielles de John Zorn par exemple.

Ceci étant dit, n’eût été la prétention grandiloquente du compositeur, j’aurais amorcé ma critique de ce disque sur une note franchement positive, car force est de reconnaître que sa musique est très belle.

Comment la décrire? Le mot « organique » me vient à l’esprit, bien que je le trouve surchargé et franchement sur-utilisé. La musique d’Eliasson est constamment en mouvement, comme une sorte d’énergie incandescente s’auto-stimulant ad infinitum. Tel une étoile qui pulse et vibre de force intrinsèque, cette musique vit et respire, alternant épisodes épurés, tout en délicatesse, avec des passages intenses d’une grande puissance sonore.

Quo Vadis est une compilation de textes provenant de plusieurs cultures religieuses, mais basé bien entendu sur la formule latine quo vadis, domine (Où vas-tu, mon Dieu). Eliasson en profite pour interpréter à sa manière la question initiale, et surtout y apporter une réponse toute personnelle, et ce d’une façon fort intéressante : peu après que le chœur ait entonné pour la première fois la fameuse phrase (aux trois quarts de la pièce. Ce qui précède est tiré de textes sumériens, grecs, islamiques, etc.), la réponse demeure…. inaudible! C’est-à-dire que, refusant (ou incapable?) d’offrir une réponse, c’est l’orchestre qui réagit, tel la résonance du fond cosmique diffus, bien réel et bien capté par les scientifiques, mais servant d’ironique écho du silence de Dieu dans nos vies modernes. Seul demeure l’Univers qui nous entoure, seul « entité » à véritablement nous parler. L’œuvre se termine par un retour aux sources sumériennes, bouclant la boucle avec l’introduction, révélant ainsi peut-être que ce qui devait être connu, ou révélé, a probablement été perdu dans la nuit des temps.

En écoutant la musique d’Eliasson, qui est, je dois l’avouer, absolument magnifique, je suis amené à repenser à un corpus très négligé par les orchestres d’aujourd’hui : celui de l’Anglais Robert Simpson. Lui aussi refusait le dodécaphonisme et le sérialisme académiques. Lui aussi animait ses partitions d’une énergie vibratoire fébrile, et les ancrait dans une sorte de néo-tonalité décentrée, cherchant sans cesse à conserver l’aspect sensuel et sensitif du système traditionnel occidental, mais en élargissant le cadre jusqu’à sa plus extrême possibilité. Et ce, sans jamais tomber dans l’atonalisme. Les symphonies de Simpson m’ont toujours fascinées justement parce qu’elles sont émotionnellement et plastiquement attrayantes. Elles procèdent d’un modernisme tendant vers une nouvelle volupté, plutôt que vers la rigueur cérébrale.

Je ne sais pas si Eliasson a entendu la musique de Simpson, mais elle pourrait lui plaire. À moins bien sûr qu’il n’y trouve qu’une pâle prémonition de son propre génie!

Je me dis également qu’Eliasson, d’une façon résolument actuelle bien entendu, plonge certaines racines (consciemment ou non) chez Busoni, ou encore Scriabine. Le contemporain Valentin Silvestrov s’immisce lui aussi, bien que ce dernier soit plus « pointilliste », plus « spectral ». Qu’en penserait Eliasson? Impossible de le dire, mais je n’en ai cure. Vous le remarquerez certainement vous aussi de toutes façons, quoi qu’en dise le Suédois.

Un mot sur les interprètes. Le Chœur et l’Orchestre de la radio suédoise sont resplendissants, absolument imprégnés de cette partition éclatante. Le ténor s’affirme avec passablement de conviction et de force.

Peu importe si les prétentions d’Anders Eliasson sont grandement exagérées, force est d’admettre qu’il a un talent certain, et que ce Quo vadis mérite votre plus respectueuse attention.


Frédéric Cardin


Die Lustigen Nibelungen de Oscar Straus chez Capriccio


 STRAUS, O.: Lustigen Nibelungen (Die) [Operetta] (Kohler)
Oscar Straus : Die Lustigen Nibelungen

Martin Gantner (Roi de Bourgogne); Daphne Evangelatos (Sa mère); Gerd Grochowski (Son père); Hein Heidbüchel (Un héro); Gabriele Henkel (Un guerrier); Lisa Griffith (Une jeune femme romantique); Josef Otten (Son oncle); Michael Nowak (Siegfried des Pays-Bas, un tueur de dragons), Gudrun Volkert (Brunhilde, reine d’Isenland); Christine Mann (Un oiseau)
WDR Rundfunkchor Köln
WDR Rundfunkorchester Köln
Siegfried Köhler, dir.
Capriccio C5088

Les Joyeux Nibelungs (c’est bien la traduction) est une opérette-burlesque d’Oscar Straus, un compositeur autrichien qui n’a pas de lien de parenté avec la famille Strauss du 19e siècle. C’est un petit trésor rempli de bijoux musicaux tout à fait irrésistibles.

Dès les premières notes de l’Ouverture vous risquez d’être séduit par la qualité des mélodies et l’esprit allègre qui teinte toute l’œuvre. Comme le titre l’indique, il s’agit d’une satire qui s’inspire des chants de Nibelung si ostentatoirement mis en musique par Wagner. La parenté des deux univers musicaux s’arrête là cependant. La musique de Straus est extrêmement délicate et chantante dans la plus simple expression du terme. On pense à Gilbert & Sullivan, ou même à Offenbach, par l’attrait de mélodies habilement construites et la caractérisation précise et incisive des personnages, ainsi que leur illustration musicale, fortement appuyée sur l’immédiateté des thèmes.

Dans cette histoire où le Roi de Bourgogne (Gunther) fait appel à un tueur de dragon (Siegfried) pour l’aider à obtenir la main de la reine d’un royaume voisin (Brunhilde - celle-ci n’épousera que celui qui pourra la battre au combat! Une femme guerrière, quelle hérésie), Straus se moque avec talent et finesse du militarisme allemand, ainsi que du capitalisme mercantiliste ambiant. Un exemple : à un certain moment, Siegfried révèle que plutôt qu’avoir caché le trésor des Nibelung près du Rhin, il l’a « placé » à la banque du Rhin à 6% d’intérêt!

Présenté en 1904 avec initialement assez de succès, la pièce disparut peu de temps après, critiquée, justement, pour son « manque de patriotisme ». Le clan Wagner en ajouta en vilipendant cette moquerie « sacrilège » de l’univers mythique si cher au patriarche. Ah, l’arrogance imbue……

Heureusement, de l’eau a coulé sous les ponts et il est maintenant possible de goûter les multiples délices que recèle cette partition éminemment joyeuse, brillante, ludique et inspirée.

Les voix en présence ne sont pas spectaculaires, mais elles sont toutes plus qu’adéquates. Remarquez en particulier un moment de bonheur dans la Romance du 1er Acte, où Lisa Griffith rayonne littéralement de son soprano bucolique et aérien. Gantner campe un Gunther comiquement potiche et Siegfried un héro qui se veut grandiloquent comme dans les meilleurs opéras du bel canto, mais avec ce petit je-ne-sais-quoi qui nous rappelle que nous sommes dans une comédie, et non pas dans le grand drame vériste.

La remarquable qualité de la prononciation est un atout majeur. Mais surtout, j’y reviens, la principale raison de se procurer ce très beau disque (bellement capté par les ingénieurs-son de Capriccio) est la musique absolument dé-li-cieuse d’Oscar Straus. Les mélodies vous colleront à la mémoire.

Il était plus que temps de remettre un peu de lumière sur l’œuvre de cet Autrichien exilé un temps aux USA (à Hollywood), et surtout sur cette géniale petite opérette sans prétention, mais ô combien intelligente dans son sarcasme toujours d’actualité!

Et puis, comment résister à une fin heureuse où les personnages avouent que le héro ne peut mourir car il est dans une…. opérette! Irrésistible, vous dis-je.


Frédéric Cardin


Trois symphonies de Tom­ás Marco chez Naxos


   
Marco: Symphonies nos. 2,8 & 9
Malaga Philharmonic Orchestra
José Serebrier, dir.
Naxos 8.572684

Tomas Marco (né en 1942) est un compositeur originaire de Madrid. Il a étudié à Darmstadt avec Bruno Maderna, Stockhausen et Ligeti (entre autres). Sa musique, sans être facile, est très communicatrice grâce à une hyper-expressivité sonore qui crée dans certaines pièces un effet de saturation sonore pulsative (les Symphonies nos 2 et 9 par exemple).

Il sait également alléger son discours grâce à un talent certain pour l’orchestration kaléidoscopique, comme dans sa Symphonie no.8, judicieusement titrée Gaia’s Dance. Il s’agit d’une suite de trois danses scintillantes, qui rappellent un peu une version plus atonale du Sacre du Printemps.

Pour revenir aux deuxième et neuvième symphonies, disons qu’elles sont harmoniquement denses, mais avec une orchestration brillante, voire étincelante, qui se meut en vibrations instrumentales à la fois microscopiques (le rayonnement fébrile de chaque instrument) et macroscopiques (la structure arquée de l’ensemble des œuvres, faite de « battements de cœur », crescendo-decrescendo, plus ou moins réguliers).

Imaginez un peu la musique de Magnus Lindberg réchauffée au soleil de la Sierra Nevada.

Si vous aimez la musique d’aujourd’hui, peu versée dans la facilité, mais tout de même assez séduisante, vous pourrez faire une découverte assez satisfaisante avec ce disque Naxos impeccablement interprété et fort bien enregistré.

Frédéric Cardin


mardi 4 septembre 2012

L'harpe de Tristan, musique du moyen age par la Capilla Antigua de Chinchilla chez Naxos


Tristan’s Harp

Tristan’s harp - Arthurian medieval music

Arthurian Medieval Music
Capilla Antigua de Chinchilla - José Ferrero
Naxos 8.572784




  1. Cantiga 35: O que a Santa Maria (instrumental)
  2. Anon., Italy (14th c.): Tristrant muste sonder danc
  3. Anon., England (13th c.): Dance of the forest of no return - Stanpipes I (instrumental)
  4. Thibaut de Champagne: Deus est ensi comme li pellicanz
  5. Anon., England (12th c.): Redit aetas aurea
  6. Richard I: Je nuls homs pres
  7. Anon., France (c.1190): Pange melos lacrimosum
  8. Anon., France (13th c.): Quarte Estampie Royale (instrumental)
  9. Châtelain de Coucy: La douce voiz du louseignol sauvage
  10. Dance of the forest of no return - Stanpipes II (instrumental)
  11. Ventadorn: Can vei la lauzeta
  12. Cantiga 419: Des quando Deus sa madre (instrumental)
  13. Dance of the forest of no return - Stanpipes III (instrumental)
  14. Cantiga 108: Dereit' é de ss' end' achar


En 2002, le ténor José Ferrero fonde l'ensemble Capilla Antigua de Chinchilla avec qui il enregistre ce disque de musiques médiévales. En fait, cet album constitue une invitation à redécouvrir la légende du roi Arthur et de ses chevaliers vue par des compositeurs européens (de France, Espagne,Angleterre et Allemagne) du 12eme au 14eme siècle.

En écoutant attentivement ces œuvres, on se rend compte que le moyen age est loin d'avoir été l'époque noire et sombre que l'on veut souvent présenter. Certes, la vie devait y être difficile, mais les œuvres mises ici en évidence exaltent une réelle sensibilité, mêlée a un sens de l'honneur et à un courage extraordinaire.

A une époque ou on va chercher dans la musique new age ou indiene un accompagnement à la méditation, je crois que l'on aurait intérêt à redécouvrir nos racines celtes et la musique que cette tradition a su générer.


Le profane amateur, septembre 2012.

dimanche 2 septembre 2012

Les concertos pour violon et orchestre de Julius Röntgen chez CPO


Röntgen: The Violin Concertos
Liza Ferschtman, violon
Deutsche Staatsphilharmonie Rheinland-Pfalz
BDavid Porcelijn, dir.
CPO 777 437-2

On qualifie régulièrement Röntgen de « brahmsien ». Évidemment, on ne peut nier la présence de l’esprit du grand Johannes dans la musique de Röntgen. Mais les œuvres de ce compositeur allemand ayant vécu largement aux Pays-Bas possèdent une qualité personnelle qui les distingue de celles de Brahms.

Röntgen insuffle une sensualité presque charnelle à ses mélodies et à ses orchestrations. Cette caractéristique est évidente dans le Concerto pour violon en la mineur dont les mouvements sont remplis de thèmes accrocheurs orchestrés somptueusement. Le violon est extrêmement présent tout au long de la partition, ce qui en fait un concerto assez exigeant au plan de l’endurance. Le premier mouvement s’amorce sur un thème volontaire exposé au violon solo (économiquement accompagné par quelques pizzicati des cordes de l’orchestre). Celui-ci évolue en une ligne sinueuse aux traits mélancoliques tout à fait charmante. Le développement se poursuit avec un troisième thème qui se révèle plus sérieux, mais aussi un brin magique et mystérieux dans sa déclinaison orchestrale suivante. Le mouvement continue d’évoluer en ramenant les 1er et 2e thèmes dans des transformations on ne peut plus romantiques, avant de conclure sur une note affirmée.

Le deuxième mouvement est un Lento tendre et sensible qui amène quelques références au premier mouvement tout en introduisant du nouveau matériel mélodique. Röntgen avait une main très sûre pour transcrire l’émotion sans inonder l’auditeur.

Le troisième et dernier mouvement, un rondeau rustique et dansant, intègre une mélodie ancienne du folklore néerlandais, ce qui permet au compositeur de créer de superbes passages harmoniques qui ont de plus l’avantage d’être joliment bonifiés par la palette orchestrale de Röntgen.

La Ballade pour violon et orchestre suit le Concerto en la mineur. Celle-ci, une longue cantilène rhapsodique de 15 minutes, est une autre jolie réussite du compositeur. L’atmosphère est mélancolique, teintée du brouillard des mers du nord, avec quelques échappées ensoleillées occasionnelles, telle cet épisode central vivifiant d’énergie et d’optimisme). Le résultat est touchant et probablement un témoin de l’état d’esprit ambivalent (épuisé et soulagé à la fois) de Röntgen au moment de la composition (c’était en 1918, à la fin de la Première Guerre mondiale).

Le Concerto en fa dièse mineur ne fait absolument sa date de composition (1931). Le langage est résolument passéiste, soit éminemment romantique. Pourtant, Röntgen, dans d’autres compositions, avait montré un degré d’ouverture certain pour la modernité musicale de l’époque (Gershwin, Debussy, Hindemith et, dans une moindre mesure, Schoenberg). Cela n’est tout simplement pas en évidence ici. Quoiqu’il en soit, bien que le matériau thématique et mélodique soit moins direct et accrocheur que dans le concerto en la mineur, la science de Röntgen demeure fort agréable à écouter. Le premier mouvement est dramatique et un brin solennel, l’andante tranquillo qui suit n’est pas aussi charmant que le lento de l’autre concerto, mais il ne manque pas d’intérêt. Un très beau passage où se côtoient le soliste, les cordes et les cors est amené vers 5 minutes, et demeure le haut moment émotif du mouvement. Le troisième mouvement, très court, fait figure de petit caprice espiègle un peu trop léger pour servir de finition. Il est tout de même souriant et honnête.

J’aime beaucoup la musique de Röntgen. Ses 18 symphonies sont une véritable mine d’or à découvrir et exploiter! Sur ce disque, le Concerto en la mineur vaut vraiment le détour, mais également la Ballade.


Frédéric Cardin

L'oeuvre complète pour piano et orchestre de Kabalevsky chez CPO avec Michael Korstick


Dimitri Kabalevsky: l'oeuvre complète pour piano et orchestre.
Michael Korstick, piano
NDR Radiophilharmonie, Alun Francis dir.

L'école russe au XXè siècle nous a donné de grands compositeurs dans tous les domaines de la musique classique. Mais je pense que dans la musique pour piano, cette école a trouvé, parfois consciemment, mais parfois sans le chercher, les compositeurs pianistes parfaits pour former une grande pléiade d'interprètes de haut niveau technique et artistique. Des cycles complets de sonates et concertos pour piano ont été composés par de grands créateurs, comme Scriabin, Rachmaninov, Prokofiev ou Dimitri Kabalevsky (1904-1987), le compositeur qui nous occupe dans cette chronique.
Artiste du XX siècle, Kabalevsky, a su s’accommoder du régime soviétique qui domina la vie politique de la Russie pendant plus de 70 ans. Il fut l'alter ego de Shostakovich, sans doutes le plus grand compositeur soviétique, et forma partie d'une élite artistique avec Prokofiev et Katchaturian.

Le concerto en la mineur op.9 s'inscrit dans une ligne romantique, très traditionnelle de la musique russe, mais où on aperçoit déjà tout le savoir faire et la génialité du compositeur. L'écriture pianistique est accomplie, pleine d'effets et d'une grande difficulté technique. Il a été joué pour la première fois en 1931, avec Kabalevsky au piano.

Le concerto en sol mineur op.23 est plus sombre. Complété en 1935, ce fut pour longtemps la pièce la plus populaire du compositeur, qui la révisa en 1973 pour modifier quelques passages orchestraux. Il s'inscrit dans la grande tradition des concertos de Prokofiev, avec quelques trouvailles intéressantes au niveau de la forme.

Le concerto en ré majeur op.50 est le plus brillant et léger du cycle. Il se rapproche un peu des concertos de Shostakovich, où la recherche des mélodies "faciles" se fait sentir tout au long de ses 20 minutes. Son esthétique pourrait être apparentée au style néoclassique, très apprécié par beaucoup de compositeurs de cette période, puisque ça leur permettait de continuer à composer de belles mélodies, sans se préoccuper d'appartenir à un courant disons "plus d'avant-garde". 

Fantaisie en fa mineur de Schubert D940. Kabalevsky écrit cette transcription-arrangement sous forme de concerto pour piano et orchestre pour le grand pianiste Emil Gilels, qui en assura la création en 1961 sous la direction de Kiril Kondrashin.

Rhapsodie pour piano et orchestre op.75, écrite en1964,Il s'agit d'une pièce de circonstance un peu propagandiste: «Personne ne doit jamais oublier ses années scolaires».

Le concerto numéro 4 pour piano et cordes op.99 est le dernier de la série. Créé en 1979  c'est.un bel exemple de l'économie de moyen que le compositeur pouvait déployer à la fin de sa carrière créatrice.

Le piano de Michael Korstick est époustouflant. Avec ses nuances, toujours précises, sa technique hors pair, et une musicalité élégante et raffinée, on pourrait dire sans risque de ce tromper que, si cette musique réussit à s’échapper d'un injuste oubli, cela sera sûrement  grâce à ce grand artiste.

Bravo pour CPO!

CPO777658-2.